Wikipédia, des militants y manipulent

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Lancée au début des années 2000, l’encyclopédie collaborative en ligne a connu un succès foudroyant. Des militants tentent désormais (et semble réussir parfois) d’y imposer leurs contre-vérités en multipliant les cibles. Un article de l'hebdomadaire Point de Paris qui a fait les frais de ce militantisme peu professionnel.

Une encyclopédie collaborative en ligne, regroupant des articles écrits par le premier venu, sans validation par des experts en comité de lecture ? Lorsque le projet Wikipédia démarre au début des années 2000, même ses fondateurs, Jimmy Wales et Larry Sanger, nourrissent quelques doutes.

Le point du soir

Contre toute attente pourtant, le succès va se révéler foudroyant : en quelques années seulement, Wikipédia s'impose comme une source d'information beaucoup plus foisonnante et souvent aussi fiable que les encyclopédies traditionnelles. Le concept est d'une simplicité confondante : n'importe qui peut écrire sur n'importe quel sujet.

Création, modification d'un article… Absolument tout est permis, sans autorisation préalable et sans formation. Les articles nouvellement créés sont aussitôt mis en ligne. Ils sont censés respecter une seule règle d'or : le contenu doit être neutre et fondé sur des informations vérifiables provenant de sources fiables.

Dans un second temps, une communauté de bénévoles relit et corrige. La Wikimedia Foundation, créée en 2003 et basée en Floride, intervient le moins possible dans les contenus. Les coûts – magie du bénévolat – sont dérisoires. L'association Wikimédia France, qui fête ses 20 ans cette année, supervise environ 2,65 millions d'articles en ligne en 2023, avec moins de 15 salariés et seulement 1,49 million d'euros de budget.

Aucune ressource publicitaire. Wikimédia France, qui a eu l'agrément de l'Éducation nationale, reçoit son argent principalement de la Wikimedia Foundation américaine (445 000 euros), de subventions (375 000 euros) et de dons de particuliers (595 000 euros).

Rumeurs malveillantes

Les audiences sont impressionnantes : avec 3,8 millions de visiteurs par jour, Wikipédia fait partie des dix sites francophones les plus visités. Bien entendu, les canulars pleuvent. Wikipédia les déjoue rapidement grâce à la vigilance collective des contributeurs, assistés par des robots antivandalisme. Les articles sur la « mouche tsoin-tsoin » ou sur l'« abolition de l'heure du thé en Angleterre » n'ont pas survécu longtemps.

Malheureusement, il existe des plaisanteries qui s'éternisent et qui ne font rire personne. À mesure que la communauté de bénévoles s'élargit, les pages criblées de fausses informations et de rumeurs malveillantes se multiplient… Sans que Wikipédia France, informé, y trouve à redire. Le modèle collaboratif aurait-il atteint ses limites ?

Dans sa version francophone, l'encyclopédie voit environ 17 000 contributeurs effectuer au moins une modification dans le mois. Parmi eux, 150 administrateurs forment une élite : vétérans du site, arbitres des conflits entre auteurs, ils sont en mesure de suspendre provisoirement ou définitivement ceux qui passeraient les bornes.

Hélas, ces administrateurs ne sont eux-mêmes pas toujours neutres, et ils ne peuvent pas être partout. Lorsqu'une poignée de contributeurs militants, très organisés, rassemble une coalition de circonstance pour dévoyer totalement un article de l'encyclopédie, rien ne peut les arrêter.

Le glyphosate, un cas d'école

Thématiques, entreprises, personnalités… Les exemples regorgent de pages totalement polluées par des groupes motivés par des agendas politiques ou idéologiques. La page consacrée au sulfureux glyphosate est un cas d'école : dans sa version anglaise, l'article qui lui est consacré traduit le consensus des agences sanitaires mondiales, expliquant qu'il n'existe aucune preuve d'effet cancérogène sur l'homme de l'herbicide le plus vendu au monde.

La page en français, au contraire, assène d'emblée que le glyphosate est classé comme « probablement cancérogène » par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) – un avis pourtant isolé –, développant avec un luxe de détails extravagants les suspicions terribles qui pèsent sur le produit.

L'historique des interventions sur la page étant transparent, chacun peut vérifier qu'une seule personne, intervenant sous le pseudonyme de « Factsory », est responsable de 22 % des modifications faites sur la page du glyphosate et de l'immense majorité de celles qui insistent sur sa dangerosité présumée.

Le Point a identifié Factsory, maître de conférences en informatique à l'université de Lille. Contacté, il dit n'avoir aucune compétence particulière sur le sujet, n'étant spécialiste ni des produits phytosanitaires ni de toxicologie. Son acharnement contre le glyphosate est une croisade personnelle. Contre l'avis de l'écrasante majorité des scientifiques, il pense que le produit est une catastrophe sanitaire et milite activement pour que la société entière s'aligne sur ses vues.

Factsory n'aime pas être contredit. Sa virulence, qui lui a valu d'être bloqué par les administrateurs de Wikipédia sur plusieurs pages, s'étend à ses contradicteurs : l'Association française pour l'information scientifique (Afis), qu'il injurie copieusement sur son blog, et Le Point.

L'informaticien inonde les réseaux sociaux de messages dénigrant l'hebdomadaire, qu'il accuse de donner la parole à des experts en désaccord avec ses vues. Il rédige des modèles de plaintes, invitant ses lecteurs à saisir le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM) contre le journal – il fournit clés en main les argumentaires.

Le CDJM, au nom ronflant, est en réalité une simple association, non reconnue par le Syndicat de la presse magazine et d'information et ne représentant que sa centaine de membres, dont plusieurs ne sont pas journalistes. En un mot, Factsory est un militant. Et sur Wikipédia comme dans la rue, les militants actuels – écologistes radicaux, islamistes, « antifas »… – s'organisent avec une efficacité redoutable.

« Le Point » devient une cible

Depuis plusieurs mois, une poignée de radicalisés 2.0 ont ainsi entrepris de donner du Point une image calamiteuse, notre magazine étant présenté sur Wikipédia comme « islamophobe », « d'extrême droite », d'une déontologie et d'une fiabilité douteuses. On lit par exemple sur Wikipédia que, « de manière récurrente, Le Point s'est livré à des actes de diffamation à l'encontre du Monde diplomatique ».

Assertion surprenante… Jamais Le Monde diplomatique n'a fait condamner Le Point pour diffamation. Le journal n'a pas davantage été condamné pour « islamophobie », concept fumeux souvent mobilisé pour intimider les critiques de l'islam radical.

Pour étayer leurs accusations de « manquements déontologiques », les contributeurs de la page s'appuient sur des « sources secondaires », comme le veut le règlement, constituées d'articles issus de blogs militants ou d'avis rendus par le CDJM, lui-même instrumentalisé. La boucle est bouclée.

La charte de Wikipédia interdit l'« importance disproportionnée » – c'est-à-dire de faire enfler démesurément un aspect mineur d'un sujet. Les contributeurs n'en ont cure : certains articles du Point, traitant de l'islamisme, des questions de genre ou de l'écologie radicale, leur ont déplu. Faute de pouvoir contester des enquêtes solides, la manœuvre consiste à saper la crédibilité du messager dans son ensemble.
Parler de l'attentat du Bataclan ? « Islamophobe »...

La moitié de la page Wikipédia du Point a été rédigée par une contributrice nommée « JMGuyon ». Nous pensons l'avoir identifiée. Ce serait une traductrice et rédactrice indépendante, basée dans le sud de la France. Pour étayer ses accusations d'islamophobie envers Le Point, JMGuyon cite une étude selon laquelle, entre 2013 et 2015, « 86 % des couvertures [du magazine] portant sur l'islam sont négatives ». Un chiffre amalgamant sans scrupule islam et islamisme, et taxant d'« islamophobes » les couvertures de 2015 sur la tuerie de Charlie Hebdo ou sur les attentats du Bataclan !

Les obsessions de JMGuyon basculent parfois dans le loufoque. Elle est intervenue sur la page biographique de notre directrice de la rédaction, Valérie Toranian, l'accusant d'avoir donné à l'hebdomadaire féminin Elle, qu'elle a dirigé de 2002 à 2014, « une orientation proche de l'extrême droite islamophobe ». Il n'était pourtant question que de défendre les femmes contre l'oppression de l'islamisme radical. JMGuyon est épaulée dans son incessant travail de sape par quelques contributeurs. Parmi eux, « Sijysuis » (lui-même en lien avec Factsory sur certaines pages de l'encyclopédie) ainsi que « Lewisiscrazy ». Nous avons également identifié ces deux wikinautes expérimentés. Ils sont respectivement professeur d'histoire à Rennes et directeur de recherche dans un laboratoire de chimie rattaché au CNRS à Marseille.

Ces contributeurs, qui ont tous décliné nos demandes d'entretien, ont des idées très arrêtées sur de nombreux sujets. Pour Lewisiscrazy, par exemple, il est « islamophobe » d'écrire que les meurtriers présumés de la petite Lola en 2022 et de l'étudiante Philippine Le Noir de Carlan en 2024 étaient respectivement une Algérienne et un Marocain sous obligation de quitter le territoire français (OQTF). Il a retiré le rappel de ces deux affaires dans l'article consacré aux OQTF. Et censure fréquemment les références au Point sur Wikipédia.

Wokisme, islamisme, écologie radicale

Notre magazine n'est évidemment pas la seule cible des activistes de l'encyclopédie en ligne, qui peuvent s'appuyer, dans leurs multiples croisades, sur un faisceau de sources dont la fiabilité, selon eux, n'est pas discutable : Télérama, Mediapart, Arrêt sur images, Reporterre, Libération…

La vérité est à gauche, tendance ultraprogressiste. Et quiconque aura osé une analyse critique du wokisme – et en particulier des excès des militants de la cause trans – ou tenu une ligne intransigeante face à l'islamisme ou face aux dogmes de l'écologie radicale sera frappé de leurs foudres. Wokisme, islamisme, écologie radicale : voilà le tiercé gagnant des sujets sensibles qui exposent à des représailles sur Wikipédia. Le Point coche toutes les cases.

C'est également le cas de Caroline Fourest, directrice de la rédaction de Franc-Tireur, contrainte de composer avec une page très à charge insistant lourdement sur ses présumés « mensonges » et « entorses à la déontologie », là encore sous l'influence de quelques contributeurs.On découvre aussi, si l'on se fie à la page Wikipédia d'Eugénie Bastié, que celle-ci « fait de la poésie avec Renaud Camus, inventeur de la théorie du “grand remplacement” ». En réalité, cette éditorialiste du Figaro avait exprimé son désaccord avec l'auteur sous forme de vers, en 2015, sur les réseaux sociaux.

Délit d'opinion

Depuis des années, des wikinautes s'acharnent à la présenter comme la pire des réactionnaires. « J'en ai perdu le sommeil à une époque, confie l'éditorialiste, et puis j'en ai pris mon parti. Quand on est attaqué sur Wikipédia, il faut se dire qu'on n'a pas le droit de se défendre, sauf à être accusée de faire de l'autopromotion. » À la manœuvre contre Eugénie Bastié, encore Lewisiscrazy et Sijysuis ! L'animateur Mac Lesggy s'est heurté au même mur. Au prétexte qu'il défend l'agriculture conventionnelle, il est présenté comme vendu aux lobbys de l'agro-industrie. Il lui a été « fortement déconseillé » d'intervenir sur sa propre page, sabotée là encore par des anonymes.

La géographe Sylvie Brunel, engagée pendant dix-sept ans à Médecins sans frontières puis à Action contre la faim, est frappée du sceau infamant de « climatosceptique » (ce qu'elle n'est pas) pour avoir osé relativiser, dans le passé, l'ampleur du réchauffement climatique et dénoncé des discours alarmistes aveugles, selon elle, aux besoins du tiers-monde. Pour ses détracteurs, le délit d'opinion est avéré. En vain, elle tentera de faire modifier sa page… « Wikipédia n'est plus une encyclopédie, juge-t-elle. C'est un réseau social qui ne dit pas son nom. »

Censure partielle

Le sociologue Marcel Gauchet, cofondateur de la revue Le Débat, a eu plus de chance : quelques contributeurs combatifs ont protégé sa page contre les tentatives de sabotage, consistant comme souvent à exhumer d'obscures critiques pour cribler sa biographie de qualificatifs disqualifiant (« ultraréactionnaire », « au service des puissants »…). « Pourquoi supprimer la bibliographie de l'auteur au profit de critiques dérisoires d'auteurs insignifiants, mais idéologiquement très orientés ? » s'indigne un wikinaute.

En 2012, l'écrivain américain Philip Roth a écrit à l'encyclopédie en ligne pour corriger une interprétation erronée de son roman La Tache. « Je comprends votre point de vue, selon lequel l'auteur fait forcément autorité sur son propre travail, mais nous exigeons des sources secondaires », lui a répondu un administrateur. Lunaire…

C'est aussi en se réfugiant derrière des « sources secondaires » soigneusement sélectionnées que des encyclopédistes militants miment la neutralité. Leur but est transparent. Il s'agit de combattre les discours contraires à leurs vues, en sapant la crédibilité des figures ou des médias qui les portent. Dans les discussions en ligne, il a ainsi été sérieusement question l'an dernier de bannir Le Point des sources recevables sur Wikipédia ! La manœuvre était énorme. Des wikinautes ont protesté.

Pour contourner l'obstacle, un contributeur intervenant sous le pseudonyme de « Woovee » avait suggéré une censure partielle. Le Point ne serait plus recevable sur les sujets en rapport – selon lui – avec l'islamophobie. Immigration, Gaza, terrorisme, faits divers, politique étrangère, burkini… Vaste programme, déjà partiellement mis en œuvre. Nos informations exclusives sur Rima Hassan ont été plusieurs fois censurées sur Wikipédia. Aucune « officine » n'encadre ces pratiques : nous sommes attaqués par des particuliers qui ne se voient pas comme des censeurs, mais comme les résistants d'une armée des ombres numérique. C'est sans doute ce qui leur donne cette énergie impressionnante. JMGuyon est intervenue des centaines de fois sur notre page, parfois au milieu de la nuit.

Prises pour cibles

Contacté, Wikimédia France botte en touche. L'association s'abrite derrière une clause générale de non-responsabilité. Elle ne se sent pas responsable de ce que publient les contributeurs. Y compris lorsqu'ils font partie, comme JMGuyon, des Sans pagEs… Cette association de droit suisse, créée en 2016 pour lutter « contre les déséquilibres de genre sur les articles de l'encyclopédie », vit pourtant en symbiose avec Wikimédia France, qui lui a versé plusieurs dizaines de milliers d'euros ces dernières années. Jusqu'en novembre 2024, Capucine-Marin Dubroca-Voisin, trésorière des Sans pagEs, était aussi présidente de Wikimédia France. Prompts à voir de la transphobie partout, les Sans pagEs ont largement diffusé ce travers sur Wikipédia.

La page de J. K. Rowling, dans ce registre, atteint des sommets. Les accusations de transphobie de l'autrice mondialement célébrée de la série littéraire Harry Potter occupent des paragraphes entiers. Wikipédia la présente comme une négationniste « niant la persécution des personnes transgenres par les nazis et les autodafés de 1933 », ce qui ferait « ressurgir les accusations d'antisémitisme » larvé de la série Harry Potter. Comprenne qui pourra. Les voix raisonnables ont perdu ce qu'on appelle, dans le jargon de Wikipédia, la « guerre d'édition ».

Prise pour cible par d'autres croisés (dont l'inépuisable Factsory), Géraldine Woessner, rédactrice en chef au Point, de guerre lasse, a obtenu la suppression pure et simple d'une page totalement à charge, créée sans qu'elle le demande en 2022. Dans le cas du Point, un tel retrait serait difficilement concevable. Il est légitime que le premier hebdomadaire généraliste de France apparaisse dans l'encyclopédie en ligne.

Hausser les épaules et ignorer les critiques ? Dangereux. Les algorithmes de recensement des moteurs de recherche accordent un grand crédit à Wikipédia. Un média souvent cité sera considéré comme fiable. Ses articles remonteront plus haut dans les résultats de recherche. Tenter de bannir Le Point des sources admises n'est donc pas anodin. Miner l'audience de notre site, voilà le but.

La partie n'est pas perdue. Courant septembre 2024, Woovee a été temporairement banni de Wikipédia pour « propos antisémites »… En attendant, le constat demeure : une poignée de contributeurs hyperactifs peut transformer une page Wikipédia en chasse gardée et travestir la réalité pendant des mois, voire des années. Que reste-t-il d'une encyclopédie quand elle a perdu toute crédibilité ?

Voir aussi

Les
activistes de la cause transgenre et de l'ultraféminisme ont pris une
place considérable dans Wikipédia, instances dirigeantes comprises

Elon Musk contre Wikipédia, jugé trop « wokiste » : Idiopédia/Bitopédia/Wokopédia

Co-fondateur de Wikipédia : je ne fais plus confiance au site que j’ai créé (vidéo + exemples de parti-pris)

Article de Larry Sanger sur la partialité croissante de Wikipédia avec exemples (en anglais)

Wikipédia et le gouvernement britannique auraient décidé de censurer le débat sur le climat

Co-fondateur de Wikipédia : je ne fais plus confiance au site que j’ai créé

Wikipédia et les GAFAM : parti pris et désinformation sur le « grand remplacement »

Le cas de Bret Weinstein (PhD en biologie, ancien professeur d’Evergreen college) et de l’article qui lui est consacré sur Wikipédia 

 

 

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