Le président sénégalais a un faible pour les palaces vaudois

Olivier Grivat
Olivier Grivat
Journaliste indépendant, auteur d'ouvrages liés à l'histoire de la Suisse
post_thumb_default

Candidat très controversé à sa propre réélection à la présidence du Sénégal, le 26 février prochain, Abdoulaye Wade, 85 ans, apprécie particulièrement les palaces lémaniques. Il a passé trois semaines incognito aux Trois Couronnes de Vevey en été 2006.

Le Beau-Rivage Palace en juillet 2001 lors du Sommet du G20 d’Evian, le Fairmont Montreux Palace lors du dernier Sommet de la Francophonie tenu en octobre 2010 sur la Riviera en présence du président Sarkozy, le vénérable palace des Trois-Couronnes de Vevey en août 2006… L’actuel président sénégalais Abdoulaye Wade, qui sollicite un nouveau mandat à la tête du Sénégal malgré une vive opposition populaire, est un homme de goût. Si les deux premiers séjours cités au bord du Léman étaient dus à ses activités purement professionnelles – payées en l’occurrence par le gouvernement français -, il n’en est pas allé de même pour son séjour passé à Vevey en été 2006.

Avec son coiffeur et ses cuisiniers

Entouré d'une cour de plusieurs gardes du corps, son coiffeur (sans peigne ni ciseaux!), son médecin personnel et ses cuisiniers, le président Abdoulaye Wade avait passé trois semaines incognito dans le plus ancien et le plus prestigieux des palaces de la région : «C'étaient mes plus belles vacances depuis longtemps» avait confié l'hôte africain au directeur des Trois Couronnes, à Vevey, en prenant congé du personnel, aligné pour un au revoir.

Le président sénégalais était accompagné de sa femme Viviane, une Française de Besançon qu’il avait connue alors qu’il y étudiait le droit. Une flottille de voitures et minibus à plaques diplomatiques françaises était parquée dans la cour du palace pour transporter tout ce beau monde... en toute discrétion. Caprice de star, le président Wade avait demandé que l’obscurité absolue soit faite dans sa suite à près de 3000 francs la nuit et avait même menacé de quitter l’établissement si une seule raie de lumière l’empêchait de dormir.

Le président du Sénégal, âgé alors de 80 ans, assurait qu’il n'avait pas pris de vacances depuis cinquante ans. Au programme de son séjour lémanique: repos, lecture, excursion à Genève pour rendre visite à Christian Ferrazino - l’élu de l’Alliance de Gauche qui fut maire de la ville en 2003-2004 et rencontré lors du Sommet mondial sur la société de l'information en 2003 -, test d’un bateau solaire dans la rade de Genève et visite de la manufacture horlogère de Blancpain, au Brassus: «J'adore les montres. J'en reçois en visite officielle. A mon tour, j'aimerais offrir une montre suisse à mes visiteurs», avait-il expliqué à Alain Delamuraz – bras droit de Nicolas Hayek qui lui faisait visiter la manufacture du groupe Swatch à la Vallée de Joux et à qui il demandera distraitement, en fin de visite, si ces trésors de mécanique fonctionnaient à… piles ! La montre à grande complication qu’il convoitait coûtait quand même la bagatelle d’un million de francs.

Un salaire de 866 euros

D’où venait l’argent? Selon l'hebdomadaire « Jeune Afrique », le président Wade gagnait alors officiellement un salaire mensuel de 568'000 francs CFA hors impôts ou 866 euros! Ce qui faisait de lui l’un des chefs d’Etat les moins bien rémunérés d’Afrique noire, loin derrière Omar Bongo du Gabon (14’940 euros), Laurent Ghagbo de Côte d’Ivoire (14'640 euros) et Thabo Mbeki, le dirigeant sud-africain avec 10'350 euros.

Le président sénégalais Wade, dont le régime est régulièrement accusé d’avoir favorisé la montée en puissance de la corruption au Sénégal, est sur la défensive quand on aborde le sujet. Lors de l’ouverture du « Forum régional sur la mise en œuvre de la convention des Nations unies contre la corruption en Afrique de l’Ouest » tenu à Dakar en juin 2010, Abdoulaye Wade a dressé un sévère réquisitoire contre les policiers, les magistrats et la presse, avant de répondre aux accusations des pays comme les Etats-Unis ou la France qui, selon lui, « sont des pays où la corruption existe bel et bien et ce, dans les plus hautes instances, mais personne n’en parle».

«La corruption existe dans tous les pays du monde, assurait-il alors. Elle se pratique aussi dans les pays développés que nous connaissons ; donc, il ne faut que l’on nous donne des directives», a fait savoir le chef de l’Etat, reconnaissant toutefois que la corruption, le vol et le détournement ont plus d’effets en Afrique que dans les pays développés. « S’il y a des cas de corruption aux Etats-Unis, en France ou en Allemagne, personne ne le dit. Il n’y a pas une personne qui va voir Obama pour lui dire qu’il y a des cas de corruption dans son pays. Alors, que personne ne nous dise que l’Afrique est corrompue».

«J’ai des ministres vertueux ; je me trompe peut-être, parce que je ne comprends pas comment un ministre peut s’enrichir. Peut-être, je suis un naïf, c’est possible», déclarait-il alors. Selon le chef de l’Etat, avec les dispositifs institutionnels du Sénégal, un ministre ne peut pas s’enrichir. «Avec ce mécanisme, je me demande comment on peut le faire. Il y a eu, ici, des problèmes ; mais ce ne sont pas des détournements (…) Aujourd’hui, aucun ministre ne peut dépenser au-delà de son budget.»

Un film sur son futur adversaire politique Youssou N’Dour

Jean-Louis Porchet (Cab Productions) se rappelle très bien de la rencontre avec le président Wade à Vevey: «Je me suis présenté au culot à son hôtel et lui ai parlé du nouveau film de Pierre-Yves Borgeaud. Je lui ai proposé de le visionner en projection privée à Vevey. Il a accepté». «Retour à Gorée» (l'île au large de Dakar) narre l'histoire d'esclaves africains partant pour l'Amérique. A son générique le chanteur sénégalais Youssou N'Dour... qui se trouve être aujourd’hui son ennemi déclaré dans la course à la présidence.

L’auteur-compositeur-musicien-chanteur sénégalais, qui est aussi homme d’affaires avec son propre groupe de presse baptisé Futurs-Média, a déposé sa candidature aux élections présidentielles, mais l’a vue rejetée par le Conseil constitutionnel, le 27 janvier dernier, provoquant des émeutes dans les rues de Dakar.

Le président Wade avait promis de présenter le film de Pierre-Yves Borgeaud aux chefs d'Etat africains, avant de reprendre son Boeing 727 garé sur le tarmac de Cointrin et gagner ensuite l'Allemagne, la France et les USA, sonnant l'heure (suisse) de la rentrée en politique.

On saura le 26 février si l'octogénaire président est désigné pour une nouvelle législature...

2 commentaires

  1. Posté par Camilla Kaworu le

    Macha’Allah! Heureusement que Youssou’n Dour était candidat à la présidentielle au Sénégal, sinon, je doute que vous y auriez même prêté la moindre attention! En fait, probablement que personne en Europe de l’Ouest n’en aurait parlé du tout ou à peine, entre deux brèves! Après tout, personne sur le vieux continent ou même en Suisse n’a sourcillé, lorsque Me Wade (comme les Sénégalais l’appellent) s’est présenté à passé 80 pour un second mandat en 2007! Personne ici non plus n’a rien dit quand il a fait changer deux fois la constitution pour faire d’abord passer le mandat présidentiel de 7 à 5 ans (en 2002), avant d’en refaire un septennat (en 2008)! Mais bon, pourquoi s’intéresser à la politique interne de pays aussi lointains et exotiques! Taper sur leurs ressortissants qui ont la mauvaise idée de s’échouer sur nos rivages à la recherche d’une meilleure vie et faire dans les poncifs habituels sur les goûts de luxe des leaders africains semble largement suffire!

    Pourtant, si on y regarde de plus près, notamment en suivant un peu l’actualité dans la presse africaine francophone et sénégalaise, ainsi que sur les réseaux sociaux, on se rend compte que Youssou’n Dour aurait eu à peu près autant de chance d’être élu que Coluche en 1981! Donc, inutile de s’exciter à ce point à son sujet! Au mieux, il représentait un sérieux poil à gratter pour le président en place et, en l’écartant, Wade se donnait les moyens de se concentrer complètement sur les candidats qui ont le plus de chances de lui ravir sa place. En effet, parmi les 14 prétendants dans la course, dont deux femmes (il faut le relever), les anciens ministres de Wade que sont Idrissa Seck et Macky Sall, plus ou moins unis au sein de la coalition du M23, sont des adversaires autrement plus sérieux! Non seulement parce qu’ils connaissent bien les arcanes du pouvoir, une partie des magouilles de Wade et les gens de l’administration étatique actuelle, mais aussi parce que cela fait maintenant des mois qu’ils se préparent et qu’ils ont pu développer une certaine popularité dans le pays, grâce à des réseaux de militants de leurs partis respectifs.

    Quant à la corruption et aux goûts de lucre du président Wade, honnêtement, vous ne nous apprenez rien de nouveau! Sans compter qu’elle est dénoncée en détails depuis un bon bout de temps par les Sénégalais eux-mêmes. En réalité, ces séjours en Suisse aux frais de la princesse, c’est presque peanuts au regard des manipulations constitutionnelles auxquelles il s’est adonné, à la haute main sur la justice qu’il a établie et dont il se vantait encore, il y a à peine quelques jours, ainsi que les dépenses monstrueuses et inconsidérées qu’il a générées, notamment pour construire cette gigantesque horreur en bronze, en l’honneur paraît-il de la Renaissance africaine, qui trône sur une colline de Dakar. Je vous laisse constater par vous-même ce que ça donne: http://fr.wikipedia.org/wiki/Monument_de_la_Renaissance_africaine. Au final, je ne vois pas du tout l’intérêt de cet article, si ce n’est de rappeler que la Suisse a toujours été beaucoup plus obligeante avec les dirigeants corrompus de ces pays qu’avec leurs ressortissants qui les fuient pour venir travailler chez nous! Ce qui, je pense, n’est pas du tout votre objectif ici, donc l’effet provoqué est probablement bien involontaire!

    Franchement, pour une plateforme qui se veut “politiquement incorrecte” et une alternative à un journalisme romand prétendument trop consensuel et mou, c’est plutôt décevant! Non seulement votre information n’a rien de politiquement incorrect, si par cette expression vous entendez des révélations qui iraient à contre-courant des perceptions les plus répandues sur un sujet donné, mais en plus, votre analyse est aussi peu approfondie et informée, que ce que l’on peut lire à propos de cette présidentielle au Sénégal dans le reste de la presse romande et européenne! Peut-être devriez-vous vous inspirer de la presse africaine et sénégalaise, autrement plus “punchy”! Surtout, vous y trouveriez un peu plus d’informations sur Abdoulaye Wade et son gouvernement ainsi que sur l’Afrique de l’Ouest en général. Vous devriez essayer “Jeune Afrique”! Si, si! Ses positions ne s’accordent peut-être pas toujours avec votre “politiquement incorrect”, mais elles sont bien mieux renseignées sur l’actualité africaine que la majorité de la presse généraliste suisse et européenne.

  2. Posté par François Etienne le

    La corruption généralisée et profonde est LA marque de fabrique des régimes africains, trop souvent avec l’appui de l’Occident qui encense ces dictatures de pacotille pour discrètement voler à très bas prix les richesses de ce continent. Ayons d’abord une pensée pour l’Africain de base, libéré théoriquement du colonialisme par la création des “Républiques démocratiques, ce même Africain qui survit dramatiquement sur un sol aride, dont les tréfonds regorgent de richesses. Cette caste dirigeante complètement pourrie n’a pas le mauvais goût de séjourner en Europe dans les meilleurs palaces, preuve de son éducation … Et surtout de son racisme crasse envers les peuples miséreux.

Et vous, qu'en pensez vous ?

Poster un commentaire

Votre commentaire est susceptible d'être modéré, nous vous prions d'être patients.

* Ces champs sont obligatoires

Avertissement! Seuls les commentaires signés par leurs auteurs sont admis, sauf exceptions demandées auprès des Observateurs.ch pour des raisons personnelles ou professionnelles. Les commentaires sont en principe modérés. Toutefois, étant donné le nombre très considérable et en progression fulgurante des commentaires (259'163 commentaires retenus et 79'280 articles publiés, chiffres au 1 décembre 2020), un travail de modération complet et exhaustif est totalement impensable. Notre site invite, par conséquent, les commentateurs à ne pas transgresser les règles élémentaires en vigueur et à se conformer à la loi afin d’éviter tout recours en justice. Le site n’est pas responsable de propos condamnables par la loi et fournira, en cas de demande et dans la mesure du possible, les éléments nécessaires à l’identification des auteurs faisant l’objet d’une procédure judiciaire. Les commentaires n’engagent que leurs auteurs. Le site se réserve, par ailleurs, le droit de supprimer tout commentaire qu’il repérerait comme anonyme et invite plus généralement les commentateurs à s’en tenir à des propos acceptables et non condamnables.

Entrez les deux mots ci-dessous (séparés par un espace). Si vous n'arrivez pas à lire les mots vous pouvez afficher une nouvelle image.