Chez l’homme rien de propre?

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Dans son ouvrage L’extinction de l’homme, le projet fou des antispécistes, Paul Sugy, précis et acerbe, déconstruit l’idéologie antispéciste et fait le constat d’une négation de plus en plus radicale de ce qui constitue l’espèce humaine…


La saison automnale est propice aux liens renforcés, presque fusionnels, de l’homme avec la nature. Les marches en forêt aux feuillages rougeoyants, les odeurs démultipliées, la matérialité renforcée de l’humus, la cueillette de champignons, la terre qui, comme ses habitants, se prépare pour l’hiver et qui, dans ce moment, vient rappeler à chacun sa condition de mortel qui tôt ou tard y retournera… C’est aussi la saison de la chasse, des bonnes tables giboyeuses arrosées de vins puissants et taniques.

Pourtant, comme chaque année désormais, l’arrivée de la période de chasse est aussi celle des récriminations et revendications qui y sont hostiles, de plus en plus fortes, virulentes voire parfois violentes et radicalisées : un chasseur témoignait il y a quelques jours que ses chiens avaient été attaqués par un véhicule (visant à les écraser donc, au motif de protéger la nature et ses créatures, comprenne qui pourra…), alors qu’en milieu urbain les actions violentes visant des boucheries voire des fromageries se sont multipliées, remettant en cause toute forme d’exploitation de l’animal par l’homme.

Un nouvel asservissement

Si un consensus semble pourtant s’établir progressivement du fait de l’évolution des mœurs afin d’abolir les modes d’exploitation les plus cruels ou spectaculaires (certaines techniques de chasse, responsabilisation des propriétaires d’animaux domestiques, règlementations et surveillance accrue des élevages et des abattoirs par exemple), alors même que la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale et « conforter le lien entre les hommes et les animaux » (sic) vient d’être adoptée par le Sénat en première lecture, il semblerait que ces avancées sociétales soient très loin de satisfaire les militants de la cause animale – lesquels ne sauraient du reste être réduits à une mouvance uniforme.

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Il existe pourtant une idéologie sous-tendant nombre de ces combats, l’antispécisme (condamnant toute discrimination fondée sur l’appartenance d’un individu à une espèce, sur le modèle de ce qui existe entre humains – antisexisme, antiracisme etc.), qui, déclinée dans ses divers postulats et implications, ne peut, du fait de son intrinsèque radicalité, se satisfaire de simples mesures d’amélioration ou d’ajustement sur les marges d’un système qu’elle envisage de renverser en totalité. Dans son ouvrage L’extinction de l’homme, le projet fou des antispécistes, paru au printemps de cette année, et dont nous recommandons vivement la lecture tant aux adversaires qu’aux partisans de ce combat idéologique, le journaliste Paul Sugy prend à bras le corps un sujet dont on peut mesurer particulièrement ces dernières semaines toute l’actualité brûlante (souvenons-nous par exemple de l’affaire de cette évacuation d’environ 200 chiens et chats d’un refuge afghan vers le Royaume-Uni au moment de l’abandon de Kaboul aux Talibans, alors même que de nombreuses personnes ne pouvaient s’enfuir, sachant que pas même le personnel qui s’occupait de ces animaux n’a pu lui-même embarquer à bord de ce dernier vol de sauvetage spécialement affrété). Comme l’indique l’auteur : « Dès lors que l’on accepte de renoncer à la prééminence des intérêts humains sur ceux des autres animaux, on ne peut rester antispéciste à moitié : cet engagement ne tolère pas la demi-mesure […] L’antispécisme, tout à son ambition de libérer les animaux, ne prône rien moins qu’un nouvel asservissement. Celui des hommes ».

Le journaliste Paul Sugy © D.R

Dans une dédicace inattendue, « A mon cher Patafouf, fidèle compagnon à quatre pattes, bien qu’il ne sache pas lire », Paul Sugy pose, avec malice et discrétion, quelques bases : on peut aimer les animaux, les considérer comme des « compagnons » (avec qui, étymologiquement, nous partageons le pain), leur être très attachés, tout en constatant de facto deux distinctions caractéristiques de l’évolution des espèces, permettant d’une part l’érection de l’homme vers la bipédie et, parallèlement, le développement hors du commun de ses facultés cérébrales, depuis le simple outil (de chasse) jusqu’à celui qui est évoqué et mis en œuvre ici : l’écriture (et donc la capacité de lecture).

L’antispécisme n’est pas un humanisme

L’antispécisme pose un principe théorique clair : il n’existe pas de différence de valeur entre l’humain (qualifié d’ « animal humain ») et l’animal. Sur cette base, le projet antispéciste dans ses différentes implications plus ou moins farfelues, a pour objectif tout aussi clair d’éliminer toute forme de souffrance, quelle qu’en soit la cause, dans le monde animal. Dans ses déclinaisons à la fois extrêmes mais également logiques au regard du postulat initial, certains n’hésitent pas à comparer sans vergogne l’élevage et l’abattage avec la Shoah (cette comparaison est très présente dans l’imagerie antispéciste et ce sera donc tant pis pour le si magnifique et poignant récit de Robert Antelme L’Espèce humaine, précisément humaine dans toute son horreur, son vice mais aussi dans toute sa grandeur, écrit à sa sortie de camp) ; d’autres évoquent le plus sérieusement du monde l’intervention de l’homme pour mettre fin au système de prédation au sein même du monde animal dont on sait pourtant bien qu’il forme un équilibre entre les espèces et permet à la vie et aux écosystèmes d’exister. Curieusement, le fait que ce projet délirant et démiurgique soit précisément une émanation du cerveau (fou) de l’homme ne semble pas en déranger les promoteurs, alors même qu’il instaure de fait et jusqu’à la dénaturation des animaux, la supériorité théorique de l’humain sur l’animal (dans ce qu’elle peut avoir, en l’occurrence, de plus nocif). D’autres également n’ont pas de problèmes à tenir des propos franchement zoophiles, ce qui est logique puisqu’il n’y a plus de différences entre tous les animaux dont l’humain. D’autres encore n’hésitent pas à suggérer que les expérimentations scientifiques pourraient être faites sur des personnes humaines handicapées plutôt que sur des animaux… Chacun appréciera.

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Paul Sugy dresse un tableau particulièrement charpenté intellectuellement de cette mouvance idéologique, de ses origines, de ses présupposés, de ses implications et conséquences. Il convient de saluer la très grande clarté du style mais aussi l’aspect implacable des raisonnements qui sont proposés, étayés par un travail de référencement extrêmement solide et pointu. Un petit glossaire est par ailleurs proposé afin de se repérer dans ce maquis et dans certaines de ses bizarreries ou incongruités. Nous ne reviendrons pas ici dans le détail des arguments qui sont exposés avec un véritable souci de la démonstration et de l’honnêteté intellectuelle et nous renvoyons pour cela le lecteur à l’ouvrage. Ajoutons d’ailleurs à ce propos que le lecteur antispéciste devrait pouvoir également y trouver un grand intérêt car cet essai ne constitue pas un brûlot polémique mais bien un travail de référencement et d’argumentation tout à fait fondamental permettant d’ouvrir le sujet à un débat dialectique. Nous avons par exemple nous-même des points de désaccord avec certains des arguments de l’auteur, concernant par exemple la supposée supériorité morale de l’humain sur l’animal, considérant que la perversité et le mal n’existent que chez les humains (l’animal est dans l’innocence au sens pur, son éventuelle cruauté n’est jamais perverse) ; de même, nous ne partageons pas l’analyse qui est faite du terme de « déconstruction » derridienne, mais ce serait là l’objet d’un nouveau livre à soi tout seul (en quoi d’ailleurs l’ouvrage de Paul Sugy est véritablement stimulant pour le débat)…

S’il ne s’agit pas de produire un pamphlet, loin de là, Paul Sugy oppose avec vigueur un contre-postulat clair et ferme, affirmant d’une part que le projet antispéciste vise in fine à détruire l’humain dans sa spécificité (et sa grandeur), ou plus exactement à l’abolir, mais aussi que l’humain représente bien en effet un niveau supérieur, radicalement différent (issu d’un véritable « saut qualitatif »), par rapport aux autres espèces vivantes. Cette réaffirmation agit à la manière d’une profession de foi, d’un credo mais fait également l’objet d’une démonstration et donc d’une confirmation, la foi en l’humain n’étant pas la chose la plus répandue par les temps qui courent. C’est donc un livre qui, en plus d’être très solidement charpenté, est courageux. Cela a d’ailleurs valu quelques passes d’armes entre l’auteur et les ardents défenseurs de l’indifférenciation des espèces, notamment sur des réseaux sociaux dont on peut se demander s’ils ne contribuent pas, sinon à produire du moins à amplifier des constructions théoriques parfois proches de la lubie et qui, sinon, concerneraient très peu de personnes et n’auraient à peu près aucun écho, à l’image d’ailleurs de ce qui se produit pour l’ensemble des lubies du Wokistan. Paul Sugy cherche donc à remettre du sens, à nommer le sens même de la vie humaine, mais aussi, plus simplement, à remettre du bon sens.

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Il convient donc de saluer ce travail, de le diffuser afin d’ouvrir le débat, afin d’outiller l’argumentation, afin de participer à cette production de sens. Saluons enfin la qualité du livre en lui-même, dans sa forme matérielle, et dont la couverture fort joliment illustrée par les éditions Tallandier ne peut que donner envie de se plonger dans un sujet qui n’a pas fini de revenir régulièrement sur le devant de la scène.

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