Hier soir, l'association Tulalu!? a joué avec les éditions Plaisir de Lire les prolongations de leur 90e anniversaire.
En 1923, en effet, naissait la Société des lectures populaires, association à but non lucratif, qui devait devenir Plaisir de Lire. Au catalogue il y avait dans les premiers temps Alfred de Vigny, Alexandre Dumas, Edouard Rod, Edgar Poe, Benjamin Vallotton...
Hier soir, à La Datcha, à Lausanne, cinq femmes, auteurs maison, étaient présentes pour parler de leur plaisir d'écrire: Isabelle Aeschlimann, Cornélia de Preux, Rachel Zufferey, Rachel Maeder et Abigail Seran (de gauche à droite sur la première photo). Car toutes les cinq aiment écrire et il n'était que de les entendre pour en être convaincu.
Carole Dubuis, présidente de l'association Tulalu!?, animait cet événement qui se voulait joyeux et impertinent et qui devait permettre de faire connaître aux lecteurs le parcours de ces romancières combattantes, qui va de l'écriture à la promotion du livre, en passant par la recherche de l'éditeur, par les corrections avec lui et par la publication.
Entre chacune de ces grandes étapes, des intermèdes étaient prévus: deux ping-pong verbaux, composés d'extraits des livres de ces dames, choisis pour leur juxtaposition comique - et l'hilarité fut au rendez-vous (comme le prouve la seconde photo) -, et lus par trois comédiens, Stéphanie Kohler, Laurence Morisot et René-Claude Emery; deux surprises musicales interprétées par le musicien Nicolas Bonstein, impertinentes à souhait à l'égard des deux intouchables de la littérature romande que sont Corinna Bille et C.-F. Ramuz...
Des questions tout aussi impertinentes seraient posées par les mêmes comédiens, répartis dans la salle...à chacune des étapes du parcours des cinq combattantes.
Le choix du thème de leurs romans par ces dames relève de l'anecdote ou de l'envie de traiter d'un thème. C'est en lisant un article dans un journal gratuit que Cornélia de Preux a eu l'idée de faire passer les vacances d'une famille en sous-sol. Rachel Maeder, lors d'une escapade arrosée à Lugano, avec son mari, a eu l'idée d'écrire avec lui un polar bien glauque, idée abandonnée, puis reprise par elle seule plus tard. Isabelle Aeschlimann s'est toujours demandé comment il était possible de tomber amoureux en n'ayant que d'infimes et chastes contacts gestuels avec l'autre et elle a mis en scène un homme marié et une jeune fille qui tombent ainsi amoureux l'un de l'autre à Berlin, pour comprendre. Rachel Zufferey avait envie de parler du XVIe siècle en Ecosse, à l'époque de Marie Stuart, qu'elle connaît bien et qu'elle a étudiée etc.
Leurs livres sont-ils autobiographiques? Non. Mais elles ont parfois des problèmes avec leur famille et avec leur entourage pour les convaincre qu'ils ne le sont pas. Ce fut le cas pour Isabelle Aeschlimann, compte tenu du thème qu'elle avait choisie. Abigail Seran a certes repris des expressions et des comportements observés chez son fils - qui a fait valoir son copyright - mais ils sont insérés dans une histoire qui, elle, n'a rien d'autobiographique. Pour certains personnages Rachel Zufferey s'est inspirée d'amies, qui se sont inquiétées d'être perçues de telle ou telle manière dans les passages qu'elle avait purement inventés...
Une fois le livre écrit, encore faut-il trouver un éditeur. En général, avant de le trouver, il faut faire un grand nombre de tentatives. Aussi la plupart d'entre elles se sont-elles rongées les sangs en attendant les réponses.
Isabelle Aeschlimann avait finalement trouvé un petit éditeur français et Plaisir de Lire, mais elle a jeté son dévolu en faveur de ce dernier, la proximité de Lausanne facilitant les échanges. Après avoir envoyé son manuscrit, Rachel Zufferey est partie en vacances et l'a complètement oublié. Rachel Maeder a eu assez vite le choix entre deux éditeurs, mais ce n'est pas chez le premier qui lui avait répondu qu'elle voulait être éditée, mais chez Plaisir de Lire qui... tardait à répondre. Cornélia de Preux se plaint des éditeurs - et ils sont nombreux - qui ne répondent pas... Abigail Seran s'est réjouie que le facteur ne passe chez elle qu'une fois par jour, ce qui lui permettait de souffler pendant les vingt-trois heures et cinquante neuf minutes restantes...
L'épreuve des corrections peut être bien ou mal vécue. Rachel Maeder n'en a pas souffert, parce que cela correspondait bien à sa nature qui aime que les choses soient bien cadrées. Il n'en a pas été de même pour Abigail Seran, qui a de gros problèmes avec la ponctuation, et plus particulièrement avec la virgule qu'elle place, avoue-t-elle avec humour, à tort et à travers. Isabelle Cardis, présidente de Plaisir de Lire, précise que le dernier mot revient de toute façon à l'auteur: c'est tout de même de son oeuvre qu'il s'agit.
Toutes les cinq disent leur bonheur qu'elles ont eu d'être publiées. Rachel Maeder emportait un exemplaire partout où elle allait: dans les toilettes, à la cuisine etc. Si elle n'avait pas partagé son lit avec son mari, elle lui aurait peut-être bien trouvé une petite place à côté d'elle... Abigail Seran est allée dans une librairie pour jouir du plaisir d'acheter un exemplaire de son livre. Quand elle est passée à la caisse, on lui a demandé si c'était pour offrir. Après une seconde d'hésitation, elle a dit que oui, mais elle a refusé qu'on enlève l'étiquette: elle voulait garder la trace que cet exemplaire provenait bien d'une librairie...
Cornélia de Preux n'aime pas faire elle-même la promotion de son livre. Rachel Zufferey, qui se sait timide, oublie, elle, sa timidité quand il s'agit de parler du sien...
Autant d'auteurs, autant, donc, de comportements et de perceptions différents. Ce qui est rassurant et rafraîchissant.
Antoine Houdar de La Motte a dit:
"L'ennui naquit un jour de l'uniformité."
Hier soir, à La Datcha, l'assistance ne s'est pas ennuyée...
Francis Richard
Les derniers livres de ces dames, publiés chez Plaisir de Lire:
"Un été de trop" d’Isabelle Aeschlimann
"L’Aquarium" de Cornélia de Preux
"La pupille de Sutherland" de Rachel Zufferey
"Qui ne sait se taire nuit à son pays" de Rachel Maeder
"Marine et Lila" d’Abigail Seran
Extrait de: Source et auteur
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