Réenchanter le monde – L’Europe et la beauté, d’Étienne Barilier

Francis Richard
Resp. Ressources humaines
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L'heure est au constat du décès de l'Europe. Définitivement accablés de nos laideurs passées, de notre débilité présente, nous ne songeons plus guère à nous souvenir de nos beautés, et moins encore à puiser en elles des raisons de vivre.

 

Dans ce livre, au contraire, Étienne Barilier aide le lecteur européen à se souvenir des beautés et du meilleur que l'Europe a donné dans ses oeuvres, à en tirer des raisons de ne pas désespérer et de s'aimer à nouveau.

 

Il commence par rendre à Platon ce que l'Europe lui doit. Car c'est lui qui lui a donné l'Idée du Beau, à laquelle il a associé deux autres Idées encore plus abstraites, celles du Bien, qu'il identifie à l'Être, et du Vrai.

 

Puis il passe à Dante qui célèbre la beauté de Béatrice au sourire divinement ravageur. Dans Le Paradis il tente de transférer dans le Bien la lumière du Beau, puisque le Beau seul est lumineux pour les yeux humains.

Dans L'Enfer, dans le récit de Paolo et Francesca, le Beau finit par absorber le Bien: la beauté triomphe parce que le sourire demeure celui d'un visage humain, au terme de l'ascension que permet un éros heureux.

 

L'auteur commente une statue de Stefano Maderno, que l'on peut admirer aujourd'hui à l'église Santa Cecilia in Trastevere. Pour représenter la sainte, il s'est inspiré d'oeuvres antérieures, car rien n'est vrai que le beau:

Un dessin réalisé peu après la découverte de la tombe, montre la sainte dans une toute autre attitude.

Le portrait d'une jeune fille, attribué à tort à Guido Reni, a longtemps été censé représenter une parricide, Béatrice Cenci, morte le 11 septembre 1599, de la même manière que la sainte. Ce fut une nouvelle erreur féconde.

En effet ce portrait sera à l'origine de créations littéraires d'une étonnante richesse, de Shelley à Artaud en passant par Hawthorne, Melville, Stendhal ou Dumas, sans parler des arts plastiques, de la musique ou du cinéma:

À la faveur d'une méprise [...] la beauté a pu se faire passer pour la vérité.[...] Nous reconnaissons que le Beau puisse révéler le Vrai, non qu'il doive s'y substituer. Cependant, il ne faut pas se cacher que le prix à payer est lourd: le désenchantement du monde.

 

Autre exemple: Paysage d'Acis et Galatée de Claude Lorrain a fait réagir Dostoïevski, Nietzsche et Goethe. Pour le premier, le Beau met en évidence le Vrai, pour le deuxième, il est le Vrai, pour le troisième, il conduit au Vrai.

 

Comme on le voit, la beauté dans les oeuvres n'est pas du tout considérée de la même manière par les grands esprits. L'auteur va plus loin et pose, et se pose, d'autres questions à propos de réactions devant d'autres oeuvres:

  • N'existe-t-il pas une beauté du diable?
  • Si le beau peut mentir, cela ne signifie-t-il pas que le Bien et le Vrai peuvent en faire autant?
  • Le vrai drame n'est-il pas plutôt qu'on ne la [la beauté] reconnaît plus?
  • Peut-on rompre entièrement et sans dommage le lien entre la beauté ou la souffrance ou l'amour du monde et la beauté ou la souffrance ou l'amour exprimés dans l'oeuvre?

 

La vision que d'autres civilisations, telles que la japonaise, se sont faite de la beauté peut nous aider à retrouver une idée toute simple que la critique et l'autocritique européennes ont progressivement effacée de notre vue:

Nous avons besoin de beauté, aujourd'hui plus que jamais.

En effet l'Europe est le continent de la démocratie, cette étrange invention dont la fin est d'atténuer, autant qu'il se peut collectivement, la souffrance et l'injustice. Car la démocratie est beaucoup plus qu'un régime politique:

Elle se fonde sur l'idée que la personne est la valeur suprême. Le suffrage universel n'est qu'une conséquence, obligée mais indirecte, de cette idée essentielle. La démocratie est inséparable de l'idée de personne, et cette idée, l'Europe l'a dotée, si j'ose dire d'une triple conscience, celle du beau, du bien et du vrai.

 

Reconnaître que la vérité et la bonté sont aussi sacrées que la beauté, c'est gagner en humanité. De dignité et grandeur égale, elles sont le plus haut modèle de ce que nos démocraties appelleront séparation des pouvoirs:

Le pouvoir de légiférer, ce serait le vrai; le pouvoir de juger: le bien; le pouvoir de régner, le beau, car tout pouvoir, même démocratique est un charisme.

 

Aujourd'hui n'en sommes-nous pas bien loin?

Le seul espoir de préserver et de perpétuer notre idéal de l'humain, c'est d'accepter et de vivifier l'idéal dont il est le fruit.

 

Francis Richard

 

Réenchanter le monde - L'Europe et la beauté, Étienne Barilier, 176 pages, PUF

 

Livres précédents:

 

Le piano chinois (2011) Éditions Zoé

Ruiz doit mourir (2014) Buchet-Chastel

Les cheveux de Lucrèce (2015) Buchet-Chastel

Dans Karthoum assiégée (2019) Phébus

Noor (2023) Phébus

 

Publication commune LesObservateurs.ch et Le blog de Francis Richard

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