The Big Short – le casse du siècle

Stéphane Montabert
Suisse naturalisé, Conseiller communal UDC, Renens

Parlons un peu d'économie à travers le cinéma! Un peu après la déferlante Star Wars VII sort en Suisse romande un film discret mais largement plus digne d'intérêt, The Big Short.

cinémaThe Big Short - le casse du siècle décrit l'histoire authentique de quatre individus ayant correctement identifié et anticipé l'effondrement de la bulle immobilière américaine survenue en 2008, qui déclencha d'autres crises à l'échelle mondiale (notamment la crise de la dette publique en Europe) et ouvrant une époque de chaos économique dont nous ne sommes toujours pas sortis.

Le réalisateur Adam McKay a fait un excellent film, réunissant pour l'occasion un casting de rêve. Le film met à l'affiche quatre gagnants des Oscars (Christian Bale, Melissa Leo, Marisa Tomei et Brad Pitt) et deux nominés à la même récompense (Steve Carell et Ryan Gosling). Mais la débauche de stars n'est pas tout, et il fallait un talent sans pareil pour rendre intelligible au grand public tous les concepts financiers dont les professionnels de la finance se gargarisent.

Le résultat est un tour de force: les mécanismes du marché immobilier, hypothèques, couvertures de défaillances (les credit default swaps ou CDS), obligations adossées à des actifs (les fameux collateralized debt obligations ou CDO), la titrisation des dettes en tranches de risque, tout cela est passé à la moulinette avec humour et compétence pour les rendre intelligibles auprès du spectateur non-averti. Rien que pour son travail de vulgarisation de la finance, Adam McKay mériterait un Oscar. Mais le film va bien au-delà.

En effet, c'est en expliquant les mécanismes financiers avec lesquelles les banques américaines jouèrent pendant des décennies que le public est amené à réaliser la stupidité, l'arrogance, la vanité et l'avidité des banquiers de Wall Street, habituellement masquées par une façade d'expertise et de jargon incompréhensible. Mais ils ne sont pas les seuls en cause: tout le système est vermoulu.

Le récit peut se découper en trois parties. Lors de la première, nous faisons connaissance avec des personnages hauts en couleurs, qu'il s'agisse de Michael Burry (Christian Bale), un gestionnaire de fonds excentrique et fan de heavy metal, qui découvre que les produits financiers américains assemblés sur les hypothèques sont en réalité des châteaux de cartes proches de l'effondrement, ou Mark Baum (Steve Carell, basé sur l'authentique banquier Steve Eisman) qui s'est lancé dans une croisade personnelle contre l'incompétence et l'arrogance des grandes banques. Et tout ce petit monde tente le pari complètement fou de miser sur une baisse, voire un effondrement du marché immobilier américain.

La suite est encore plus intéressant puisque la crise immobilière éclate... Et le système résiste. Il ne se passe rien. Les parieurs ont-ils raté quelque chose? Pourquoi les assurances anti-incendies auxquelles ils ont souscrit ne se déclenchent pas alors que les flammes lèchent la façade? Auront-ils raison ou seront-ils ruinés trop tôt? Ce passage du film est passionnant non seulement parce qu'il montre à quel point il est difficile de nager à contre-courant de l'opinion dominante (pareille lutte laissera des traces) mais également à quel point le système est corrompu de la base au sommet. La SEC, l'autorité de régulation, couche avec les banques qu'elle est sensée surveiller ; les agences de notation se font concurrence pour donner leur blanc-seing à des produits financiers complètement pourris ; les banques se refilent entre elles ou à leurs clients des portefeuilles toxiques juste pour s'en débarrasser ; et les médias, loin de dévoiler les fraudes, les cachent pour maintenir leurs "bonnes relations" avec Wall Street.

La dernière partie appartient en quelque sorte à l'histoire puisque la catastrophe financière éclate au grand jour et que les banques elles-mêmes tremblent sur leurs bases. Bien qu'ayant eu raison de bout en bout, nos héros sont contraints de se retirer du marché baissier qui les a rendu riches: à quoi bon détenir un contrat qui vaut une fortune si la banque sensée l'honorer fait faillite?

Mais hormis quelques rares exceptions les banques seront finalement sauvées en dépit de preuves écrasantes de leur malhonnêteté par les politiciens, c'est-à-dire le contribuable américain. Magie du Too Big To Fail! Lui, en revanche, n'aura pas cette chance: dix millions d'Américains perdront leur emploi, six millions leur maison, et d'innombrables familles y perdront leurs économies ou leurs avoirs de retraite.

The Big Short laisse un goût amer. Tiré du livre éponyme de Michael Lewis, c'est une œuvre magistrale, drôle, sympathique, mais aussi historiquement exacte et finalement tragique. Les banques sont devenues encore plus riches aujourd'hui, et en rien plus honnêtes, alors que 46 millions de gens vivent toujours avec des bons alimentaires aux États-Unis.

A noter que le pitch "le casse du siècle" a été rajouté juste pour la version française, laissant entendre que les personnages principaux sont en quelque sorte des arnaqueurs ; il n'en est rien, au contraire, et s'ils réussissent par leur intelligence, leur audace mais également leur intégrité à faire des bénéfices à travers la crise, ils ne représentent qu'une goutte d'eau de profit dans l'océan de pertes d'une bulle immobilière qui éclate et qui aurait éclaté quoi qu'il advienne.

Si vous voulez comprendre comment des manipulateurs financiers cyniques ont oublié toute notion prudentielle pour augmenter leur bonus annuel - fichant en l'air l'économie occidentale au passage - allez voir The Big Short (bande-annonce). Une plongée en eaux profondes dans l'univers des banquiers irresponsables pour le prix d'une simple place de cinéma!

Stéphane Montabert - Sur le Web et sur Lesobservateurs.ch

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