Raffaele Simone, intellectuel de la gauche italienne : « La xénophobie est une volonté de protéger son intégrité »

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Un cri qui nous vient d’Italie nous demande de sortir l’Europe des mirages de l’accueil inconditionnel aux immigrés. Elle en sort en ordre dispersé. Mais Simone pense que c’est trop tard.

Raffaele Simone (ci-contre) n’est pas un libelliste de la droite post-mussolinienne, mais un intellectuel respecté de la gauche italienne. Une sorte de Régis Debray, tout aussi pessimiste, eurosceptique et bougon. Mais il n’a pas les timidités de ce dernier sur la question migratoire.

Son pavé dans la mare s’adresse aux bien-pensants de l’Europe entière, partisans de l’accueil indifférencié et à fonds perdu des migrants venus en Europe trouver le confort d’une démocratie sociale. La « Grande Migration » en cours est conceptualisée par Simone comme un « événement fatal » : quelque chose qui change en profondeur la physionomie d’une civilisation.

Par téléphone depuis Rome, il nous confie son inquiétude d’une récupération de son discours par la droite : « Ne me faites pas ce coup-là ! » Cette récupération aura lieu, et d’ailleurs il le sait bien. Il assume le risque en écrivant ce livre.

Car le but de ce texte est de contrer énergiquement ceux qui ont choisi la logique de soumission bien réfléchie : il faut se soumettre aux musulmans (quelle que soit leur nature, douce ou dure) parce qu’ils ont la jeunesse et parce qu’ils rendent à l’Occident la monnaie de sa pièce.

Ceux qui ont conquis seront conquis : la roue tourne. Tel est le triple ressort de « l’événement fatal » en cours : islam, jeunesse, revanche. « Une enquête du Pew Research Center de 2017 montre qu’entre 2015 et 2060 la population mondiale grossira de 32 %, et sa composante musulmane de 70 %, ce qui fera de l’islam la première religion devant le christianisme », écrit Simone.

[…] La plupart des experts de ces sujets ont tendance à désapprouver cette vision théâtrale de l’agonie européenne. Ils insistent sur le décalage entre la réalité migratoire, qu’ils jugent moins grave qu’on ne le dit, et sa dramatisation dans le discours public. Ils veulent que l’on regarde les chiffres, sans tenir compte d’un autre ordre de grandeur : le mode de vie et le sentiment qu’un monde commun est en danger.

Or, si la dimension quantitative est encore supportable pour les 460 millions d’Européens, la perturbation qualitative propre à une migration d’origine musulmane l’est beaucoup moins.

Simone ose « essentialiser » l’opposition entre les valeurs de l’Occident et celle de l’Islam. Il juge inassimilable cette vague migratoire. L’auteur estime perdu d’avance le pari de convertir les migrants venus du monde arabo-musulman aux valeurs critiques et dialectiques qui sont, souligne-t-il en convoquant George Steiner ou Milan Kundera, le propre de l’esprit européen. Il y aurait beaucoup à nuancer, qu’il s’agisse de la vision illibérale de l’islam — les Éditions Gallimard, qui publient Simone, viennent aussi de publier l’excellent L’Islam et la Démocratie, de Yadh Ben Achour, qui soutient avec talent l’argument contraire.

La xénophobie n’est donc pas un racisme, mais la manifestation ethnocentrique naturelle d’une volonté de protéger son intégrité aussi bien spirituelle que physique.Quelles que soient les capacités de ces populations à se fondre finalement dans le paysage européen, il est certain que le « stock » de migrants naturalisés arrivés en Europe depuis cinquante ans est largement suffisant.

Il faut donc admettre que le refus d’un accueil inconditionnel, ou le refus de la logique juridique de l’immigration familiale ne peuvent plus être dénoncés comme des dérives xénophobes.

Simone a d’ailleurs raison de rappeler que l’attitude xénophobe n’est qu’une des formes normales du désir de persévérer dans son être. Qu’elle est « une réaction psychique spontanée de peur à l’égard de ce que l’on ne connaît pas, de ce qui n’est pas familier ».

Dans l’art et la morale modernes, on a brodé sur l’éloge de l’étranger, de la différence, etc. En effet, le migrant apporte du sang et des idées neuves — il y a toujours un impensé messianique dans la figure de l’étranger. Mais ce postulat différentialiste doit être équilibré par le point de vue opposé.

Preuve en est : la xénophobie est une passion sociale répandue dans presque tous les groupes humains. Et on ne rencontre la xénophilie spontanée que dans des contextes particuliers et rarissimes. La xénophobie n’est donc pas un racisme, mais la manifestation ethnocentrique naturelle d’une volonté de protéger son intégrité aussi bien spirituelle que physique.

Le racisme, en revanche, est bien autre chose. Ce n’est pas une réaction instinctive, c’est une théorie politique qui prétend rendre légitime l’assignation d’une race à une position subalterne.

L’attitude xénophobe peut être surmontée quand un modèle assimilationniste garantit que l’étranger deviendra un semblable. Le xénophobe peut aussi se transformer en raciste. Mais les phénomènes qui nous occupent dans l’Europe contemporaine n’ont rien à voir avec du racisme. Simone a raison de le marteler.

« Au bout de combien de temps les dettes de l’histoire sont-elles caduques ? »

Il s’agit en effet d’un enjeu plus profond, du moins tel qu’il est pensé par les partisans de l’accueil inconditionnel, dont l’offensive idéologique se déploie sur tous les fronts : féminisme, décolonialisme, multiculturalisme.

Selon les membres de ce « Club radical », comme les nomme l’auteur, il faut que l’Occident s’offre en sacrifice pour expier les fautes commises. Ce sacrifice doit aller beaucoup plus loin que l’exercice de lucidité mémoriel que s’est imposé l’Allemagne après l’holocauste. Il s’agit d’un exercice de renoncement à soi qui demande à l’Occident de s’abolir.

Au fond, il n’y a que deux directions possibles. Celle voulue par les immigrationnistes suppose que l’Europe n’a pas d’autre choix que de se laisser enfanter à nouveau, si l’on peut dire, par ceux venus d’ailleurs : un nouveau peuple en sortira. L’autre solution est suggérée par l’auteur : « Au lieu de dépenser des sommes énormes pour faire face à l’immigration, ne serait-il pas mieux d’établir une politique d’aide aux jeunes couples et un réseau de services pour les aider à s’occuper de leurs enfants ? »

[Les familles occidentales veulent en moyenne, cela varie d’un pays à l’autre, un peu moins d’un enfant de plus qu’elles n’auront. On parle en termes techniques de « déficit important entre descendance idéale déclarée et descendance réelle ». C’est ainsi que les Françaises ont moins d’enfants que ce qu’elles souhaiteraient idéalement et ça fait plusieurs décennies que ça dure. À l’heure actuelle, si elles avaient le nombre d’enfants qu’elles disent vouloir idéalement, l’indice conjoncturel de fécondité serait de ~2,4 enfants par femme au lieu de ~1,9 enfant par femme. Voir https://ifstudies.org/blog/the-global-fertility-gap. Une des raisons de cet écart entre le nombre idéal d’enfants voulu et le nombre obtenu : le coût lié à l’accueil d’un enfant supplémentaire.

 ]

 

Une chose paraît en tout cas acquise. Le retrait xénophobe d’un côté, l’hostilité des nouveaux venus à leur nouvelle terre d’accueil de l’autre préparent non pas un métissage, ou une assimilation, comme au bon vieux temps, mais un « monoculturalisme pluriel » (selon l’expression d’Amartya Sen), autrement dit une juxtaposition de tribus plus ou moins hostiles.

Pour y faire face, il faudrait que les Européens commencent à s’aimer un peu plus. Et à s’admirer sans arrogance. Simone lui-même a du mal. L’homme de gauche en lui se sent obligé de condamner en bloc « les horreurs du colonialisme ».

Mais, ce faisant, il affaiblit son propos, car cette réalité historique complexe et différenciée n’est ni un crime contre l’humanité ni un génocide ; elle ne suppose pas de pénitence ad libitum. C’est d’ailleurs ce que finit par demander l’auteur : « Au bout de combien de temps les dettes de l’histoire sont-elles caduques ? » Il propose, ironiquement, une journée de l’oubli, qui ferait pendant aux journées de repentances qui sont au goût du jour. Proposons une journée de la fierté d’être français, européen et occidental.

 

La Grande Migration et l’Europe

par Raffaele Simone
dans la collection « Le Débat », 

aux éditions Gallimard,
287 pp., 

21 €.

 

Extrait de: Source et auteur

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2 commentaires

  1. Posté par baechler le

    Le seul point de l’analyse que Raffaele Simone porte sur la migration massive de milliards d’habitants depuis des régions du Monde moins développées que l’Europe centrale et l’Amérique du Nord – contre lequel je m’oppose un brin, c’est qu’il néglige de prendre en considération le fait que nous sommes huit milliards de procréateurs-trices qui consommons et épuisons désormais quotidiennement à une vitesse exponentielle (via la pétrochimie) tout le pétrole qui résulte de la biomasse végétale accumulée durant 300 millions d’années sur notre Planète. Nourrira-t-on réellement des milliards d’humains, sans l’agriculture et l’élevage intensifs (et sans leur puissante mécanisation) qui dépendent d’engrais, de traitements phytosanitaires et d’une puissante motorisation, dérivant tous de la transformation pétrochimique du pétrole – au-delà des prochaines 25 à 30 années à venir ?.. Libre à chacun de rêver ou de croire aux miracles, voire, d’imaginer le charbon remplacer les propriétés extraordinaires du pétrole. Pour ma part, l’effondrement mondial des ressources en eau potable et de l’alimentation régulera très brusquement « les mirages de l’accueil inconditionnel aux immigrés » qu’offrent actuellement quelques pays développés ivres d’optimisme. (Un possible résultat des votations du mois de juin approchant, induira peut-être une prise de conscience d’un paradoxe entre l’espérance d’un approvisionnement alimentaire illimité et d’une immigration sans fin – mais il est vrai aussi qu’en brûlant toute la forêt amazonienne pour y produire des aliments pour les bovins retardera un peu la fin des haricots.)

  2. Posté par miranda le

    Tout comme le changement climatique, la culpabilisation à outrance de l’homo occidentalus, a permis à nos élites d’avancer dans leur programme mondialiste. L’essentiel était pour eux de trouver les outils de diversions “douloureux” qui détourneraient l’attention des citoyens, de leurs vrais objectifs.

    Cet accueil inconditionnel n’est pas un accueil, mais un projet intégrant deux objectifs :
    remplacer l’Européen, trop conscient, trop éduqué, trop attaché à sa patrie, trop “exigeant” pour nos mondialistes, en matière de condition de travail et salariale.

    Le second objectif, rejoint l’l’imaginaire mondialiste, pour lequel L’immigré devient le remplaçant idéal, non seulement sur le plan culturel puisqu’il doit “ensevelir” par son nombre et sa diversité la culture de l’autochtone, mais aussi sur les autres plans, comme celui d’une adaptation plus facile au déplacement d’un lieu de travail à un autre, et l’acceptation d’un salaire modeste et d’une sous-protection sociale.

    Ce qui compte pour la puissance dominante composée d’affairistes, banquiers et entrepreneurs en tout genre est d’opérer un changement radical avec l’ancien système qu’ils ressentaient comme bloquant l’expansion de leur ‘enrichissement et leur prise de pouvoir. L’immigré est un outil parmi tant d’autres.

    A partir de ces constatations, L’Européen n’a que peu de temps de réaction. D’autant plus que de fréquents scénarios de diversions sont venus modifier sa vie, bloquant chez lui la capacité de discernement et de réaction.

    La brutalité des élites pour parvenir à leurs objectifs restera à jamais gravée dans les mémoires. C’est peut-être cette brutalité qui permettra le réveil et la réaction. Espérons le.

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