Déjà remarquée pour son soutien à l'euthanasie des enfants en 2005, la Commission nationale d'éthique pour la médecine humaine (CNE) sacrifie à l'agenda des groupes pharmaceutiques et de l'industrie du vivant pour venir en appui de la dernière initiative parlementaire du PDC vaudois Jacques Neyrinck, intitulée: "Autoriser le don d'ovule". Initiative qui entend débrancher, au fur et à mesure, les garde-fous garantis au moment du passage de la Loi sur la procréation médicalement assistée (LPMA) pour ne pas trop inquiéter la population. Au menu, diagnostic préimplantatoire, don d'ovules, instrumentalisation de l'humain, eugénisme sonnant et, surtout, trébuchant.
Au hasard du rapport de 60 pages, on retrouve le fondement d'une théorie déjà esquissée lors de la dernière campagne sur le financement de l'avortement, selon laquelle une distinction devrait s'opérer entre "être humain" et "personne humaine". Où l'on découvre que l'entier de notre ordre juridique repose sur une errance philosophique qui ne reconnaît ni n'accepte rien sinon l'absence de faits concrets, scientifiques, tangibles et évidents. La religion du doute, en somme, érigée en vérité incontestable.
Après l'exposé de diverses théories, l'on croit distinguer les conclusions de la Commission:
"La majorité de la commission estime que tout être humain, parce qu’il est humain, possède une nature humaine qui lui confère une valeur intrinsèque, mais non pas ipso facto le statut de personne."
En clair, on peut être un être humain sans être une personne humaine.
La "personnification" de l'être humain se ferait progressivement:
"Le respect qui est dû à l’embryon dépend, d’une part, de la valeur intrinsèque qu’il possède en tant qu’entité humaine et, d’autre part, de sa capacité à développer les propriétés caractéristiques d’une personne. Plus l’embryon se développera (et à condition qu’il en ait la capacité), plus il faudra le respecter et lui accorder une protection adéquate parce qu’il gagnera en personnalité."
L'humanité de l'embryon ou du foetus n'est pas suffisante pour leur garantir la protection réservée aux "personnes humaines". L'embryon ou le foetus ne vont accéder à cette protection qu'en développant "les propriétés caractéristiques d’une personne". Comment cela ?
"Une entité (un embryon ou un foetus par exemple) acquiert une partie de sa valeur grâce aux liens humains qu’elle tisse avec les autres [...] pour devenir une personne, pour s’autonomiser, un individu a besoin du concours d’autres personnes."
Cette théorie, puisqu'il ne peut s'agir que d'une théorie, comporte de très nombreux problèmes.
Problèmes:
1. La poule qui a fait l'oeuf
Si l'accès à la "personnalité" ne peut s'acquérir que par le contact des vraies "personnes" qui font la société. Comment la première de ces "personnes" a-t-elle bien pu faire sans société ? La question est facile, mais nous la posons quand même: Si la "personnalité" vient d'ailleurs que de l'homme, de sa nature, d'où vient la première "personne" ?
2. La "personnalité" est inhérente à la nature humaine, elle ne la fait pas
Si l'accès à la "personnalité" des embryon et foetus dépend de leur "capacité à développer les propriétés caractéristiques d’une personne" , c'est donc bien que cette capacité existe dans leur nature. Ne manque que le temps et l'occasion de l'expression de cette capacité.
Il est absurde de dire qu'un embryon ou foetus devient une "personne" en développant quelque chose qu'il ne tient pas déjà en lui-même. Développer ne veut pas dire recevoir.
Comme un enfant a en lui toutes les dispositions relatives à la marche, ne manquent en somme qu'entre 10 et 18 mois et quelques chutes pour y parvenir. Pendant ce temps, l'enfant exerce, développe, une capacité dont tous les éléments nécessaires sont en lui. On ne va pas attendre que l'enfant sache marcher pour lui reconnaître la disposition de son appareil moteur. Ainsi, si par la disposition de tout ce qui permet de marcher, l'enfant est un marcheur qui prend le temps de l'apprentissage avant ses premiers pas, par la disposition de tout ce qui fait une personne humaine, l'embryon et le foetus sont des "personnes" qui prennent le temps de la réflexion, du développement, avant leurs premières expressions.
3. Les incapables
Faut-il comprendre du raisonnement de la CNE que les handicapés, les handicapés lourds, incapables d'aucune interaction visible, privés de développement sensible, sont aussi privés de "personnalité" ? Les "personnes" tombant dans le coma cessent-elles d'être des "personnes" en ce qu'elle ne peuvent plus interagir ?
4. Subjectif
Si l'accès à la "personnalité" ne peut se faire que par l'interaction avec de vraies "personnes", par 'cooptation' avec des membres reconnus de la société, cette "personnalité" n'est plus attachée à la notion de "nature humaine", et ce concept, d'objectif, en devient purement subjectif. Ainsi pourrait-on empêcher toute interaction avec un enfant né et développé pour lui refuser le statut de "personne", ou considérer que d'autres êtres, non revêtus de la "nature humaine" mais doués de la capacité de tisser des liens avec les "personnes", comme les animaux domestiques par exemple, pourraient revendiquer un statut de "personne" supérieur à celui des embryons ou des foetus. Le droit se fait d'ailleurs le reflet de cette mutation, qui refuse de reconnaître un statut de "chose" aux animaux mais le continue, dans les faits, aux embryons ou aux foetus humains.
S'il est nécessaire de disposer de la "nature humaine" pour pouvoir développer des liens humains, alors la notion de "personnalité" est inhérente à celle d'"être humain".
5. Incohérent
Cette position est en contradiction directe avec la déclaration de la CNE d'avril 2013 disant soutenir, à l'unanimité, le maintien de la "réglementation actuelle". Or, l'art. 119 al. 1 du Code pénal permet l'avortement jusqu'au neuvième mois - jusqu'aux première douleurs de l'accouchement pour être précis -, et refuse par conséquent, dans le principe, la "personnalité" à l'être humain, jusqu'à ce terme.
Or, si la CNE reconnaît que foetus et embryon tissent des "liens humains" avec les autres, elle doit reconnaître que cette "personnalité" est en cours d'acquisition pendant toute la gestation. Certains foetus réagissent à la voix, cherchent la main qui les touche, poussent du pied la sonde échographique si le médecin appuie trop fort; ils interagissent, parfois même fortement, bien des femmes enceintes vous le diront. Si la "personnalité" est conséquence de l'interaction, la CNE doit admettre que la pleine "personnalité" peut être acquise à tout moment et ne peut, par conséquent, admettre un terme précis de neuf mois sans aucune garantie de protection de la "personne humaine" in utero. Ou bien alors, la "personnalité" ne peut s'acquérir qu'une fois la naissance venue - foetus visible = humain, foetus invisible ≠ humain (l'on observe des naissances viables à 21 semaines) - et tout ce qui figure ci-dessus n'est que pur charabia.
Si tout cela n'est que pur charabia, la CNE n'est qu'un quarteron d'intellos censés divertir les interrogations morales pour permettre au business d'avancer, et l'on pourrait alors tout aussi bien s'épargner la dépense de leurs jetons de présence.
S'en tenir au visible
Dans la mesure où la CNE ne permet pas de faire la preuve objective de sa théorie de processus d'acquisition de la "personnalité", l'intelligence et la prudence (dans le doute abstiens-toi !) commanderaient que, dans la mesure où le corps humain est le véhicule de tout ce qui compose la "personnalité" d'un individu, il devrait y avoir protection dès qu'il y a corps, "nature", "être", humain.
Un corps, même sans "personnalité", devrait bénéficier de protection. C'est d'ailleurs le cas dans notre ordre juridique, où le corps mort, même vidé de tout ce qui fonde sa capacité d'interagir, fait l'objet d'une grande protection. Protection qui s'étend même à ce que feue la "personnalité" du corps mort - alors que l'on sait bien qu'elle n'est plus là -, pourrait ressentir, puisque la loi s'emploie à garantir jusqu'à la "paix" des morts.
Il n'y a que le corps des embryons et des foetus qui ne fasse l'objet d'aucune protection. Pourquoi ? On ne sait pas.
Illustration: Main de Samuel Alexander Armas, alors foetus de 21 semaines, opéré pour une spina bifida, agrippant la main du chirurgien Joseph Bruner en août 1999.
Voir encore
Bravo pour cet article qui pose les bonnes questions et va à l’essentiel! Il mériterait, selon moi, d’être signé. “La rédaction”, c’est tout de même un peu vague. Si vous préférez garder anonyme cet excellent texte, pourriez-vous au moins nous exposer les motifs de ce choix? Merci d’avance.