« L’Europe a fini par assassiner la voix des peuples », assurent Ghislain Benhessa et Guillaume Bigot

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Depuis des années en France, les crises s’enchaînent : “bonnets rouges” et “gilets jaunes”, agriculteurs asphyxiés et retraités revendicatifs. « L’Europe endosse une responsabilité majeure dans l’accélération de la dégringolade et la dépossession vécue par lesFrançais », déplorent Ghislain Benhessa et Guillaume Bigot dans On marche sur la tête !, un livre coup de poing. L’avocat et enseignant à l’université de Strasbourg et le docteur en sciences politiques, éditorialiste sur CNews et Sud Radio, détaillent l’asservissement dans lequel se sont plongés les pays membres de l’Union vis-à-vis des structures communautaires. À l’aide de nombreux exemples, ils montrent comment la démocratie n’est plus de mise dans l’Union et comment le droit européen règne en maître. De quoi mieux comprendre le désamour actuel.


Valeurs actuelles. Dans nombre de domaines, l’heure est à la sinistrose. Vous affirmez que l’Europe endosse une responsabilité majeure dans l’accélération de la dégringolade. Pourquoi ?
Guillaume Bigot On nous a vendu l’inéluctabilité de l’Europe comme la conséquence de la nanification de la France. Et lorsqu’on vous explique pendant quarante ans que votre pays n’est plus rien, que votre État ne peut plus rien, vous finissez par le croire et sombrez dans la déprime. Certes, les Français individuellement ne vont pas si mal. Mais leur avenir collectif est plombé. Sans compter que vivre comme citoyen d’une démocratie avec l’idée que l’avenir n’est pas écrit d’avance, et vivre comme sujet passif d’une organisation internationale – l’Union européenne – sur laquelle vous n’avez aucune prise et qui ne sait que se soumettre, c’est une situation déprimante.

La défiance à l’égard des peuples, la volonté explicite de les évincer comme souverains sont lisibles dans l’ADN de la construction européenne.

Ghislain Benhessa. L’Europe est un créateur (au pire) ou un accélérateur (au mieux) des maux qui frappent notre pays. Son emprise empêche les politiques de décider et l’État d’agir. Les exemples sont légion – c’est pourquoi nous en déroulons bon nombre tout au long du livre. Prenons l’agriculture : le gouvernement jure qu’il a entendu la colère des paysans. Mais les traités de libre-échange sont votés, au niveau européen, à la majorité qualifiée. En clair, même si la France envoie valser l’accord avec le Mercosur, qui verra une flopée de produits d’Amérique latine (bœuf, porc, volaille, riz, sucre) moins chers, déliés des contraintes européennes, inonder le marché, elle ne pourra pas s’y opposer. Dans tous les domaines, c’est la même chanson. Prenons la réforme des retraites, dont une majorité de Français ne voulait pas : elle a été imposée par Bruxelles, qui conditionnait l’octroi d’investissements en faveur de Paris à la refonte du système de retraites. Autre exemple : les frontières. Elles ont été abolies par l’Europe, dont les juges font aujourd’hui tout pour empêcher qu’elles ne soient rétablies. Résultat, les forces de l’ordre n’ont plus le droit de refouler un étranger arrivant en France sans autorisation de séjour. Cerise sur le gâteau, les frontières extérieures de l’Union sont une passoire à travers laquelle se faufilent les clandestins… L’Europe désarme et liquéfie les États, qui ne sont plus que des provinces administrées depuis Bruxelles.

Vous écrivez que « l’histoire de l’Europe est celle d’un viol ». N’est-ce pas un peu fort ?
G. Benhessa. En cette période où il est sans cesse question de consentement, c’est précisément ce dont l’Europe s’est toujours fichue comme d’une guigne. Au diable le consentement des peuples ! Et ce, depuis le départ. Même les sceptiques prétendent que l’histoire a mal tourné, que l’Europe, cette belle idée, a viré au cauchemar sous l’effet de mauvaises décisions. Comme s’il était possible de modifier sa trajectoire d’un simple coup de volant. Monumentale erreur ! Dès 1962, les juges européens, qui ne sont pas élus, inventent le principe de primauté. Voilà qu’une obscure cour située à Luxembourg, que personne ne connaît, impose la supériorité de l’arsenal européen sur les lois nationales. La suite ne fera que confirmer le programme. Directives, règlements, avis, recommandations : tous ces textes s’imposent, sans que les citoyens n’en aient jamais ou presque été informés. D’ailleurs, qu’est-il advenu lorsque les Français ont été consultés ? En 1992, le référendum sur le traité de Maastricht donne lieu à la plus invraisemblable propagande en faveur du “oui” – qui l’emporte de seulement 500 000 voix. En 2005, les Français rejettent en masse la Constitution européenne, le “non” l’emportant avec près de 3 millions de voix d’avance. Pourtant, nos députés ratifieront trois ans plus tard le traité de Lisbonne, qui n’est qu’un copier-coller scandaleux du texte de 2005. Au début, l’Europe a avancé dans le dos des peuples. Elle a fini par assassiner leurs voix.

G. Bigot. L’expression de déficit démocratique relève du doux euphémisme. La défiance à l’égard des peuples, la volonté explicite de les évincer comme souverains sont lisibles dans l’ADN de la construction européenne. 2005 n’est pas un accident. Comme le disait fort bien Philippe Séguin avant la ratification du traité de Maastricht, ce que l’on propose au peuple, c’est l’anti-1789. La construction européenne décapite la démocratie directe. Pas par accident, mais par volonté assumée.

Quelle est, à vos yeux, la règle la plus liberticide pour les États qui fut imposée par l’Europe ? Celle que vous aboliriez en premier…
G. Bigot. Le plus consternant, c’est cette capacité de Bruxelles à prétendre que, pour protéger les libertés fondamentales, il faudrait absolument les détacher de la démocratie, les mettre à l’abri des référendums et des élections pour en confier la garde exclusive à quelques juges. Pourtant, le droit de vote est la pierre angulaire de tout État de droit. Un système qui réduit la portée du suffrage universel bafoue le fondement même des droits de l’homme, qui ne sont pas détachables de la démocratie. Qu’est-ce que cet État de droit européen dans lequel ce ne sont plus les citoyens qui font le droit mais des juges inspirés par des lobbies et des technocrates ? D’ailleurs, à Bruxelles, la démocratie directe est battue en brèche de partout. La Commission n’est pas élue. Les parlementaires sont mal élus (plus de 50 % de taux d’abstention depuis le départ). Les chefs de gouvernement qui représentent leur peuple au sein du Conseil européen peuvent être mis en minorité. Les “élites”, acquises à l’européisme, ont pourtant réussi à persuader leur peuple que toute mise en cause de cette camisole démocratique exprimerait une pulsion autoritaire. Alors que l’Union détruit chaque jour un peu plus la République, ceux qui s’avisent de la critiquer sont exclus de l’arc républicain. Cette aliénation est liberticide.

G. Benhessa. L’Union maîtrise comme personne l’art pervers d’inverser le sens des mots, qu’Orwell avait déjà pointé du doigt. Elle, dont le fonctionnement n’est nullement démocratique, prétend être l’incarnation de la démocratie. Elle se veut la championne de l’État de droit, alors même que sa Commission décide de tout, au mépris du Parlement et du suffrage populaire. C’est l’institutionnalisation du renversement des valeurs.

Vous dites qu’une « sorte de marxisme inversé imprègne l’européisme ». De quoi s’agit-il ?
G. Bigot. L’utopie européiste, qui consiste à remplacer des États-nations par une organisation internationale molle, est née de deux traumatismes : ceux du nazisme et du bolchevisme. Le traumatisme du nazisme s’exprime de mille manières au sein de l’Union : songeons à cette incapacité pathologique de Bruxelles à refouler des migrants, qui va de pair avec une xénophilie maladive et une surprotection des droits de l’individu. Mais le bolchevisme – avec son mépris des droits individuels et sa prétention à dominer l’économie – n’a pas laissé un meilleur souvenir. En consacrant dans ses traités le marché libre et non faussé, le libre-échange, la rigueur budgétaire, Bruxelles cherche à empêcher tout écrasement des forces productives par l’État. Ainsi, sans même s’en rendre compte, l’Union fonctionne à la manière de l’URSS, qui avait inscrit le marxisme – donc une doctrine économique – dans sa Constitution. Dans un État “normal”, démocratique, le choix de la politique économique (plus ou moins de marché, plus ou moins d’impôts) est laissé à l’appréciation des citoyens et n’est pas verrouillé par un droit intangible. Or, l’Union a inscrit le libéralisme dogmatique et idéologique, conçu comme un marxisme inversé, un antidote au retour du communisme, au frontispice de ses traités fondateurs.

G. Benhessa. Ce qui me frappe, c’est combien l’Europe verse dans la bureaucratie quasi soviétique. L’omnipotence de sa Commission, les miettes laissées au Parlement, le poids de ses juges, l’absence de transparence dans le choix de ses hommes liges, tout suinte l’obscurité. Preuve en est le cas d’Ursula von der Leyen : la patronne de la Commission est soupçonnée d’avoir négocié un contrat d’achat de vaccins avec le patron de Pfizer, pour la modique somme de 36 milliards d’euros, par simple SMS. Soit au mépris de la transparence la plus élémentaire. Pourtant, la voilà qui brigue un nouveau mandat. Et l’on s’étonne que la défiance explose…

Les juges se seraient assis dans le fauteuil du souverain. Comment ? Et quelles en sont les conséquences ?
G. Bigot. Ils se sont moins assis dans le fauteuil du souverain qu’ils ne veillent scrupuleusement à ce que celui-ci reste vide. L’Union exprime une volonté d’impuissance collective. Le principal étant de s’assurer que les 27 peuples européens ne soient plus maîtres chez eux. Comme l’avait parfaitement pressenti le général de Gaulle, le fédéralisme sans fédérateur aboutit à attacher les peuples les uns aux autres, à faire en sorte qu’ils se neutralisent les uns les autres. Ce mécanisme livre l’Europe aux appétits et à la prédation des puissances non européennes : Chine, États-Unis, Russie, etc.

La première étape est de restaurer la suprématie de notre Constitution, parchemin sacré du peuple de France.

G. Benhessa. À mon sens, tout est résumé dans cette phrase prononcée dès 1965 par Walter Hallstein, militant hitlérien durant la guerre devenu premier président de la Commission européenne : « La Communauté n’a pas d’infrastructure administrative, pas de pouvoir direct de coercition, pas d’armée, pas de police. Son unique instrument, sa seule arme, c’est le droit qu’elle fixe. » L’Europe n’étant rien d’autre qu’un conglomérat transnational, sans identité ni racine, elle a trouvé dans le droit son meilleur allié. Rien de plus pratique que d’inventer une montagne de règles, interprétées de façon extensive par ses juges. Qui sont devenus ses fantassins zélés.

Comme le relève le journaliste Charles Sapin, si le discours eurocritique prend de l’ampleur, l’euroscepticisme devient plus ténu. Malgré ses défauts, l’Union pourrait apparaître comme un refuge face aux conflits ukrainien et israélo-palestinien. Faut-il rester dans l’Europe en espérant la changer de l’intérieur ? Ou faut-il en sortir ?
G. Benhessa. Ce qui me sidère, c’est que personne ou presque n’ose remettre en cause la légitimité de cet assemblage hors-sol. En 1992, Philippe Séguin tempêtait, à la tribune de l’Assemblée nationale, contre « la conspiration du silence » qu’est la construction européenne, fabriquée par des petits hommes gris avec l’assentiment des élites. Aujourd’hui, parmi les grands partis, nul n’a repris le flambeau. Tous fantasment de pouvoir “changer l’Europe” de l’intérieur, à coups de jolies phrases et d’alliances avec d’autres formations à travers le continent. Il me semble que, pour marcher sur ses deux jambes, la France doit avant tout se sortir l’Europe de la tête. La première étape est de restaurer la suprématie de notre Constitution, parchemin sacré du peuple de France. C’est la mère de toutes les batailles : marteler que les seules décisions légitimes – et même légales – sont celles qui expriment la volonté du peuple souverain.

G. Bigot. Même si l’Union présente le visage peu avenant d’un despotisme éclairé qui cadenasse les volontés populaires (laissant aux peuples le choix entre plus d’Europe et plus d’Europe, entre “bien voter” et “revoter”), elle est aussi fondée sur une utopie sympathique et non violente : la paix par le commerce, la dissolution des États par le marché, la tolérance et la fusion multiculturelle. Contrairement aux idéologies totalitaires du siècle passé qui n’hésitaient pas à faire couler le sang, l’Union ne fait couler que l’encre de sa paperasse et de ses normes. Tout cela fonctionne comme une sorte d’anesthésique, plongeant les peuples européens dans une somnolence historique qui leur fait oublier leur décrochage économique, militaire, démographique. Au bout du compte, l’Union est une sorte de cimetière des éléphants pour nations ayant fauté (par péché marxiste ou fasciste). La France, les pays scandinaves ou la Grande-Bretagne, qui n’ont expérimenté ni le communisme ni le fascisme, n’ont aucune raison de rester confinés dans cet Ehpad de l’histoire où les peuples attendent la mort. D’ailleurs, le Danemark rue dans les brancards et les Britanniques en sont sortis. Au fond, je suis convaincu que la France préférera revivre plutôt qu’attendre la fin comme une nation grabataire. C’est-à-dire comme un État membre de l’Union. Un peu de teasing pour finir : oui, il existe un moyen effi cace et sûr de sortir de cette maison de retraite qu’est l’Union européenne. Ce chemin n’est pas le Frexit. Pour le découvrir, il faut nous lire.

On marche sur la tête !, de Ghislain Benhessa et Guillaume Bigot, L ‘Artilleur, 132 pages, 12 €.

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