NON à la Lex Netflix
Auteur et source : Félicien Morel, La Nation, 15 mars, No 2196
Tout le monde connaît Netflix, la plus importante plateforme mondiale de streaming[1]. Elle a « disrupté » le monde de l’audiovisuel en faisant de la série télé non seulement un produit de masse (ce qu’elle était déjà) mais de grande qualité formelle. S’appuyant sur un marketing extrêmement efficace, elle a fait de ses productions des succès mondiaux rapportant des millions. House of cards et The Crown sont parmi ses créations les plus emblématiques[2]. L’offre de cette plateforme de streaming se compte en milliers de titres. Des sublimes, et très engagés, reportages animaliers de David Attenborough, à la téléréalité la plus vulgaire, on y trouve à peu près de tout. L’ensemble est encadré par des algorithmes qui compilent les consommations passées du client, pour lui soumettre une offre convenant à ses goûts. Cela provoque un effet de silo, voire d’enfermement. C’est un grand classique des réseaux sociaux.
Malgré sa richesse, l’offre de Netflix révèle une lourde tendance politique. Le wokisme y est à la pointe, et ce n’est pas un secret conspirationniste. La lutte intersectionnelle, à la fois antiraciste, écologiste et féministe, y tient un rôle majoritaire, sinon de premier plan[3].
Mais Netflix n’est pas seule sur ce féroce marché. On citera parmi d’autres Disney + qui offre tout l’univers de Walt Disney, de Star Wars et de Marvel, Apple+, plus classique dans son offre, ou encore Amazon Prime video, dont on attend l’adaptation du Seigneur des Anneaux annoncée pour l’automne 2022. Rien qu’à égrener la liste de ces noms (Disney, Amazon, Apple, Netflix), on comprend la force de frappe financière et culturelle de ces multinationales de l’internet et de la consommation. Elles sont aujourd’hui l’un des acteurs-clefs du soft-power anglo-saxon en Europe.
Nos autorités fédérales voient en elles un danger. Non pas pour nos mentalités et la civilisation européenne continentale, mais pour le cinéma suisse et son financement.
Actuellement, les chaînes de télévision indépendantes de la SSR (qui a d’autres obligations plus larges) sont tenues d’investir 4% de leur chiffre d’affaires dans la production cinématographique suisse. Cela a représenté, en 2018, la somme plutôt modeste de 6 millions de francs. Sur cet argent, 3,9 millions ont consisté en des plages publicitaires gratuites en faveur du cinéma suisse, et 2,1 millions en des investissements directs[4]. Les chaînes étrangères sont également soumises à cette obligation, sur leurs revenus publicitaires et pour autant qu’elles diffusent un programme spécifiquement orienté sur un public suisse, romand, alémanique ou italophone. Il s’agit de mécénat forcé.
Que les plateformes de streaming ne soient pas soumises à cette obligation créerait une inégalité de traitement, voire une distorsion de concurrence. Un projet de modification de la loi fédérale sur le cinéma sera soumis au vote le 15 mai prochain. Il cherche à leur imposer différentes obligations. En premier lieu, 30% de leur offre devra être européenne, désignée comme telle et « facile à trouver ». Ensuite, elles devront à leur tour investir 4% de leurs recettes brutes réalisées en Suisse dans le cinéma suisse indépendant. A défaut, la Confédération percevrait une taxe de remplacement. Le choix des investissements à opérer appartiendrait aux plateformes.
A ces obligations s’ajoute tout un appareil bureaucratique d’obligations d’enregistrement et de rapports annuels à destination de l’Office fédéral de la culture.
Serait-ce l’occasion, en votant OUI, de faire d’une pierre deux coups : mettre fin à une concurrence déloyale en provenance de l’étranger, tout en profitant de contraindre ces mêmes acteurs étrangers à soutenir le cinéma suisse avec leur manne titanesque ? Pourtant, le problème de la concurrence déloyale n’est peut-être pas le plus déterminant. Les montants engagés, on l’a vu, sont plutôt modestes. Aussi supprimera-t-on sans trop de douleur l’obligation de subventionnement imposée aux chaînes suisses. Cela suffirait à rétablir le déséquilibre dont elles souffrent par rapport aux plateformes de streaming.
En revanche, nous avons plus à craindre d’un investissement étranger direct dans le cinéma suisse. Le vieux principe « qui paie commande » reste malheureusement d’actualité. Or nous ne voulons pas que de jeunes hipsters cools de la Silicon Valley posent les conditions de leur soutien à une production sur le Major Davel, soudain élevé en figure de la désobéissance civile intersectionnelle. Nous voterons NON à la Lex Netflix.
Félicien Monnier
[1] En français, on dit « films à la demande ».
[2] Et auxquelles le soussigné a consacré plusieurs articles élogieux : « House of cards, la laideur parlementaire », La Nation n°1986, du 7 février 2014, « Couronne et politique », La Nation n°2138, du 20 décembre 2019.
[3] Planchon Ronan, « Progressisme, diversité… quelle idéologie derrière Netflix ? », in Le Figaro, du 7 avril 2021.
[4] Rapport complémentaire à l’intention de la CSEC-N concernant la révision de la loi sur le cinéma, du 22 juin 2020, p. 11.
Et vous, qu'en pensez vous ?