A la fin de ma visite, mon étonnement devant la photo de Soljenitsyne a disparu. Ce qui s’est passé en Hongrie est symbolique de ce qui s’est passé dans toute l’Europe de l’Est. Après le passage des tanks soviétiques, des chasses aux sorcières ont été organisées par des gouvernements aux ordres de Moscou. Bien qu’on ait su ces choses bien avant L’archipel du Goulag, c’est seulement avec sa publication en 1974 que l’Occident a commencé à en prendre conscience. Pour que ce processus de prise de conscience s’achève, il faudra que beaucoup d’eau passe encore sous les ponts et que les diverses « maisons de l’horreur » reçoivent de nombreux visiteurs.
Quand je suis entré dans la maison de l'horreur à Budapest, je me suis trouvé face à un énorme tank soviétique, symbole du terrible rouleau compresseur qui s'est mis en place après la victoire des Russes en Europe de l'Est en 1945. A l’entrée et juste avant le tank, j'avais vu une grande photo de Soljenitsyne et je m’étais demandé ce qu’il avait à voir avec la Hongrie. Ensuite, des salles avec films, photos, objets décrivant la mise en place de l'horreur. Une cellule aussi, toute petite avec un caniveau au centre et, suspendus à un crochet, sur l'une des parois, une matraque, un fouet. Pas difficile d'imaginer le sang et les excréments des torturés.
Avant la victoire soviétique, la même maison était utilisée par les collaborateurs hongrois des nazis, pas encore des communistes. Après 1945, changement de bourreaux. A Budapest, Prague, Varsovie, dans les pays occupés par les Russes après 45, des maisons de l'horreur sont apparues dans toute l'Europe de l'Est, telle la prison Mokotow à Varsovie où le boucher Smietanski a fait exécuter l'un des plus grands héros polonais, Witold Pilecki.[1]
Une polémique s'est développée ces jours en Hongrie autour de la maison de l'horreur : sous la pression d'un gouvernement de droite, elle soulignerait trop les atrocités commises par les communistes, négligeant celles commises par les nazis qui s'appuyaient, comme partout en Europe, sur des milices locales, appelées les Croix Fléchées en Hongrie. Mais il faut bien avouer que si le gouvernement actuel, à Budapest, était de gauche, on l'accuserait de ne pas assez souligner les atrocités commises par les communistes. Ainsi vont les choses dans une Europe encore très meurtrie.
La cible des nazis c'était, pour l'essentiel, les Juifs. En plus des tortures qu'ils subirent dans la Maison de l'Horreur, environ 400.000 d'entre eux furent envoyés à Auschwitz vers la fin de la guerre. Quant à la cible des communistes, c'est plus confus. Comme partout, et comme le montre déjà le terrible télégramme de Lénine du 11 août 1918,[2] le règne de la terreur de gauche ciblait des ennemis au hasard, y compris parmi les bourreaux. On parlait alors de purges. Les chasseurs d’espions de l’impérialisme américain devenaient à leur tour des accusés puis des victimes lors de procès qui, comme celui de Slansky en Tchécoslovaquie (1953), étaient orchestrés par les sicaires de Staline. En Hongrie, les estimations actuelles concernant les victimes de la répression communiste, tournent autour de 2000 exécutions, 100.000 emprisonnements, 44.000 déportés dans des camps de travail où nombreux furent ceux qui périrent.
A la fin de ma visite, mon étonnement devant la photo de Soljenitsyne a disparu. Ce qui s'est passé en Hongrie est symbolique de ce qui s'est passé dans toute l'Europe de l'Est. Après le passage des tanks soviétiques, des chasses aux sorcières ont été organisées par des gouvernements aux ordres de Moscou. Bien qu'on ait su ces choses bien avant L'archipel du Goulag, c'est seulement avec sa publication en 1974 que l'Occident a commencé à en prendre conscience. Pour que ce processus de prise de conscience s'achève, il faudra que beaucoup d'eau passe encore sous les ponts et que les diverses « maisons de l’horreur » reçoivent de nombreux visiteurs.
[1] Appelé aussi le “volontaire d’Auschwitz », il s’est délibérément fait prendre par les Allemands et enfermer dans ce camp d’où il a envoyé aux Alliés le premier rapport sur ce qui s’y passait. Le grand rabbin de Pologne, Michael Schudrich, a dit de lui : « Quand Dieu a créé l’homme, il avait l’intention que nous fussions tous comme Witold Pilecki. Que sa mémoire soit bénie ! »
[2] On le trouvera, commenté par Nicolas Werth, sur le site de l’Académie des sciences morales et politiques : http://www.asmp.fr/travaux/communications/2003/werth.htm
Article très sobre, très juste. Bien vu.