Notre Collègue Suzette Sandoz, professeur honoraire de l’Université de Lausanne, nous fait l’amitié de figurer parmi les contributeurs réguliers de notre site Lesobservateurs.ch. L’ouvrage qu’elle vient de publier, avec une Introduction de A. Maillard, “Une voix claire dans la foule”, aux Editions Cabédita, comporte une centaine de chroniques publiées en allemand dans la NZZ au cours de ces dernières années. Nous reprenons, dans une série, pendant quelques jours, certains de ces articles directement en rapport avec des problèmes majeurs de l’actualité politique. La force, la profondeur, l’originalité et le courage de cette pensée rigoureuse et hors des modes sont connus.Cela mérite la relecture, en français.
Contrairement à beaucoup de personnes, je n’ai pas collé sur ma boîte aux lettres le petit papier de l’association des consommateurs disant: «pas de publicité, s’il vous plaît». En effet, la publicité est utile et légitime dans une société d’économie de marché. En outre, c’est une branche économique qui assure plusieurs postes de travail. En revanche, ce que je trouve passionnant, c’est de résister à la publicité et en particulier à l’utilisation qui y est faite des défauts humains. Si, au lieu de refuser tout net la publicité, on apprenait à y résister et, en outre, à ne retenir que celle dont la qualité serait satisfaisante, peut-être obtiendrait-on un résultat plus positif pour la société. Mais je dis bien «peut-être».
L’un des défauts humains très sollicité par la publicité, c’est la curiosité. Or ce défaut est insupportable – en dehors de la curiosité scientifique et culturelle qui correspond à une ouverture d’esprit.
Quelques exemples de sollicitation de la curiosité: l’enveloppe blanche sans adresse que l’on met dans votre boîte aux lettres. Ma réaction c’est: vu qu’elle n’est adressée à personne, je la jette sans l’ouvrir. Vient ensuite l’enveloppe portant l’indication «ouvrez vite»; alors là, deux solutions: ou bien elle n’a pas de destinataire précis et subit le même sort que l’enveloppe blanche, puisqu’elle n’est adressée à personne, ou bien elle porte mon nom, mais dans ce cas, je ne vais certainement pas l’ouvrir «vite». Posée sur la pile de la correspondance qui peut attendre, elle sera ouverte un ou deux jours plus tard et sans doute jetée immédiatement, quand le contenu futile en sera apparu.
Il arrive qu’une enveloppe provenant d’une oeuvre ou d’une autre montre une bosse de forme spéciale; elle contient à l’évidence un gadget particulier. Comme je n’ai aucun besoin de gadgets dont l’inutilité est souvent avérée, je jette l’enveloppe sans l’ouvrir. Il en va différemment des enveloppes personnalisées dont le contenu semble être des cartes de correspondance. Ecrivant énormément, j’ai toujours besoin de cartes. Si celles envoyées me plaisent, je verse quelque chose pour les garder. Sinon, à la corbeille! car je ne les aurais jamais choisies.
Beaucoup d’appels téléphoniques – dont les numéros se marquent sur l’écran de mon propre téléphone – portent l’indication «appel masqué». Il est évidemment exclu que je réponde à cet appel puisque la personne ne veut pas que l’on sache qui elle est. Or si je répondais, je le saurais, donc ce serait contraire à son désir d’anonymat. Et comme l’anonymat ne correspond pas à une forme de politesse quand on veut communiquer avec quelqu’un, cela ne mérite aucune suite.
Venons-en précisément au téléphone et aux différents moyens de communication de cette espèce (SMS!) à la mode. Comme sollicitation de la curiosité, c’est effarant! Il n’y a vraiment aucun besoin quelconque de répondre au téléphone chaque fois qu’il sonne, ni de lire un SMS dès qu’il arrive – sauf cas totalement exceptionnel. Si la personne qui appelle veut laisser un message, elle le peut, quand il y a un répondeur, à ce défaut elle rappellera ou, si elle souhaite réellement atteindre le destinataire qui, par hypothèse, ne répondrait jamais au téléphone, elle pourra toujours lui envoyer un message par la poste. En ce qui concerne les SMS, il est si facile d’en prendre connaissance plus tard, quand on ne sera pas en pleine conversation avec quelqu’un d’autre, puisqu’ils restent dans la mémoire de l’appareil.
Il est indispensable d’apprendre à résister à la publicité, à la sollicitation de la curiosité sur laquelle elle s’appuie – quand ce n’est pas d’ailleurs sur d’autres défauts, tels notamment, que la vanité. C’est un petit jeu de l’esprit que de déterminer quel est le défaut sollicité par telle ou telle réclame ou publicité et un sport amusant que d’y résister.
Suzette Sandoz 24.10.2010
Cela rejoint François Bonivard dans ses “Advis et devis”: il est plus facile à l’homme de vivre sans pain que sans mensonge! Et c’est ce qu’il y a de plus détestable dans la plupart des publicités, le mensonge exalté au niveau d’un grand art, méthode majeure pour contrôler les esprits à l’insu du plein gré de leur libre arbitre; c’est proprement criminel, mais qu’y faire ?