Le corps des Suisses en nue-propriété ?
Depuis près de deux décennies, Verts et radicaux, Luc Recordon et Félix Gutzwiller, militent activement pour un accès ouvert au commerce du vivant. Dernière trouvaille en date, le consentement présumé sur l'air du "qui ne dit mot consent", adage diamétralement contraire à la doctrine juridique suisse pour qui le proverbe inverse "qui ne dit mot ne consent pas" seul prévaut.
Le problème éthique qui a retenu la main de nos conseillers aux Etats sur cette question réside, pour une part, dans la définition exacte de la notion de "mort". En effet, dans les cas des organes indispensables à l'existence, le coeur par exemple, les tissus se nécrosent sitôt survenu le décès, c'est pourquoi il a été nécessaire d'inventer la notion de "mort cérébrale" par opposition à celle de "mort": un patient au cerveau gelé mais au corps fonctionnant encore, naturellement ou artificiellement. Cette notion de mort cérébrale repose notamment sur une appréciation subjective de "qualité de vie" en cas de redémarrage surprise des fonctions cérébrales. Des cas de réveil complet du patient au moment de la récolte de ses organes sont déjà survenus. Les études les plus récentes ont démontré que la reconnaissance de l'activité cérébrale n'en était, somme toute, qu'à ses balbutiements.
Bref, en clair, si vous avez un électroencéphalogramme plat, le diagnostic de mort cérébrale tombera et vous passerez dans la catégorie des donneurs potentiels sans qu'il soit fait plus d'efforts que cela pour vous récupérer. On vous pousse dans les bras de Charon pour qu'un malade, dont l'espérance de qualité de vie a été jugée meilleure que la vôtre, puisse profiter de vos pièces détachées.
Au vu des dernières avancées en termes de reconstruction d'organes par culture de cellules souches adultes et surtout au vu des problèmes liés au risque de rejet, la transplantation est à considérer comme une technologie du passé. L'intérêt est avant tout commercial, car, si la matière première, vos organes, est gratuite, la plomberie, quant à elle, est facturée comptant.
Autre problème éthique, l'obstacle du consentement des proches en cas de non détermination du "mort" durant sa vie. C'était d'ailleurs là l'objectif même de cette discrète tentative: court-circuiter l'avis des proches au cas où le parent (plus ou moins) défunt aurait oublié de se faire inscrire sur un registre de refus de don, et imposer légalement ce silence ou cet oubli au rang de consentement explicite.
Ce dernier point révèle une avidité sans fond de la part des plus brillants représentants élus des Pharmas, chirurgiens vedettes et autres compagnies d'assurance. Votre corps leur appartient, à tel point d'ailleurs que, si vous voulez vous en réserver la propriété, la jouissance et l'usufruit exclusifs, il faut pratiquement passer devant notaire. Clémenceau résumait cette pensée d'un mot:
"Rendez à César ce qui est à César... et tout est à César !"
Tout est à l'Etat, même vous, même tout de vous. Mais, rassurez-vous, vous ne souffrirez pas, vous serez officiellement mort. La logique de ces pilleurs de cadavres est implacable:
"On peut penser que la personne qui ne prend pas soin de régler cette question de son vivant n'y accorde pas une importance considérable. Bien sûr, il y a des personnes qui n'y pensent même pas et qui rétrospectivement seraient très malheureuses d'avoir manqué cela. Seulement, au moment où elles devraient être malheureuses, elles sont mortes, donc elles ne peuvent plus être malheureuses et la question ne se pose plus. On ne va pas tenir compte de droits rétrospectifs de la personnalité." (Recordon)
Et pourtant, le respect dû à la paix des morts est un effet rétrospectif de la dignité attachée à la personnalité de l'être vivant. Un Etat qui n'a même plus la conscience du respect de ses défunts est un Etat cliniquement mort.
Et si on le débranchait ?
Et vous, qu'en pensez vous ?