La médecine, chez nous, on aime. A tel point que nous nous adressons aux médecins en les appelant docteurs, et seulement eux.
Nous n’appelons pas ainsi un docteur en sociologie, en littérature, en philosophie. Et c’est très bien. A quoi nous servent-ils de ces docteurs-là ? A rien, tout simplement, sinon à nous enfumer l’esprit. C’est déjà bien que nous leur donnions du « monsieur ». Tandis que les médecins, eux, nous donnent la santé. Donc, eux seuls méritent le titre de docteur. La santé, c’est notre priorité absolue. Pour elle, nous sommes prêts à tout. Il y a eu des sociétés où peu importait la vie. Pour elles, l’honneur, par exemple, venait en premier et en son nom, on était prêt à mourir. Mais de telles sociétés n’étaient pas avancées, progressistes et éclairées comme la nôtre. Pour nous, seule compte la santé et donc la vie. Quoi d’autre mérite notre attention ? On se le demande. Il n’y a rien, en effet, au-delà de la vie. Les valeurs ? Faudrait-il être prêt à leur sacrifier notre vie ? Absurde, tout commence et s’achève avec la vie.
Il est vrai qu’en parlant de fin de vie, on évoque la mort. Et ça, nous n’aimons pas. Nous comptons justement sur les médecins pour éviter d’avoir à y penser. C’est eux qui nous remettent sur les rails de la vie, sans qu’une gare terminale se dessine au bout du voyage. D’ailleurs, cette gare ne cesse de reculer à l’horizon. Le progrès, c’est l’augmentation de l’espérance de vie. Cette augmentation, nous la devons à la médecine appuyée sur la recherche, qu’elle aussi, nous révérons, toute consacrée qu’elle est aujourd’hui à la prolongation de la vie.
Hélas, il y en a qui critiquent la médecine. Pas des Suisses, heureusement, mais des Français, toujours prêts à penser, à se poser des questions. C’est insupportable. Nos médecins suisses, eux, ne se posent pas de questions, mais travaillent à réparer nos corps, un point c’est tout. Une Française, vient en effet d’expliquer, dans une revue académique intitulée Le Débat, une de ces revues qui veulent nous faire penser au lieu de faire avancer la recherche, que la médecine est devenue « une industrie à produire des handicapés ». Non mais, pour qui se prend-elle cette femme ? Tout au long de son article, elle insiste lourdement sur le fait que l’explosion de la dépendance des handicapés, nous la devons à la médecine moderne. Cyniquement, elle précise qu’avec un peu de chance, nous pourrons tous rester sur les rails de la vie jusqu’au point où nous vivrons longtemps dans la démence sénile qui nous fera oublier la mort. N’est-ce pas une bonne nouvelle ? Séniles et déments, nous ne verrons plus la fin de vie et ne penserons vraiment plus du tout !
L’insolence de cette femme, médecin dans un prestigieux hôpital parisien, n’a pas de bornes. Elle qualifie de totalitaire la définition donnée par l’OMS de la santé, souligne que la dépendance du grand âge est financée par les contribuables, dénonce la recherche-sauveuse-de-l’humanité souffrante. Enfin, elle suggère que pour prendre soin des grands prématurés, il faut s’aveugler sur le risque majeur de lésions neurologiques graves.
Ne l’écoutons donc pas. D’autant que nous assistons à de merveilleux développements. La procréation médicalement assistée, la gestation pour autrui, les soins aux prématurés, autant de mesures qui conservent la vie à ses origines comme nous la conservons maintenant dans le grand âge. Il serait évidemment indécent chiffrer les coûts de ces admirables efforts, mais même cette indécence, Anne-Laure Bloch n’hésite pas à l’exhiber. En d’autres époques, on l’aurait envoyée au bûcher.
Jan Marejko
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