Vignette et manoeuvre fiscale: la preuve par l’Autriche

Doris Leuthard nous joue l’air de l’augmentation indispensable au réseau routier. Un air déjà entendu en Autriche voisine; mais qu’en a-t-il été ?

 

Pour mémoire, rappelons que, voilà plus de trente ans, en 1983, la vignette était acceptée par le peuple sur la garantie d'une durée limitée à "dix ans". Il devait s'agir d'une mesure exceptionnelle visant à "renflouer la caisse de la Confédération".

Prolongée indéfiniment en 1994, la vignette est en outre augmentée de dix francs.

En 2013, Doris Leuthard demande une augmentation de 40 à 100 francs sous peine de ne pouvoir finir les travaux en cours et de devoir décréter une augmentation de la taxe sur les carburants d'au moins 6 centimes par litre.

Pour mémoire encore, l'augmentation de 1994 n'avait pas fait baisser ladite taxe mais avait été au contraire accompagnée d'une hausse de 22 centimes par litre.

 

Où en sommes-nous?

En 2013, l'Etat perçoit déjà, outre divers impôts cantonaux ou fédéraux eux aussi dévolus à l'entretien du réseau routier:

schéma OFROU

2,964 milliards* d'impôt sur les huiles minérales (43,12 cts essence 45,87 cts diesel);

- 1, 979 milliard* de surtaxe sur les huiles minérales (30 cts essence et diesel, soit, en tout, pour un litre à 1,75 francs, 41,8% d'impôt par litre);

360 millions de francs de vignette;

374 millions d'impôt sur les véhicules automobiles, et encore vous fait-on grâce de la taxe poids lourds et autres subtilités du genre.

Le total des recettes se monte donc à 3,826 milliards* de francs, tandis que les dépenses se chiffrent à 3,784 milliards*.

Le total des dépenses pour les seules routes nationales ne dépasse pas 2 milliards. Il convient d'ajouter enfin à tout cela un fond de réserve dédié aux routes nationales se montant à plus de 2 milliards, ainsi qu'un fond d'infrastructure, mais ne servant pas qu'aux routes, d'1,7 milliard. Le compte est donc largement bénéficiaire, de l'aveu même de l'OFROU, l'Office fédéral des routes, lequel annonce cependant un déficit foudroyant pour... 2017.

Pour y faire face, le Conseil fédéral vient de décider la création d'un nouveau fonds pour les routes nationales et le trafic d'agglomération (FORTA). Au menu, + 50% de surtaxe sur les huiles minérales et taxation, entre autres, dès 2020, des véhicules électriques.

Ainsi, au vu de ce qui précède, il faut bien comprendre - que l'augmentation du prix de la vignette passe ou non - la hausse de la taxe sur les carburants est déjà prévue et elle ne sera pas de 6 centimes mais bien de 15.

L'augmentation de la vignette de 40 à 100 francs devrait apporter un supplément de 540 à 600 millions de francs compte tenu de l'accroissement constant de la circulation. 600 millions, soit, à peu de choses près, le montant du fond issu des recettes de la circulation routière destiné aux infrastructures ferroviaires (cf. schéma, colonne en rouge). Ainsi, l'augmentation du prix de la vignette n'est pas une mesure nécessaire, nous l'avons vu, le réseau routier n'en n'a pas besoin, c'est un simple déplacement de la charge fiscale conséquente au rail sur la tête des automobilistes. Certains nous mènent en bateau, Mme Leuthard nous fait prendre le train.

Après trente années de tenatives dissimulatrices, l'augmentation de 150% du prix de la vignette sera-t-elle la der des der, va-t-elle régler la question une fois pour toutes ? Il faut craindre que non, et cela pour deux raisons: Premièrement, cela n'est jamais arrivé par le passé, nonobstant les promesses répétées du Parlement et du Conseil fédéral. Deuxièmement, cela n'est jamais survenu dans aucun des pays où la vignette a été instaurée avant d'être régulièrement augmentée.

Voyons cela avec l'exemple autrichien. Cet exemple est d'autant plus probant que le Département des Transports l'invoque lui-même à l'appui d'une augmentation de la vignette autoroutière.

 

Tu felix Austria...

M. Ralph Schüller, de la communication de l'ÖAMTC (Österreichischer Automobil-, Motorrad- und Touring Club), l'équivalent de notre TCS local, a bien voulu nous faire part de ses éclaircissements sur cette question. Nous profitons de l'occasion pour l'en remercier chaleureusement ainsi que toute son équipe.

Première étape, il a fallu tout d'abord divertir les fonds en provenance des taxes sur les carburants, pour faire de la place, en quelque sorte, à ceux censés découler de la vignette. Manoeuvre à laquelle semble s'apparenter au demeurant ce qui se prépare en Suisse. Ainsi, en 1987, le produit de la taxe sur l’essence et des autres taxes automobiles, autrefois destiné à la construction et au maintien du réseau routier, est versé au budget général. Ces fonds sont utilisés à toute une succession de dépenses sans rapport avec les infrastructures routières.

Surviennent les accords de Maastricht, qui commandent de réduire drastiquement les déficits budgétaires. Pour y parvenir, dès 1997 l'Autriche se sépare de ses routes et donne mandat à une société privée, l'ASFINAG, de construire et maintenir autoroutes et voies rapides sur son territoire. Cette société appartient bien évidemment à l’État à 100% et endosse une dette à hauteur de 5,7 milliards en 1997. Une simple rocade.

Pour éponger une dette causée par la subtilisation par l'Etat de la recette fiscale sur les carburants, l'ASFINAG fut autorisée à instaurer une vignette autoroutière. N'étant pas à proprement parler une taxe, puisque émanant d'un organe privé, l'introduction de la vignette s'est accompagnée parallèlement d'une hausse de la taxe sur les carburants ainsi que de la fiscalité sur les véhicules automobiles.

La vignette automobile n'est pas seule en Autriche, qui s'accompagne d'une vignette pour les deux-roues, d'une taxe kilométrique pour les poids lourds ET de péages sur certains tronçons (tunnels, ponts).

autobahn vignette autriche2En 2001, le prix de la vignette autoroutière est passé de 32,97 euros à 72,60 euros, soit 120% d'augmentation. Aujourd'hui, la vignette augmente d'année en année, les tarifs 2014 sont d'ores et déjà fixés à 82,70 euros, soit une augmentation de... 150% depuis 2001; exactement ce qui est prévu en Suisse.

En 2012, l’ASFINAG encaissait un total d'1,6 milliards d'euros, péage compris, dont environ 400 millions d'euros dûs à la seule vignette, et réalisait un bénéfice net de 470 millions euros. A quelques mille près, le même profit que semble escompter Mme Leuthard avec son projet. Actionnaire majoritaire et exclusif, l'Etat autrichien intègre ce bénéfice à son budget, sans plus avoir à se soucier de la dette d'une société privée, laquelle eût pu être absorbée en moins de 22 ans si elle avait pu jouir de son propre bénéfice. Ainsi, vignette et taxes sur les carburants ne servent plus qu'à remplir les caisses de l'Etat et combler le budget déficitaire du gouvernement autrichien. Une discussion est en cours à l'heure actuelle pour savoir si la dette d'ASFINAG, et de la société qui gère le rail sur le même modèle, sont des dettes d'Etat ou non, mais il tend à traîner en longueur.

Ainsi, par quelques jeux d'écriture habiles, les usagers du réseau routier autrichien sont devenus, bien malgré eux, les principaux pourvoyeurs de fonds de l'appareil fiscal du gouvernement viennois. Une véritable prise d'otage des automobilistes, une ponction agressive de la mobilité pour maintenir à bout de bras un budget erratique, un clientélisme effréné et une politique insatiable des ressources financières de la classe active.

Le chemin que cherche à prendre le Conseil fédéral ressemble comme deux gouttes d'eau à celui dans lequel s'est embourbé l'Autriche. La différence réside essentiellement dans le fait que le peuple suisse est appelé à voter. Ne reste plus qu'à espérer qu'il fasse le meilleur usage de cette liberté qui ne s'use que si l'on ne s'en sert pas.

 

 

* Chiffres 2012

 

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