Les 21 et 22 mars 2012, quelques géniteurs de certains des 25 Rapports de la CIE ont cru bon d’organiser un cours public (sic) et une journée d’études, à l’occasion du 10e anniversaire de la sortie du Rapport final et condensé de la CIE. Une centaine d’auditeurs se trouvait à l’aula de l’Unil, en majorité des étudiants.
Ces personnages furent moralement soutenus par la présence au cénacle de l'ex-Conseillère fédérale d'avril 1993 à fin 2002, Ruth Dreifuss. Cet événement, se référant au seul rapport final sorti de presse aux Editions Pendo à Zurich, entend-il ainsi renier les contenus des volumes 1 à 25 concoctés par Georg Kreis (Vol. 1), et ceux élaborés par certains anciens collaborateurs de la CIE, par exemple Marc Perrenoud (Vol. 13, 15, 25)?
Au podium, outre Ruth Dreifuss, se trouvaient le professeur d'histoire Hans-Ulrich Jost, ses confrères à l'Unil Sébastien Guex, Marc Perrenoud historien, à présent au DFAE, Pietro Boschetti, historien de formation, auteur de "La Suisse et les Nazis" (Ed. Zoé 2005), de même que M. Dirlewanger, ancien thésard du Prof. H.-U. Jost. Ce n'est un secret pour personne que tous ces personnages relèvent de la philosophie de gauche, ce qui influence, qu'on le veuille ou non, le produit de leurs cogitations.
En précisant ne pas avoir assisté à ces débats, je me permets de relever d'autres absences, plus étonnantes. En premier lieu celles de trois membres de la CIE domiciliés en Suisse, MM. Georg Kreis, Jacques Picard et Jakob Tanner, de même que nombre d'anciens collaborateurs fixes ou occasionnels, mais qui auraient pu se trouver dans la salle, je l'admets.
Les mésaventures aériennes du professeur Jost
On a beaucoup glosé sur certaines personnes, notamment sur le Professeur Jost et ses aventures aériennes. S'il a bien publié, en 2005, l'ouvrage "A tire d'ailes", on ne peut lui reprocher d'avoir été le responsable de la destruction d'un des coûteux Mirage III s, le 27 août 1970, à la verticale d'Orzens (VD), par manque de kérosène, dû à la négligence des rampants (cf. Peter Brotschi: "Gebrochene Flügel" , Orell Füssli, Zurich 2006, p. 256).
J'ai noté que dans son ouvrage précité, le Prof. Jost a brièvement cité le Prof. Bergier à la page 238: "Cette instrumentalisation de l'histoire et l'ambivalence des espaces d'expérience jouent encore leur rôle aujourd'hui dans les débats autour des rapports réalisés par la commission d'experts indépendants présidée par le Prof. Bergier. L'acceptation ou le rejet de la recherche historique dépendent ainsi profondément des orientations et des interprétations cognitives que l'on veut plaquer sur la représentation de la Suisse présente et future. A cela s'ajoute un mélange de souvenirs nostalgiques et d'opportunisme politique populiste".
Dès avant 1939, nombre d'étudiants des universités et de l'EPFZ , tentaient de se faire incorporer dans les forces aériennes suisses, de grader ensuite et devenir pilote ou observateur. Ils étaient alors astreints à 10 heures de vol par mois, sur dix mois de l'année, rétribuées à raison de 40 francs l'heure, soit 400 francs par mois, un vrai pactole pour les étudiants démunis. (Précisions émanant de feu le plt Edmond Châtelain, ex-observateur d'artillerie, reconverti en observateur d'aviation, et devenu, à fin de la guerre, responsable du service psycho-technique, au terrain d'aviation de l'armée, à Dubendorf (ZH).
Je n'ai aucun indice quant aux motivations de Hans-Ulrich Jost l'ayant amené à devenir pilote de Mirage, soit par patriotisme, envie de s'envoyer en l'air, voire d'arrondir des fins de mois difficiles, me gardant bien de les définir. En revanche, on peut constater que cet accident de parcours n'a pas prétérité sa carrière militaire. A preuve, il a atteint le grade enviable de Major dès le 1er janvier 1977.
La science infuse des historiens
Une prolixe intervenante, Dame Camilla Kaworu, dont j'ignore l'âge, la formation, la nationalité, précise péremptoirement que seuls les historiens sont pénétrés de science infuse, donc d'infaillibilité. Ce don ne fut pratiqué qu'à Rome. A preuve de la faillibilité des historiens, je me permets de citer le Prof. d'histoire à l'Université de Fribourg, Urs Altermatt, que l'on ne peut accuser d'amateurisme. Il n'empêche qu'il cite, dans son ouvrage sur 100 Conseillers Fédéraux, publié chez Cabédita, que Marcel Pilet-Golaz était issu du parti démo-chrétien. Or, il est notoire que cette dénomination n'existait pas encore, mais seul le parti conservateur, dont ne faisaient partie que les catholiques romains. Et en prime, Pilet-Golaz était membre du parti radical-démocratique!
Un second exemple patent de cette problématique consiste dans les retombées du rapport intermédiaire sur les réfugiés, requis dans l'urgence à la mi-décembre 1996 par le Conseil fédéral. Paru en 1999, ce rapport s'en prend violemment au caporal Demierre et au GA Louis Ferrin, de l'Ar ter de Genève. Ces accusations erronées résultaient de fausses interprétations de textes glanés aux Archives d'Etat de Genève par deux jeunes collaboratrices de la Commission Bergier. L'une était terrorisée par la cheffe de ces lieux, Dame Catherine Santschi, plus connue en tant que "Grande Catherine", la filleule du premier-lieutenant Edmond Châtelain, susnommé. Quant à la seconde, germanophone, tombant sur le terme "voies de faits", elle l'avait converti en "Folter" qui, traduit littéralement, signifie "torture"!
D'anciens réfugiés juifs néerlandais ayant été recrutés par le caporal Demierre, membre du Service de renseignement (SR) du colonel Masson et hébergés chez lui, effectuaient des missions de renseignement en France occupée. Ces renseignements, transmis au SR de Masson, étaient ensuite communiqués à la Résistance française, au MI5 britannique, et dès décembre 1941 à l'OSS des Etats-Unis.
Une seule version en allemand
Rentrés au pays à la fin des hostilités, MM. Hecht et Wolff, prenant connaissance de ces fausses accusations, protestent auprès de la Commission. Celle-ci me demande de prendre contact avec ces personnes. M. Wolff se rend immédiatement à Genève pour m'informer. J'entreprends ensuite des recherches approfondies, puis j'adresse une lettre détaillée à la Commission, joignant des documents probants réfutant ces accusations.
En date du 16 mai 2001, le Président de la CIE, le Prof. Jean-François Bergier, me répond en ces termes:
Cher Monsieur,
Pardonnez-moi de venir si tard vous remercier des documents concernant le cpl Demierre que vous avez adressés récemment à la Commission. Nous en ferons bon usage dans la version remaniée du rapport sur les réfugiés qui sortira en automne (mais en allemand seulement).
Recevez, cher Monsieur, l'expression de mes sentiments bien cordiaux.
votre Jean-François Bergier
Quelle est donc la raison première de cette étrange décision, consistant à ne publier cette version révisée du rapport sur les réfugiés qu'en version allemande? Elle ne pouvait être lue que par un lectorat germanophone, soit les Suisses alémaniques, les Allemands et les Autrichiens.
Cette version finale comporte toute une série de notes de bas de page émanant de Henry Spira et mention de son nom, notamment aux pages 7, 158, 180, 187, 194, 196, 206, 207, 270, sans compter d'autres mentions de la famille Spira de Porrentruy.Et sous "Zeitgenössische Literatur", p. 459, figurent cinq textes du soussigné datant de 1997 à 2001.
La "raison d'Etat" ayant conduit à cette décision résulte des conséquences démontrant "scripta manent" que la Commission Bergier n'était pas infaillible. Et les pires contempteurs de la Suisse et des Suisses, majoritairement anglophones et francophones, sont restés dans l'ignorance de ces importantes corrections et mises au point. Et qu'on ne vienne pas me dire que les 22 millions de francs étaient épuisés!
Jean-François Bergier "trop gentil"
Ce rapport, comme il se doit, se réfère à de nombreuses reprises au rapport du professeur Ludwig de 1957. Il avait été publié en plusieurs langues par les services de la Confédération, et j'en possède un exemplaire en français, avec couverture en papier jaune, depuis une quinzaine d'années. Il y a quelques mois, j'ai voulu me procurer des versions allemande et anglaise. Catastrophe! A l'administration fédérale, au service des Chambres, chez les libraires, introuvable. J'en avais un furieux besoin, afin d'en remettre copies au US Holocaust Memorial Museum à Washington DC, une fondation non pas juive, mais dépendant du gouvernement des Etats-Unis. C'est finalement grâce à François Wisard, historien, du Service historique du DFAE, que j'ai obtenu des disquettes; je tiens à l'en remercier.
Quant à la Commission Bergier et ses travaux, certains prêtant à critique, je me refuse à faire endosser la responsabilité à son Président. Le Prof. J.-F. Bergier était un personnage aimable , désirant faire régner une atmosphère agréable. Il se trouvait constamment confronté à des initiatives malencontreuses de certains membres de la Commission et de collaborateurs.
Le professeur Bergier a même avoué avoir envisagé de démissionner. Mon vieux copain, le seul juriste de la CIE, Joseph Voyame, ex chef de la division de Justice du DFJP, a même démissionné en 2001, de même que le secrétaire général de la Commission, M. Linus von Castelmur, du DFAE.
Qu'on le veuille ou non, le comportement des autorités civiles et militaires helvétiques durant les hostilités découlait de la situation inextricable, dès juin 1940, où se trouvait la Suisse. Dépendant de l'importation de produits de première nécessité (acier, charbon, céréales etc.) elle était victime de deux blocus concentriques, l'un exercé par les puissances de l'Axe et l'autre par la Grande-Bretagne, épaulée dès décembre 1941 par les Etats-Unis. Il fallait donc négocier, exporter des armes et de la munition, accorder des crédits. De plus, nous étions sous la menace récurrente du fou à la tête du Reich.
Les chercheurs et membres de la CIE ayant l'armée et ses dirigeants en piètre estime pour des raisons doctrinaires, ont fait peu de cas des problèmes stratégiques. Voir à ce sujet l'opinion du colonel commandant de corps Hans Senn, publiée pages 57 à 82: "Stratégie de survie entre adoption et résistance. Y avait-il d'autres choix?" ex "La Suisse au pilori - Témoignages et bilan à la suite du rapport Bergier" (Ed. Cabédita 2006).
Quant à Ruth Dreifuss, présente il y a un mois à Lausanne, elle a apporté son soutien à ses amis politiques. J'ai toujours eu des rapports cordiaux avec cette personne. Et pourtant!
Avec mon aide active, le professeur d'histoire Rémy Scheurer à l'Université de Neuchâtel, alors Conseiller national libéral, avait déposé une interpellation No. 98.32.42, le 10 juin 1998. Elle était contresignée par cinq conseillers nationaux de tous bords: Verena Grendelmeier, François Lachat, Jean-François Leuba, François Loeb et Jean-Philippe Maître. En voici le texte:
"Le Conseil fédéral ne pense-t-il pas que suite aux attaques virulentes, et afin d'éclairer objectivement notre récent passé, "il serait bien de publier officiellement une liste nominative complète des fugitifs, juifs et non-juifs qui, avant et "durant la Seconde guerre mondiale, trouvèrent refuge en ce pays? Cette liste existe et pourrait être publiée sans recherches supplémentaires. Sa publication ferait pendant à la "liste nominative des propriétaires de fonds en déshérence".
Dans sa réponse du 5 octobre 1998, le Conseil fédéral considère qu'il serait utile que cette liste soit accessible sur Internet et sous forme d'un livre.
Qu'est-il donc advenu de cette décision du CF? La cheffe du DFI, la Conseillère Fédérale Ruth Dreifuss, avec la complicité active des Archives fédérales et de parlementaires de la gauche, avait réussi à enterrer la décision du Conseil Fédéral, traitant ainsi les autres membres du CF par-dessus la jambe! Sans commentaire.
J’avais 12 ans en 1939 et je me souviens fort bien de l’ambiance qui régnait au Tessin pendant toute la durée du conflit. Il faut avoir vécu la période de la MOB pour se rendre compte que le Rapport Bergier n’est que la vision du conflit vue au travers d’une paire de lunettes socialistes.
J’ajoute que, pilote militaire professionnel, dès 1950, j’ai le grade de col EMG .
Je suis reconnaissant envers M. Spira de remettre sur le tapis quelques aspects du rapport Bergier, notamment concernant des contre-vérités dues à l’insouciance et au parti pris idéologique de certains historiens genevois influents.
Je connais bien le cas de Fernand Demierre de l’Arrondissement territorial de Genève. Comme l’explique M. Spira, sa “faute” a été de sympathiser avec les services de renseignements alliés et d’utiliser sa fonction pour soutenir leurs actions. Par exemple le rapatriement d’aviateurs alliés tombés en territoire ennemi. De telles actions ne pouvaient naturellement pas être entreprises à découvert et nécessitaient parfois des falsifications de documents de service.
C’est principalement pour cette raison qu’il a été condamné par le Tribunal militaire lors d’un premier procès pour ” espionnage militaire au préjudice d’un état étranger “. Un deuxième procès mentionne toutefois clairement que l’espionnage s’est fait au détriment de l’Allemagne. Mais – nos historiens n’ont consulté que le compte rendu du premier procès et ont interprété les victimes comme étant les forces alliées !
On y mentionne également des “voies de fait” qui se sont produits à la frontière genevoise. Concernant ces derniers, il est bien difficile d’imaginer que des arrestations faites en temps de guerre se soient toujours passées de manière paisible. Un extrait du témoignage d’Alfred Hecht mentionné par M. Spira en donne un éclairage plus juste:
“…..Ce policier a fait preuve d’une excellente efficacité en éliminant les Nazis de la région genevoise. Il est clair que les milieux Nazis Allemands et Suisses attendaient une occasion pour l’écarter de sa fonction, d’autant plus lorsqu’il se mit à faire beaucoup de bon travail en faveur des sujets alliés, un fait dont ils étaient probablement conscients. Une occasion se présenta lorsque, sous l’effet de la colère, Demierre gifla un sujet Allemand. Une démarche fut promptement entreprise par l’avocat du consulat d’Allemagne, qui visita l’officier supérieur de Demierre à Genève, et lui demanda de prendre des mesures pour satisfaire les Allemands. (…) Cet homme mérite d’être récompensé. J’espère que cela sera fait un jour.
(traduction du texte écrit par Alfred Hecht en 1942)”
Ainsi, Fernand Demierre est qualifié de collaborateur Nazi dans le rapport officiel de Catherine Santschi ” les réfugiés civils et la frontière genevoise…” commandé par le Conseil d’État de Genève ! Je vous donne ici un extrait de mon courrier adressé à Mlle Santschi le 28 mai 2001 lors d’une tentative de rétablir la vérité (courrier resté sans effet):
“….Ce qui me préoccupe en premier lieu est le passage en p.83 de votre rapport ” les réfugiés civils et la frontière genevoise…” où est écrit “… le 22 octobre 1942, le caporal Fernand Demierre …. fut arrêté et inculpé de renseignements au profit des Allemands, et de refoulements illicites, de vol, de faux dans les titres…”. Vous avez amalgamé une série de termes qui ne correspondent pas à ceux de l’acte d’accusation (jugement en Tribunal Militaire de juin 1946) qui dit, notamment : “… de désobéissance ou d’inobservations de prescriptions de service, éventuellement de désobéissance à des ordres généraux ou spéciaux…”, “… soustraction sans dessein d’enrichissement…”, “… faux en documents de service…”. Cette dernière accusation étant d’ailleurs très différente de ce qu’implique “faux dans les titres” dans le sens du Code pénal civil. C’est aussi un terme qui, à ma connaissance, n’existe pas dans le Code pénal militaire ! Quant à la source de la citation “… renseignements au profit des Allemands…”, on ne la trouve nulle part et je ne puis que réitérer ma perplexité !
Pour un homme qui a vu mourir ses trois oncles maternels savoyards durant la 1ère Guerre Mondiale et son cousin germain perdre sa santé dans un camp de travail allemand durant la Seconde, être accusé de collaboration avec le IIIè Reich constitue une insulte suprême et est ressentie comme telle par sa descendance….”
J’ai eu l’opportunité en 2001 de rencontrer M. Sierk Plantinga, des Archives nationales à La Haye, et spécialiste de la deuxième guerre mondiale. Son opinion concernant le travail des historiens genevois: “not very professional”…
On pourrait en dire beaucoup plus au sujet de la désinformation due à l’insouciance ou voulue par idéologie de certains historiens dans cette affaire. Mais, je pense que la principale erreur de Fernand Demierre a été de ne pas s’être présenté à ses procès. L’histoire officielle en aurait gardé un souvenir plus honorable. Dégoûté par la tournure des affaires, il partit en France où on lui octroya très rapidement asile et protection.
Il faut compléter ces informations par celle du lâche et stupéfiant attentisme du DIP genevois,de l’époque, à faire corriger les inepties publiées par un soi-disant éminent historien , relatives au caporal Demierre, et qui sous couvert de pédagogie a diffusé pis que pendre sur ce soldat courageux et ce, comme parole d’Évangile et pain béni, à l’adresse des élèves du cycle d’orientation; or, jamais il n’y a eu diffusion équivalente d’un correctif qu’attendaient tous ceux qui sont soucieux d’abreuver leurs élèves aux meilleures sources de la connaissance; et alors que l’ouvrage mensonger est encore dans les bibliothèques à disposition du premier naïf venu, on n’y trouve pas jointe la correction qu’il faudrait; rien n’a été fait pour montrer en exemple cet excellent caporal, rival détesté de son lieutenant Odier, et signaler en particulier les récompenses qui lui ont été remises par les chefs des Alliés après la guerre; on fera bien de se reporter aux textes de Henry SPIRA, il y a tout et encore le reste. Bonne lecture !
Né en 1928, J’avais 17 ans à la fin de la guerre. Le rapport Bergier m’a toujours fait souffrir par son injustice flagrante. Vous avez raison de mettre l’église au milieu du village. Bravo…!.et merci.
Roger Uldry, 25 Ancien Stand, 1820 Montreux
Suis aussi un ancien major d’aviation……