Nous proposons de remettre en cause quelques idées reçues avec l’aide de Pierre Lemieux et son livre Le droit de porter des armes. L’économiste commence par établir un récapitulatif de l’historique de ce droit, puis examine ses deux principaux fondements, la légitime défense et la résistance à l’oppression, avant de plaider pour le retour d’une responsabilité individuelle.
Histoire du droit de port d’arme
L’homme libre a toujours été défini par son droit à porter les armes pour résister à l’esclavage, à la fois contre les envahisseurs extérieurs que le tyran intérieur : citoyen soldat de la Cité grecque (suite aux guerres médiques, les citoyens pauvres d’Athènes ont connu un accroissement de leurs droits politiques en reconnaissance de leur contribution à l’effort de guerre, en tant que rameurs ou charpentiers) ou de Rome, hommes libres des monarchies médiévales (les textes de lois comme l’Assise des Armes ou les capitulaires de Charlemagne rappellent que tout homme libre doit un service militaire au Prince).
Cependant ce droit fût progressivement limité : sous la monarchie administrative, le souverain cherche à renforcer son pouvoir et donc désarmer ses potentiels opposants, tant en France (Philippe le Bel en 1311 puis François 1er craignant le pouvoir des grands féodaux tentent d’interdire le port d’armes, même aux gentilhommes) qu’en Angleterre (le roi catholique Jacques II désarme les milices protestantes). Les armes deviennent un privilège nobiliaire réservés aux favoris du roi tandis que les duels clandestins étaient une façon pour les aristocrates réfractaires de défier l’arbitraire royal. Le port et la détention d’armes sont ensuite libéralisés lors d’une Révolution : Bill of Rights, article 2 de la Constitution américaine. En France Mirabeau voulut l’inscrire dans la Constitution mais son article X ne fut pas retenu car :
Le droit déclaré était évident de sa nature, et l’un des principaux garants de la liberté politique et civile que nulle autre institution ne peut le suppléer.
Plusieurs restrictions apparaissent progressivement sous l’effet de l’extension de l’intervention étatique au XXe siècle, particulièrement lors des années 1930 : en Angleterre avec le Firearms Act de 1937 ; en France dès 1834 le port d’armes non visibles est interdit ; puis le décret-loi de 1939 qui interdit aux français les « armes de défense », (admirons l’ironie de la date, le gouvernement faute d’avoir su protéger les Français les a en plus empêchés de résister à l’occupant). Notons au passage que les forces invasives désarmèrent les populations occupées à l’aide des registres d’armes préalablement établis, expédient bien pratique pour affermir sa domination.
Ces premières contraintes laissent place à une inflation réglementaire sous Vichy puis la Cinquième République (avec la division des armes en 8 puis 4 catégories). Lemieux note enfin que l’UE empire la situation en nivelant par le bas : les lois des États membres les plus liberticides sont imposées à ceux plus libéraux.
La légitime défense et le droit de port d’arme
Pour Lemieux, le déclin du droit de posséder une arme est causé par un affaiblissement du principe de légitime défense. En effet, les politiques et les juges déresponsabilisent de concert les accusés en rejetant leurs fautes sur les armes, accusées de provoquer les tueries, et instrumentalisent ces dernières pour faire avancer leur agenda politique en diabolisant les armes sans chercher les véritables causes. En outre, Lemieux observe que les lois font souvent preuve d’un deux poids deux mesures particulièrement odieux : complaisantes avec les criminels et implacables avec la victime agressée dont on exige le sang froid en toute circonstance, la loi actuelle précise que :
« La légitime défense est supposée existante dans les cas suivants :
- la nuit, dans un lieu habité, une personne repousse une personne entrée par effraction, violence ou ruse
- une personne lutte contre le vol ou le pillage fait avec violence »
Lemieux conteste ces restrictions qu’il juge arbitraires.
Les agressions sont certes plus fréquentes la nuit, la défense n’en est pas moins légitime le jour et puis ne peut-on pas subir une agression autre part que dans un lieu habité, par exemple dans la rue ?
Le second point est l’occasion pour Lemieux de démonter l’idée reçue selon laquelle la violence est caractérisée par le premier coup porté, alors qu’elle commence lorsqu’un individu enfreint les droits d’un autre : les blocus, un braquage/cambriolage avec seulement des menaces du type « la bourse ou la vie » sont bien des agressions violentes et légitiment la réponse armée.
En outre, la légitime défense s’applique non seulement pour protéger sa vie, sa famille mais aussi ses biens. Lemieux cite pour cela Locke : puisqu’on a mêlé à nos biens une part de notre travail alors ceux-ci constituent une partie de nous. On peut généraliser ce raisonnement aux biens obtenus sans travail, pour lesquels on a nécessairement dû sacrifier des ressources pour les obtenir via l’échange ; ou s’il s’agit d’un don, des souvenirs personnels peuvent y être attachés, par exemple un héritage ou le cadeau d’un être cher. Dans tous les cas, les biens sont nécessaires à la vie et le propriétaire est seul juge de la valeur qu’il accorde à ses biens, extension de lui-même : un commerçant peut estimer que sa boutique vaut autant ou plus que sa vie.
La résistance à l’oppression
Le second fondement du droit de porter une arme est une généralisation du premier. Il se décompose en deux, selon que l’on résiste au tyran extérieur ou intérieur.
Dans le premier cas, la guérilla s’est révélée très efficace pour empêcher un conquérant de contrôler le pays : les insurgés américains s’inspirèrent des tactiques de guérilla amérindiennes, la petite guerre dans la péninsule ibérique durant les guerres napoléoniennes, ou plus récemment le vietminh,ou les moudjahidin d’Afghanistan ; et même aujourd’hui en Ukraine où des fermiers détroussent des tanks russes.
Il est ironique que l’État soit si prompt à armer les citoyens en situation de guerre, quand ses intérêts sont en jeu, et à les désarmer en situation de paix dès lors qu’il s’agit de défendre l’intérêt de ces derniers.
D’autant plus que les agents de la force publique ne sont qu’une association d’individus particuliers, non une entité transcendante, ils détiennent seulement les droits qui leur ont été légués par les individus-mandataires, donc armer la police c’est aussi reconnaître ce droit aux individus.
Donc, s’il est une chose évidente, c’est celle-ci : La Loi, c’est l’organisation du Droit naturel de légitime défense ; c’est la substitution de la force collective aux forces individuelles, pour agir dans le cercle où celles-ci ont le droit d’agir, pour faire ce que celles-ci ont le droit de faire, pour garantir les Personnes, les Libertés, les Propriétés, pour maintenir chacun dans son Droit, pour faire régner entre tous la Justice. Frederic Bastiat, La Loi
Dans le second cas, il s’agit du principe ancien « qui gardera nos gardiens ? ». Toutes les Constitutions (Charte dorée, Constitution américaine, française…) prévoient le droit des citoyens de s’opposer aux tyrans par la force, car la liberté est la fin politique suprême. De plus, ces Constitutions résultent de luttes armées pour renverser un pouvoir despotique : Glorieuse révolution, Guerre d’Indépendance, Révolution française, ce droit est donc une condition nécessaire de leur existence.
Comment peut-on se prétendre républicain et vouloir interdire aux individus de s’armer ? Ne chantons- nous pas « Aux armes citoyens » ? Mais où sont-elles justement ?
Elle a fière allure la Marseillaise, avec son aspect musclé aux armes. Des images sortent des strophes de Rouget de Lisle : paisibles citoyens sortant de leur demeure, qui avec son Beretta 9 mm, qui avec son pistolet-mitrailleur uzi, pour barrer la route à cette horde de traîtres, de rois conjurés. Aux armes Citoyens mais quels armes ? La réglementation des armes à feu a désarmé les Français. Aux armes citoyens ! – Mais nous n’en avons guère.
N’admirons nous pas La Liberté guidant le Peuple de Delacroix ? La liberté justement, munie d’un fusil à baïonnette, le bourgeois brandit un tromblon, un ouvrier agite son sabre, même l’enfant est armé jusqu’au dents ! En réalité, l’interdiction des armes crée un nouveau privilège : la nomenklatura gouvernementale, ceux qui connaissent le préfet ou les personnalités publiques disposent facilement d’un passe-droit (les interdictions/conditions d’obtention sont arbitraires donc soumises au bon plaisir du Prince) alors qu’elles vivent dans de chics quartiers paisibles.
Au contraire, il sera quasiment impossible pour l’individu sans relations et les minorités exclues vivant dans des zones isolées à la sûreté hasardeuse de s’armer, alors qu’ils en en auraient sûrement grand besoin ! Être contre le droit des armes c’est être pour une société de privilèges, c’est faire triompher la conception féodale de la sécurité sur la conception individualiste.
Pour le retour de la souveraineté individuelle
Lemieux veille à écarter diverses objections :
- Le droit de s’armer n’implique pas de posséder une arme ni d’en avoir sur soi en permanence.
- Les lieux privés (écoles, hôpitaux, avions de ligne) peuvent toujours bannir les armes via des règlements privés.
- Le droit de posséder une arme n’abolit pas la responsabilité juridique, celui qui se défend reste soumis aux lois et demeure punissable s’il outrepasse son droit.
- Le processus de civilisation des mœurs et la pression sociale sont des moyens d’éradication des armes bien plus efficaces et pacifiques que les décrets-lois.
Il est vain d’essayer de désarmer les criminels, le marché noir existera même dans un État totalitaire. En revanche, cela désavantagent les honnêtes citoyens, violent leur droit et leur imposent une tyrannie en échange d’un protection illusoire.
Il est tout aussi vain de vouloir éradiquer le risque à coup de principes de précaution, car l’évaluation du risque relève de l’évaluation personnelle et le choix du législateur sera nécessairement arbitraire. Lemieux dresse un parallèle éclairant avec la prohibition. Les interventions paternalistes de l’État déresponsabilisent et infantilisent les citoyens qui se mettent à blâmer la société entière des maux dont ils souffrent et par réflexe implorent l’aide de l’État, dans un cycle pervers sans fin.
Au contraire, le droit de disposer des armes restaure la souveraineté, la dignité et le sens de la responsabilité individuelle. Pareil au Colt qui rendit les hommes égaux, le droit de posséder une arme égalise le pouvoir et l’individu, il rabat le caquet de l’État et ses prétentions à régir et surveiller la vie de tous, le citoyen armé prend conscience qu’il est tout à fait capable de prendre sa vie en main et d’assurer sa vie et ses biens sans la tutelle de l’État.
Conclusion sur le droit de port d’arme
« Reste donc la Liberté etre naturelle, nous ne sommes pas nés seulement en possession de notre franchise mais aussi avec affectation de la défendre. » La Boétie
L’homme, comme Athéna, est né armé, car il est né libre et a vocation à le rester. Nous pouvons disposer de notre corps (ou nos biens) comme un maître absolu (nous pouvons le maltraiter et même le tuer). Quiconque menace de s’en prendre à nous usurpe ce droit absolu et se fait tyran. Or le tyrannicide est admis par toutes les Constitutions, il est donc légitime de tuer celui-ci dès l’instant où il prétend régir notre vie ou nos biens.
Athéna, déesse de la guerre mais aussi de la sagesse, le droit de possession d’une arme, loin de se réduire à une simple question technique, « enseigne la liberté et la responsabilité », il assure l’individu contre les violences tant privées que publiques et participe à le rendre maître de son destin.
Extrait de: Source et auteur
C’est bien, mais cela reste théorique. Même pour protéger la veuve et l’orphelin, si on me voit porter une arme aujourd’hui, je serai dans une moins bonne position que celui contre lequel je veux les défendre.
Tout cela parce que, comme il est écrit sur le drapeau vaudois, LP, liberté est partie.