L’article du 29 juillet 2013 dans Le Temps sur le démantèlement des centrales nucléaire pratique d’avantage le réquisitoire contre une technologie, plutôt que l’analyse. La mise en perspective est faussée par des omissions et des fausses informations. Par ailleurs toutes les personnes citées sont des militants anti-nucléaires engagés. Le Temps a l’ambition d’être un journal de qualité : est-il au service de l’information de ses lecteurs et de leur liberté d’opinion, ou est-il au service d’une cause politique et idéologique?
Sur le fond Le Temps reproche au dossier « démantèlement » des centrales nucléaires trois faiblesses rédhibitoires : 1) ce sera (trop) cher, 3) ce sera (trop) long et 2) le « retour à la prairie » serait un mythe.
Or tout le dossier du démantèlement des centrales et de la gestion des déchets, particulièrement pour les opérations qui se dérouleront après l’arrêt des centrales nucléaires, est réglé par une ordonnance très stricte dont le respect est sous le contrôle direct d’une commission fédérale d’experts ad hoc présidée par le directeur de l’Office fédéral de l’énergie, M. Walter Steinemann.
En bref ce qu’il faut savoir.
Sur le principe
C’est tout à fait normal que l’Etat se préoccupe de manière sérieuse du démantèlement d’infrastructures techniques après leur durée de vie limitée. Cela vaut pour toutes les installations, petites ou grandes, collectives ou individuelles, comme nos voitures. L’ordonnance et la commission évoquées assure une gestion très rigoureuse pour le nucléaire. Par contre, qu’en est-il des usines, halles industrielles, ou aussi des éoliennes et autres installations importantes ? Chavallon par exemple ? Et les prochaines éventuelles centrales à gaz qu’il faudra construire peut-être pour remplacer le nucléaire, et un jour mettre hors srvice ?
Pas un mot dans Le Temps.
Sur les coûts
Ils sont réévalués régulièrement sur une base de « meilleure estimation » par cette commission. La dernière évaluation est de l’ordre de 3 milliards CHF pour les 5 centrales suisses. Soit environ 20 % du coût de construction. Le Temps dit « Ce que l’on sait en tout cas, c’est que le démantèlement coûte plusieurs fois le prix de la construction. »
Par ailleurs ces coûts sont provisionnés, c.à.d. qu’ils sont déjà inclus dans le prix du kWh nucléaire payé par le consommateur pour un montant qui est périodiquement révisé et qui est de l’ordre de 1 à 1.5 ct/kWh. La part du démantèlement n’est que de 1/6, les autres 5/6 sont dûs à la gestion des déchets. Donc même un doublement du coût du démantèlement n’augmenterait cette provision que de 0.2 à 0.3 ct/kWh. Et Le Temps veut nous faire peur avec la menace d’une catastrophe financière.
Sur les délais
Le temps informe correctement en indiquant que soit on fait vite, et on augmente les doses au personnel. Soit on laisse se désactiver les parties dites « chaudes » pour réduire sensiblement les doses, et cela prend du temps. Ce que le Temps ne dit pas, c’est qu’un site nucléaire, sur le long terme, serait occupé en permanence par une centrale en activité et, à côté, la centrale précédente en démantèlement. Les durées d’exploitation et de démantèlement sont du même ordre. Cela présente l’avantage que du personnel responsable spécialisé est présent en permanence. Vous direz que cela suppose un long terme pour le nucléaire. Je crois que ce long terme est un passage obligé lié à cette réalité que l’humanité ne pourra pas satisfaire ses besoins énergétiques sans fossile et sans nucléaire, avec les seules énergies renouvelables et l’efficacité énergétique… avant longtemps.
Sur le mythe du retour à la prairie
Dominique Grenêche l’avais déjà bien montré dans les Observateurs
( http://www.lesobservateurs.ch/2013/05/31/arte-desinforme-sur-le-demantelement-des-centrales-nucleaires/ ) le retour à la prairie est faisable, payable et a déjà été réalisé. Par contre les médias, à l’exemple d’Arte, puis aujourd’hui du Temps, cherchent visiblement à propager un autre mythe : celui du démantèlement impossible et impayable.
Pour qui roule Le Temps ?
Un point frappe dans l’article du Temps. Il évoque les acteurs de ce thème, les pro(fessionnels) et les anti. Apparence d'équilibre. Mais du côté des pros on ne mentionne que des noms d’institutions: IFSN, ASN, Swissnuclear, Cour des comptes,... Il n'y a pas de noms de personnes, c'est totalement désincarné. Du côté des antis, les noms abondent, et quels noms ( !):
-- Isabelle Chevalley
-- Christian Van Singer
-- Roger Nordmann
-- Sabine von Stockar (FSE/Fondation suisse de l'énergie, fondation qui est à l'énergie ce que l'ATE est à la mobilité, à savoir le bras armé du WWF)
Cette liste de noms est un terrible aveu de complaisance du Temps à un seul camp.
Le lecteur et sa liberté d’opinion sont desservis.
Sur le contrôle de l’Etat
Même comme libéral, j’admets que l’Etat gère certaines activités de service public pour le bien de la société. Les tâches de sécurité et de police en font partie. Le démantèlement des centrales et la gestion des déchets nucléaires aussi. La Confédération a bel est bien, et de manière rigoureuse, la surveillance de ce secteur. Cela été finalisé sous le règne de Moritz Leuenberger, un socialiste. Et Walter Steinmann, socialiste, directeur de l’OFEN en est aujourd’hui le garant comme président de la commission ad hoc.
En quelque sorte ce secteur de la production d’énergie est sous le pilotage d’une commission de surveillance, comme semble le souhaiter le PS pour les médias (voir
http://www.lesobservateurs.ch/2013/07/26/medias-suisses/ ou aussi http://www.lesobservateurs.ch/2013/07/26/opa-socialiste-sur-la-presse-suisse/)
On a alors de la peine à comprendre un Roger Nordmann qui critique le démantèlement et l’organisation qui est derrière : de fait c’est assez proche de ce qu’il souhaite pour la presse.
Références utiles
Confédération : http://www.bfe.admin.ch/entsorgungsfonds/index.html?lang=fr
Forum nucléaire suisse : http://www.nuklearforum.ch/fr/faits-et-chiffres/feuilles-d-information/desaffection-et-demantelement-des-centrales-nucleaires
Swissnuclear (Exploitants) : http://www.kernenergie.ch/fr/fonds-de-desaffectation-et-fonds-pour-la-gestion-des-dechets-_content---1--1192--317.html
Jean-François Dupont, 29 juillet 2013
Et vous, qu'en pensez vous ?