Le site de nos confrères d'Albinfo.ch est en ébullition, pas moins de quatre articles pour répondre aux accusations de traîtrise proférées contre les joueurs d'origine kosovare de l'équipe suisse de football (Shaqiri, Xhaka, Mehmedi, Dzemaili[1] et Behrami). Une équipe suisse qui a infligé une défaite retentissante à son adversaire albanais grâce, notamment, à un but de l'un d'entre eux, Xherdan Shaqiri.

Pour parler de ce sujet brûlant, un ministre kosovar, une poignée de politiciens de tout bord, dont Christophe Darbellay, le président de la Fédération du Football du Kosovo et deux journalistes du Matin, Renaud Tschoumy et Mathieu Aeschmann, dont la vision de « la communauté kosovare comme un modèle d’intégration pour notre pays » gagnerait sans doute à être confrontée à certains aspects de la réalité.

Pas d'équipe du Kosovo

En préambule il faut savoir que le Kosovo ne dispose pas encore d'une équipe reconnue par la FIFA (pour les compétitions officielles seulement, les matchs amicaux sont autorisés). Il faut savoir, en outre, bien que cela ne soit évident pour personne, qu'un sentiment général courant en Albanie considère le Kosovo comme partie de son territoire national, au même titre qu'il a pu l'être pour la Serbie il y a peu de temps encore (et l'est toujours, certainement, pour les Serbes). Ceux que l'histoire avait justement dénommés Albanais du Kosovo, pour souligner leur extranéité, sont appelés à devenir très prochainement des Albanais en Albanie, tout simplement.

Ainsi les supporters albanais ne reprochent-ils pas aux joueurs incriminés - qu'Albinfo qualifie pudiquement d' « origine albanophone » - de ne pas avoir choisi l'équipe du Kosovo, mais bien de ne pas avoir choisi l'équipe nationale d'Albanie. Que ceux-ci soient nés, aient vécu et grandi en Suisse, « lui doivent tout », pour reprendre le mot de Behrami, ne compte pour rien, la grande Albanie est bien au-dessus de tout cela, ce sont des traîtres.

Pour les principaux intéressés, le doute n'existe pas « je suis Albanais » affirme Valon Behrami, Granit Xhaka, quant à lui, entonne volontiers l'hymne albanais à qui veut l'entendre. Le Kosovar est un Albanais, l'indépendance du Kosovo une conquête, ce qui explique mieux la réaction des tifosi albanais, une évidence que seul Albinfo tente de diluer dans le flou des origines.

Et la Suisse dans tout ça ?

Ce qui agace, et peut même chagriner ici, c'est qu'aucun des intervenants ne rappelle que ces cinq joueurs sont, avant tout, des citoyens suisses. On ne choisit pas sa famille, mais ils ont choisi leur pays. Pourquoi donc la nationalité suisse ne déploierait-elle pas autant d'effets que la nationalité albanaise ? Au nom de quoi les origines albanaises, voire l'albanophonie, prolongeraient-elles leur emprise au-delà du droit suisse ? Cette déconsidération amère, qui réduit la nationalité suisse à une formalité administrative, justifiée par quelque intérêt professionnel ou financier, semble faire l'unanimité tant du côté d'Albinfo que du Matin, Renaud Tschoumy ne concédant à accorder le qualificatif de « patrie » qu'au pays d'origine.

Il paraît téméraire et, sans doute, profondément regrettable de parler d'intégration réussie à tout bout de champ et de n'en pas admettre, une fois que c'est réellement le cas, tous les effets et conséquences. Etre suisse peut parfaitement suffire à la plénitude patriotique d'un homme, quelle que soit son origine, et même s'il en conserve plusieurs dans son coeur. Le Suisse n'a de compte à rendre, en somme, qu'à la Suisse. Etre Suisse c'est être libre et parfaitement loyal sans être en situation de trahir quiconque.

Et si la chose devait encore se mériter, le Suisse trouverait facilement plusieurs motifs de fierté dans tout ce que son pays a fait, quand il était en position de le faire, pour les communautés albanaises du Kosovo ou d'ailleurs, et ce sans attendre une parole de remerciement.

[1] Albanais de Macédoine