Comprendre Poutine

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Michel Garroté - Comprendre Poutine, c'est d'abord comprendre la Russie ; et comprendre la Russie, c'est d'abord connaître l'histoire de ce pays. A cet égard, le moindre que l'on puisse dire, c'est que les dirigeants occidentaux (sauf Trump et Fillon), et, les journalistes occidentaux, sont des ignares, bêtes à bouffer du foin, bellicistes et irresponsables.
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A ce propos, sur le site Internet français "Magistro", Jean Salvan, Général de corps d'armée, dans une passionnante analyse, écrit notamment (extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de page) : Pour comprendre Poutine, il faut se replacer dans l’histoire longue. Et ne pas s’étonner de voir son bureau orné du portrait du Tsar Alexandre 1er, dont la devise fut "Orthodoxie, autocratie, identité nationale". Très tôt, il y eut des affrontements entre l’Occident et  la Russie. Certains taxent Charlemagne de russophobie. Mais c’est la querelle théologique et le schisme de 1054 qui coupa l’Europe en deux parties souvent hostiles.
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C’est au XVIIème siècle que la Russie s’ouvrit pour la première fois et avec difficulté aux influences occidentales : elle sortait alors de l’occupation mongole, du temps des troubles (1598-1613), elle venait d’échapper à la conquête polonaise. Les réticences face à l’Occident sont une constante de l’histoire russe. Klioutchevski nota : "A quoi l’Histoire destine la Russie ? Est-elle vouée à être la lumière de l’Orient, ou à ne rester que dans l’ombre de l’Occident ?" Et dans sa Chronique, le diacre Ivan Timophéev écrivit en 1620 : "Les Russes se tournent le dos, regardant les uns vers l’Orient, les autres vers l’Occident." Cela dit, la Russie hésite toujours entre l’attrait pour l’Occident, le courant eurasiatique qui voit son avenir en Orient, et les slavophiles, tentés par le retour à la Moscovie des origines. Alexandre Douguine défendait sans nuance l’idéologie eurasiatique : il a été démis de son poste à l’université de Moscou. Quand Soljénitsine prônait la fusion de la Russie, de la Biélorussie et de l’Ukraine, c’est bien le projet slavophile qu’il soutenait.
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La continuité politique :
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A partir de 1994, Boris Eltsine voulut calquer en Russie le modèle occidental libéral. Mais les échecs et les pommes de discorde se sont multipliés : Tchétchénie, Iran, Irak, Serbie, Kosovo. Dès 1996, le ministre Primakov ressortit la carte chinoise et il fit entrer la Russie dans le groupe de Shanghaï, devenu l’Organisation de Coopération de Shanghaï (OCS), qui regroupe la Chine, le Kazakhstan, la Kirghisie et le Tadjikistan. Comme le remarquait Léonid Ivachov : "L’Occident ne sera jamais l’ami de la Russie". Ou Victor Baranets : "Sarkozy et Medvedev peuvent toujours s’embrasser, nos intérêts seront toujours divergents." Nous avons mal mesuré le choc que fut l’effondrement de l’URSS pour les Russes et les difficultés traversées par la Russie depuis 1992. Après l’effondrement de l’URSS, les Russes, humiliés, ont serré les rangs autour de Poutine qui les a sortis de la misère et qui leur a restitué une fierté nationale.
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Quand Poutine déplore la disparition de l’URSS et la qualifie de "plus grande catastrophe", il regrette la stabilité du régime soviétique : il succéda aux Romanov qui régnèrent de 1613 à 1917. L’intérêt stratégique russe est désormais de reconquérir l’essentiel du terrain perdu depuis 1992. Pour Poutine, le vieil adage romain "Quieta non tangere, ne touchez pas à ce qui est stable" est un principe  politique : un tyran qui assure la stabilité de son régime et qui est prévisible est toujours préférable à un démocrate farfelu. Il faut absolument éviter le chaos qui succéda à la disparition de la Russie tsariste comme à celle de l’URSS. Et la situation qui suivit le "printemps arabe", de la Tunisie à l’Afghanistan, ne l’inspire pas davantage.
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D’une façon générale, les media occidentaux reprochent à la Russie de ne pas se comporter comme une démocratie occidentale et à Poutine de ne pas ressembler à un dirigeant européen : ils ne l’ont jamais été, et ils veulent rester eux-mêmes. Il y a bien sûr des opposants à Poutine. Le plus célèbre est Nemtsov, proche de d’Eltsine, assassiné le 28 février 2015 sous les murs du Kremlin. Selon lui, la corruption et la criminalité procéderaient du sommet de l’Etat russe, du système clanique qui le dirige. Pour Nemtsov, le pouvoir de Poutine serait essentiellement nationaliste, militariste et revanchard. Je pense que cette analyse est excessive. Le retour de la Crimée dans la mère patrie a provoqué une ferveur et un élan patriotique indéniable chez la majorité des Russes. Pour eux, il s’agissait de la fin de la période post-soviétique et du retour de la Russie dans l’Histoire. Il y a 60 millions d’internautes en Russie : incontestablement, la majorité d’entre eux est satisfaite de Poutine.
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La politique russe aujourd’hui :
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En politique intérieure, Poutine a voulu écraser les tentatives de sécession, comme en Tchétchénie, et les baronnies régionales qui s’étaient constituées sous Eltsine. Bien entendu, il lui faut interdire toute résurgence de ces phénomènes. Le modèle sociétal prôné par Poutine, c’est l’intégration à la famille, aux groupes, aux valeurs traditionnelles.
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Il y a quatre variables qui définissent la politique extérieure russe : - le monde est en proie à un choc de civilisations ; - la Russie doit affirmer sa propre voie vers la modernité ; - dans l’état de nature des relations internationales, seule la force prévaut ; - le pays doit être en alerte constante pour organiser sa défense.
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En effet, la Russie est entourée d’Etats faibles ou instables, comme au Caucase, en Asie centrale, voire en conflit ouvert comme en Arménie. En foi de quoi, la Russie soutient l’Arménie face à la Turquie, le Kazakhstan face à la Chine. L’Europe lui est utile comme partenaire commercial et pour éviter d’être coincée entre les Etats-Unis et la Chine. A notre libéralisme et notre cosmopolitisme, la Russie oppose ses traditions, son attachement aux valeurs familiales et religieuses, sa volonté de maintenir sa souveraineté nationale.
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Le césaro-popisme :
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Historiquement, les Tsars et l’église orthodoxe ont pratiqué une symphonie des rapports de l’Eglise et de l’Etat. Nicolas Bedaiev écrivit : "le christianisme fut adapté à l’autorité de César", c’est ce que j’ai appelé le césaro-popisme. Depuis les Romanov, la Russie s’est sentie responsable des peuples slaves, Bulgares, Serbes,… etc. Depuis le traité de Kutchuk-Kainardi en 1774, la Russie s’est voulue la protectrice des chrétiens du Caucase et de l’empire ottoman. Depuis 1860, une mission russe était installée à Jérusalem : elle fut prolongée par la Société Impériale Orthodoxe de Palestine (SIOP), qui étendait ses activités dans ce qui est aujourd’hui  le Liban, la Syrie, la Jordanie. En 2014, Poutine avait réuni à Moscou les quatre patriarches orthodoxes  d’Alexandrie, d’Antioche, d’Istanbul, de Jérusalem. Ces personnalités ont déclaré Poutine : "Le vrai Président chrétien  orthodoxe", et ils ont loué sa volonté "d’agir indépendamment de l’Occident." Ces personnages reprenaient mot pour mot les déclarations du philosophe Nicolaï Danilevski  qui, dans "La question d’Orient", soutenait qu’il n’y avait pas d’antagonisme entre chrétiens orthodoxes et musulmans, mais bien plutôt un conflit entre la culture européenne et la civilisation slave, héritière de Byzance.
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Les relations avec l’Islam :
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Les Slaves ont une longue expérience des relations avec les peuples musulmans, même si elles furent souvent tumultueuses.  Surtout quand on se souvient des vingt millions de Musulmans inclus dans l’ensemble  russe. Dès 921, des relations étaient établies entre le souverain bulgare et celui de Bagdad. Du XIIIème au XVème siècle, la Horde d’or -des Turco-Mongols- dominèrent la Russie, l’Ukraine et la Bulgarie. La Russie s’est toujours intéressée à l’Orient et à la Méditerranée. Rappelons Nicolas 1er : "La grandeur de la Russie exige qu’elle parle la première chaque fois qu’il s’agit du destin de l’Orient". Quant à Catherine II, elle faisait bombarder Beyrouth en 1770. Lors de la signature du traité de Kutchuk-Kaïnarsji, le 21 juillet 1774, le traité imposé  à l’empire ottoman fit de la Russie la protectrice des chrétiens orthodoxes de cet Etat. En 1780, Catherine II  avait imaginé un projet grec qui consistait à recréer l’empire chrétien d’Orient, dont Constantinople serait la capitale : ce projet fut repris par Nicolas II, qui y voyait le prix de sa participation au 1er conflit mondial. La révolution de 1917 fit capoter cette idée.
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Le désastre subi par les armées arabes en novembre 1956 lors de la nationalisation du canal de Suez, puis la rupture de la fusion entre l’Egypte et la Syrie en 1961, permirent à l’URSS de s’engager pour réorganiser leurs armées, leurs services de renseignement, et pour approvisionner en armement la Syrie et l’Egypte. La suite logique de cette histoire et de ces traditions, ce sont les efforts russes depuis 2011 pour sauver le régime de Bachar el Assad, ce sont les bases russes de Tartous et de Hmeimim, une base partagée avec l’Iran, ce sont les alliances avec la Turquie et l’Iran. Il convient de remarquer les capacités de la diplomatie russe, s’alliant sans vraie difficulté  avec les Chiites, les Sunnites, la Turquie en dépit du conflit avec l’Arménie. Et cette politique étrangère est toujours approuvée par le parti communiste russe.
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Il ne faut jamais oublier les cartes dont dispose la Russie dans la région : - ses vingt millions de musulmans russes qui lui ouvrent les portes de l’Organisation de la conférence islamique ; - sa diaspora juive en Israël ; - sa tradition de protectrice des chrétiens d’Orient. Soyons clair : la Syrie est désormais un condominium russo-iranien.
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L’influence russe en France :
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Les partisans d’une diplomatie proche de la Russie et ceux qui pensent que nous devrions avoir avec Poutine des relations normales sont accusés d’être des agents d’influence à la solde du président russe : le cas est net avec le dernier livre de Cécile Vaissié. Beaucoup de Français ne peuvent oublier que les Russes furent leurs alliés durant les deux conflits mondiaux du XXème siècle. Le dialogue franco-russe fut initié par de Gaulle, et le Président Chirac créa le "Dialogue franco-russe" présidé par le député Philippe Mariani. Jean–Pierre Chevènement a longtemps suivi les relations avec la Russie. Les fiascos occidentaux au Kosovo, en Afghanistan, en Irak, en Libye devraient nous inciter à méditer les raisons des succès russes. Que le Front National se soit financé en Russie faute de pouvoir l’être en France ne met pas forcément ce parti sous la coupe du président russe. Vouloir des relations normales avec la Russie et son président, ce ne devrait pas être considéré comme une trahison.
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Les perspectives :
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La Russie n’est plus la troisième Rome, elle n’est plus la patrie du socialisme, mais elle refuse d’être considérée comme une puissance régionale, selon le mot du Président Obama. Elle vient de prouver au Proche et au Moyen-Orient qu’elle est incontournable. Son poids géopolitique est tel qu’on ne peut persister à la bouder sans léser nos intérêts. Quand on considère le poids respectifs des échanges entre la Russie et les Occidentaux - 400 milliards de dollars - et ceux des échanges entre la Russie et la Chine - 80 milliards de dollars, il est clair que nous avons tout intérêt à jouer la carte d’une Russie européenne, conclut Jean Salvan (fin des extraits adaptés ; voir lien vers source en bas de page).
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Introduction & Adaptation de Michel Garroté pour https://lesobservateurs.ch/
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http://www.magistro.fr/index.php/template/lorem-ipsum/de-par-le-monde/item/2979-la-russie-et-poutine-revisites
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