Dossier: Ces écolos qui veulent des humains génétiquement modifiés

Depuis 2004, une sécession des Verts défend avec force le diagnostic préimplantatoire dans la roue du parti radical et du lobby pharmaceutique. Appliquer aux humains ce que l’on refuse au maïs, ou comment en venir à oublier que l’homme est encore partie de la nature.

(Diagnostic préimplantatoire (DPI) : Sélection, avant transfert dans l'utérus de la mère, des embryons produits in vitro en fonction de critères génétiques et chromosomiques).

La légalisation de l'avortement, il y a tout juste dix ans, a signifié, en Suisse, le coup d'envoi d'une réforme radicale de la conception de la manipulation du vivant et de l'humain par la loi.

Chronologie d'un retournement d'opinion

La stratégie, comme pour toutes les questions relatives à des sujets relevant de 'l'éthique', s'est tenue en trois points:

1. Promulgation d'une base légale stricte présentée comme garantie contre les excès;

2. Campagne médiatique (en vue des votations populaires ou pour décourager toute velléité de référendum) sur la base des garanties du point 1;

3. Désengagement des clauses légales de restrictions au niveau parlementaire (motion, édition de lois complémentaires etc.).

Le tout est réglé, depuis une décennie, comme du papier à musique, les garanties de circonstance servant à pousser, au moment de la campagne, les opposants éventuels dans le camps des exagérateurs. Le modèle est appliqué à d'autres situations, l'on se souvient, par exemple, de la garantie de ne pas permettre l'adoption dans la loi sur le partenariat enregistré.

Dans le cadre du génie génétique, la première de ces garanties fut placée dans l'art. 119 de la Constitution de 1999. Article qui, en fait de garantie, était déjà un pied dans la porte du vivant.

Le 1er janvier 2001, entrait en vigueur la Loi fédérale sur la procréation médicalement assistée (LPMA). L'art. 5 al. 2 ouvrait la question du diagnostic préimplantatoire, mais l'al. 3 interdisait formellement toute recherche sur les cellules souches embryonnaires. L'art. 17 al. 3 empêchait la conservation des embryons. Il convient de préciser ici que le but à obtenir ne concernait pas tant le diagnostic préimplantatoire que le droit de pratiquer des recherches sur les embryons.

Sur le terrain de la recherche

Il faut ouvrir ici une courte parenthèse pour parler du contexte de ces diverses réformes. Au début des années 2000, la découverte des capacités des cellules souches embryonnaires représentait un potentiel scientifique et économique jamais imaginé auparavant. Potentiel partiellement balayé aujourd'hui par l'état des recherche sur les cellules souches adultes. La possibilité de pouvoir breveter des lignées de cellules embryonnaires, pour en commercialiser les applications, faisait passer la pierre philosophale pour du vulgaire gravier.

Patrick Aebischer, le brillant le président de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), qui avait milité en faveur de la légalisation de l'avortement, pesa de tout son poids pour l'effraction des garanties légales dans la recherche sur l'humain. L'enjeu était essentiellement économique, la Suisse ne devait pas se retrouver à la traîne faute de pouvoir mener ses propres recherches et devait profiter gratuitement des « embryons surnuméraires » issus de la procréation médicalement assistée et que la loi commandait de détruire. Entre 2002 et 2003, Patrick Aebischer donna diverses conférences, dont une, à Lausanne, où l'on put l'entendre dire: « Que voulez-vous, un chimpanzé est plus cher qu'un être humain »; l'homme est tout entier dans cette stance lapidaire.

La recherche scientifique voulait pouvoir donc accéder sans contrainte à la banque d'embryons non utilisés par leurs parents dans le processus de fécondation in vitro. Cette attente, et celles qui suivront (analyses, DPI), ont pour seul but d'améliorer l'offre dans le commerce des applications remboursées de la médecine implantatoire.

C'est à cette époque que Patrick Aebischer a commencé à manoeuvrer diverses sections des Verts cantonales, leur faisant faire, à plusieurs reprises, en même temps que divers représentants du parti radical, le tour du propriétaire, cherchant à les associer à sa conception de développement technologique. Si les Vaudois mordirent à l'hameçon avec Luc Recordon, d'autres, comme Anne-Catherine Ménétrey, s'insurgèrent, en vain, contre le risque de se mettre, un jour, à « jouer aux apprentis sorciers ».

En 2004, Patrick Aebischer installait à l'EPFL le siège de la société ANECOVA SA, spécialisée dans la « recherche, développement et commercialisation de technologies innovantes dans le domaine de la fertilisation humaine et animale », leader du marché romand, sinon suisse, de la procréation médicalement assistée, et dont il est l'un des principaux administrateurs.

Retour à la chronologie

Le 28 septembre 2001, le conseil de fondation du Fonds national suisse de la recherche scientifique donnait son feu vert pour le soutien de projets de recherche sur les cellules souches embryonnaires. Le 4 octobre 2001, le radical zurichois Felix Gutzwiller, Monsieur lobby pharmaceutique au Parlement depuis toujours, déposait une interpellation pour permettre la fabrication de cellules souches embryonnaires humaines en Suisse, suivie, en décembre de la même année, par une motion d'un UDC bâlois, chirurgien de son état, Jean-Henri Dunant.

En 2002, l'un des seuls parlementaires à s'inquiéter de ce type de développement, une certaine Simonetta Sommaruga, le fut pour des raisons de brevetage de l'humain et d'achat, par des fonds publics, de lignées d'embryons produits par des entreprises étrangères. La radicale vaudoise Christiane Langenberger riposta par une interpellation soulignant, déjà, les incohérences de certaines garanties légales pour demander la libéralisation des recherches et du diagnostic préimplantatoire.

En parallèle, de 2002 à 2003, se tinrent les discussions qui aboutirent, en 2004, à l'adoption de la  Loi fédérale relative à la recherche sur les cellules souches embryonnaires (LRCS). Durant la campagne, la loi fut présentée comme une garantie indispensable contre les manipulations génétiques d'épouvante, clone, chimère, hybride. Sur la foi de tels arguments, le peuple acquiesça à plus de 66%.

Dans les faits, l'art. 2b de la LRCS (et l'art. 1 de l'ordonnance) créait la définition d'« embryons surnuméraires » et désactivait de fait la garantie de l'art. 17 LPMA de ne pas conserver d'« embryons ».

Restait à faire sauter l'interdiction d'analyse des cellules de l'embryon humain de l'art. 5 al. 3 LPMA. En octobre 2004, le Parlement arrêtait la Loi fédérale sur l’analyse génétique humaine (LAGH), entrée en vigueur au 1er janvier 2007, laquelle, sous couvert de protéger les embryons contre toute tentative de sélection génétique ou sexuelle, permettait de s'enquérir de toutes informations pour des raisons de santé. En clair, toute recherche analytique est interdite, que ce soit pour déterminer le sexe ou le handicap, à moins que ces analyses soient effectuées pour des raisons diagnostiques.

Une fois l'information obtenue légalement, soit pour un motif de santé, rien ne permet plus d'empêcher la décision d'avorter l'embryon qui aurait le malheur de ne pas correspondre. Que le lecteur ne s'y trompe pas, ce genre de mesures ne concernent plus spécifiquement la recherche (art. 1 al. 3), mais permettent uniquement aux inséminateurs artificiels et autres grands-prêtres de l'enfant parfait d'assurer une plus grande maîtrise du « produit » auprès de leur clientèle.

Les principes de la LAGH seront entérinés, en 2010, par l'art. 118b de la Constitution.
La litt. b de l'art. 11 LAGH inscrivait de fait le DPI dans le droit suisse, mais ce n'était pas encore suffisant.

L'intervention Recordon

En 2000, la libérale genevoise Barbara Polla, médecin, échouait dans sa demande d'autorisation du DPI lors de « risques graves », les lois vues plus haut n'étaient pas encore passées. Jusqu'en 2003, tous les feux étaient au rouge pour le DPI. En 2004, le PLR Felix Gutzwiller reprit l'initiative Polla.

Le 16 juin 2005, l'initiative Gutzwiller, lors d'un débat houleux, opposa les forces radicales, augmentées de la gauche libérale (minorité PS et Verts), aux conservateurs (PDC, PEV), ajoutés de la majorité du PS et des écologistes. Des alliances peu naturelles firent jour en cette occurrence. PEV et PS ouvrirent les feux en dénonçant les abus de la motion Gutzwiller. Maria Roth-Bernasconi prit la parole « au nom d'une forte minorité du groupe socialiste » pour lancer l'exemple sentimentaliste du « petit Valentin », un cas français, invérifiable et invérifié, mais qui fera florès dans la bouche des partisans du DPI pour justifier d'un droit fondamental à être sélectionné avant sa naissance. Du côté conservateur, la PDC Chiara Simoneschi-Cortesi porta des coups très durs à l'argumentation utilitariste du camp adverse. La verte bâloise Maya Graf dévoilait un  argument essentiel des partisans du DPI, argument qu'elle avait retrouvé au sein de sa minorité: Pourquoi interdire le diagnostic préimplantoire au motif de refuser la sélection des embryons alors que la sélection des foetus, quelle que soit la raison, est déjà possible ? Dialectique reprise à la lettre des conférences lausannoises de Patrick Aebischer. En effet, l'avortement relevant du libre choix exclusif de la mère, aucun motif de sélection, eugéniste, sexuelle, ne peut lui être opposé. Ainsi, si la sélection ne peut s'effectuer au stade préimplantatoire, elle peut très bien se faire en aval, au stade foetal. Partant, le seul fait d'étendre la sélection au stade préimplantatoire n'a pour seul effet, comme nous l'avons vu, que de permettre  d'affiner l'offre des professionnels de l'implantation.

Entre raisons éthiques et financières, la discussion s'enlise jusqu'à l'intervention, pour la minorité Verte, de Luc Recordon. Le Vert vaudois vole au secours d'un clan libéral en difficulté, faisant état de son « handicap lourd » pour en venir à regretter de ne pas avoir été sélectionné, et donc éliminé, en raison de ce même handicap, au motif que tous les enfants du monde n'ont pas la même chance d'être aussi bien entouré qu'il a pu l'être. Argument paradoxal, qui ne tend qu'à prouver qu'un enfant né handicapé peut tout surmonter et tout réussir s'il est bien accompagné, mais qui, revêtu de l'émotion du moment, fera paraître touchante la version la plus sombre d'un eugénisme technologique impitoyablement pragmatique.

Le Conseiller fédéral Pascal Couchepin ponctuera l'ambiance d'un solennel « après cette intervention, je préférerais avoir à me taire ». L'handicapé alibi avait parlé, il avait forcément raison; la cause était entendue.

Gutzwiller retirait son initiative, mais le Conseil national adoptait, à 92 voix contre 63, la motion déposée dans le même sens  par la Commission de la science, de l'éducation et de la culture; le travail en coulisses pouvait commencer.

Dernière ligne droite

Deux ans plus tard, le 22 juin 2007, Felix Gutzwiller s'impatiente et somme le Conseil fédéral de fixer un agenda. Pressé, il interpelle encore le Conseil des Etats en décembre 2008. Son interpellation classée sans suite, il se déclare insatisfait et réclame des éclaircissements au président d'alors, le socialiste Alain Berset. Aux cours de la discussion, Pascal Couchepin résumera la situation d'un cynisme sans appel : « les gynécologues veulent avoir plus de liberté [parce] qu'ils sont en concurrence sur le plan international »; argument ô combien convenu, et connu, du « tourisme médical »…

La parenthèse Burkhalter au Département fédéral de l'Intérieur, qui pourtant avait voté oui en 2005, semble avoir quelque peu retardé la procédure. Alain Berset, son successeur, a promis un texte pour 2013.

Du coup, le camp radical ressort Luc Recordon dans la presse - on ne change pas une équipe qui gagne - pour resservir, à la lettre, dans la Tribune de Genève, son discours de 2005 - et dire sa volonté de ne pas être né; comme s'il était le mètre-étalon de la qualité de vie des handicapés, comme s'il parlait pour tous ceux qui se battent. Il faut convaincre coûte que coûte.

Prétendre qu'il vaut mieux ne pas être plutôt que de naître non-conforme au standard calibré de la vision la plus médiocre de jouissance matérielle est un postulat misérable. Misérable en ce qu'il est l'exact reflet de cette idéologie du profit sur l'autel de laquelle on a sacrifié cette nature que les écologistes prétendent défendre.

Il y a des garanties, certes, mais combien de temps dureront-elles ? Il était écrit que ce serait à un écologiste, un « Vert », handicapé de surcroît, de faire passer l'une de ces lois à faire frissonner les historiens de demain.

Et vous, qu'en pensez vous ?

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