Editorial
Européens sceptiques
Les critiques de l'UE progressent. En Grande-Bretagne aussi. La Suisse demeure un exemple.
De Roger Köppel
La vague de réfugiés vers l'Europe n'arrête pas. De nouveau, des milliers de personnes à la frontière bavaroise exigent d'entrer illégalement. La Fédération Allemande des fonctionnaires de police demande la dépénalisation de l'immigration illégale. Ce serait une capitulation de plus de l'État de droit allemand.
Il faut se garder de s'indigner trop vite contre la police. Sa proposition est le résultat de la politique erronée de la chancelière. C'est Merkel qui, avec sa politique de bienvenue, a déclenché le chaos.
Son invitation à l'adresse des migrants, quelques semaines plus tôt, a de fait abrogé les règles du droit d'asile allemand. La police des frontières, qui doit effectuer des contrôles inutiles, pâtit de cette annonce. De toute façon, les migrants restent.
Depuis des mois, le problème de fond demeure le même: les États de l'UE refusent de distinguer entre les vrais ayants droit à l'asile, dont l'existence est personnellement menacée, les populations déplacées par la guerre nécessitant une protection temporaire et des migrants économiques illégaux.
Résultat: une industrie des passeurs florissante. Il est donc permis de voir en la chancelière allemande une sorte de sainte patronne de cette industrie criminelle. En refusant d'appliquer les lois allemandes en matière d'asile, Angela Merkel alimente le fonds de commerce des passeurs criminels.
Lors de l'un de ses innombrables sommets, l'UE a décidé de mesures inefficaces. Les accords de Dublin sont lettre morte. Les pays européens sont autorisés à continuer de laisser passer les «réfugiés» sans les enregistrer, à condition d’en informer auparavant le pays voisin.
Au lieu de fermer les frontières aux illégaux, l'UE augmente ses capacités d'accueil. On va agrandir les camps et les centres d'hébergement tout au long de la route des Balkans. Cette offre ne fera qu'accroître la demande.
L'UE n'est ni un État fédéral ni une fédération d'États, mais un entre-deux. La crise des réfugiés révèle de nouveau les erreurs fondamentales de la construction européenne. L'UE n'est pas en capacité sur le plan institutionnel de faire face à la réalité.
Cela frise la folie quand des politiciens suisses jusque dans les rangs du Conseil fédéral tentent encore aujourd'hui de rattacher sur le plan institutionnel la Suisse qui fonctionne bien à cet édifice raté. Le scepticisme envers l'UE gagne du terrain partout en Europe. En Pologne, les conservateurs ont remporté les élections. Ils sont opposés à une politique des réfugiés dictée par Bruxelles et Berlin. C'est un avertissement. Les Polonais ont peur de la Russie. Ils reçoivent des milliards des fonds de subventions européens. Néanmoins, ils prennent leurs distances de Bruxelles. Beaucoup de Polonais, comme une majorité de Hongrois, ressentent désormais l'UE comme ayant trahi l'Europe.
En Grande-Bretagne aussi, les critiques se réveillent. Plusieurs sondages montrent des majorités en faveur d'une sortie de l'UE. Ce sont surtout les immigrants d'Europe de l'Est dans le cadre de la libre circulation des personnes qui suscitent le mécontentement. La migration est le sujet qui fâche. Les sceptiques parmi les Britanniques ne sont pas que de bouillonnants partisans du UKIP, mais aussi des professionnels de la finance de la City de Londres. En dehors de l'immigration, ils voient d'autres problèmes: au premier chef, les tendances hostiles à l'économie de Bruxelles.
Il est intéressant que les grandes banques soient majoritairement favorables à l'UE, tandis que les sociétés financières dirigées par des entrepreneurs et les hedge funds voient en Bruxelles une menace. Nous devons être attentifs également en Suisse à ce que la progression de la politique dans le secteur financier ne fasse pas de nos banques des instruments d'un étatisme anti-libéral.
Cela n'est pas farfelu. L'Association des Banques Suisses fait actuellement une vive propagande pour la libre circulation des personnes. Les politiciens qui s'engagent en faveur de l'initiative contre l'immigration de masse se retrouvent sur la liste grise.
On invoque la forte demande de «personnel qualifié», comme si la Suisse avant l'entrée en vigueur de la libre circulation des personnes en 2007/08 ne pouvait pas recruter de spécialistes étrangers. L'Association des Banques se fourvoie: le Credit Suisse licencie actuellement des milliers de collaborateurs. Il y a pléthore, et non pas pénurie, de professionnels bancaires expérimentés en Suisse.
L'UE reste, malgré tout, un pôle d'attraction pour les bureaucrates et les politiques. Ils pressentent que cette structure floue offre un espace d'épanouissement politique loin du contrôle démocratique.
La gauche suisse s'adonne à son vieil internationalisme. Elle espère également pouvoir faire passer plus facilement par le biais de la clique européenne ses vues malchanceuses dans les urnes.
Chez les partis bourgeois épris de l'euro, on voit souvent à l'œuvre une haine de soi pseudo-idéaliste. Quand ils n'aspirent pas à une taille de la scène qui satisfasse à la taille de leur ego, ils souffrent du supposé provincialisme de leurs cantons d'origine qui a ancré en eux la soif politique du vaste monde. «Malaise du petit État», à gauche comme à droite.
Le célèbre historien suisse Jakob Tanner se réfère au scepticisme suisse vis-à-vis de l'UE dans son nouveau livre qui traite d'un «complexe d'infériorité» chargé de «mythologie nationale». S'accrocher à la Suisse comme État de droit indépendant, émanation de la démocratie directe, est pour lui l'expression d'une «myopie politique».
Est-ce bien sûr? Le même Tanner décrit, même si, dédaigneusement, dans le même livre comment l'autodétermination politique et l'ouverture économique au monde ont toujours été complémentaires pour la Suisse et se sont fécondées sur le plan économique. La Confédération est dans la présentation de Tanner «à la fois le pays le plus national et le plus international du monde» (André Siegfried).
Peut-être que nos grands historiens s'en rendront compte un jour. La Suisse n'est pas un modèle dépassé. Elle reste porteuse d'avenir et intéressante. Les myopes visent à intégrer l'UE, ceux qui voient loin tiennent à la Suisse.
Roger Koeppel, Die Weltwoche, 29. Oktober 2015
Meilleur article que j’ai lu depuis un bon mois.
merci Monsieur Roger Koeppel pour cette excellente analyse. Concernant la catastrophique déferlante des migrants je relève la très pertinente déclaration :
“L’UE n’est ni un État fédéral ni une fédération d’États, mais un entre-deux. La crise des réfugiés révèle de nouveau les erreurs fondamentales de la construction européenne. L’UE n’est pas en capacité sur le plan institutionnel de faire face à la réalité.”.
Il faut ajouter que les représentants politiques de l’UE sont incapable de maîtriser ce problème qu’ils ont généré, ils ont une attitude totalement irresponsable et révèlent clairement leur incompétence.
Sentinelle: merci, OF est un excellent et intelligent orateur.
Quelle clarté dans cet article.
Il y a longtemps que j’espère une Weltwoche en français.
Je vois que je ne suis pas le seul.
A défaut, vive les Observateurs
Je me demandais tout au long de cet article que j’ai lu de la première à la dernière ligne, en haleine, sans en louper une miette qui pouvait bien l’avoir écrit.
Bravo à Roger Kopoel, quel style, quelle clairvoyance, une grande carrière comme chien d’aveugles en perspective !
Peut-être même que l’Empire souhaite la sortie de l’Angleterre de l’UE, ayant besoin d’avoir un pays en Europe qui ne part pas en vrille !
Un pays un peu coupé par la mer du futur tiers-monde !
La Weltwoche en français ? Je serais leur premier abonné. Merci à Monsieur Köppel pour sa clairvoyance et bravo pour sa briantissime élection au Conseil national. J’y verrais bien des collaborations entre la Weltwoche et lesobservateurs.ch, Voix libre, commentaires.com, etc.
Article magistral écrit d’une main de Maître! VIVEMENT une Weltwoche en français. je la ferai parvenir chez moi au Tessin. Alors, Monsieur Koeppel. à vos marques et félicitations pour votre ascension politique. La Suisse a besoin de gens comme vous.
Si l’hypothèse exposée ici est exacte, nous aurons la guerre.
http://civilwarineurope.com/2015/11/03/europe-les-remplacistes-ne-se-cachent-plus-3/
Pour sûr que si on demandait aux gens leur avis pour sortir de cette Europe, la majorité des peuples se prononceraient pour une sortie…sans regrets !
Pour les germanophones de ce site : Samedi passé, Oskar Freysinger, invité par AfD à Essen, a prononcé un discours où il exhorte les Allemands à retrouver la fierté de leur culture et de leur identité – un joli feu d’artifice !
http://www.pi-news.net/2015/11/p489284/
Concernant la sortie de la GB de l’Europe cela ne fait aucun doute. J’évolue dans un milieu britannique, autour de moi les intentions sont unanimes , ils n’ont pas l’ ombre d’une hésitation
Une alternative au torchon Hebdo gaucho et bébête ferait du grand bien à la Suisse romande.
Weltwoche et Roger Köppel frappent juste une fois de plus ! Concernant l’UE, il est faux de croire qu’elle fait des “erreurs”. L’UE mène délibérément une politique de destruction des nations pour y mener ensuite une politique de type URSS pour être finalement livrée pieds et poings liés à l’empire unipolaire américain.
Oui Eric, je rêve également d’un hebdomadaire type Weltwoche en Suisse romande avec une analyse intellectuelle de droite.
Oui la Weltwoche en français donnerait un prisme différent sur l’actualité. On va observer des retournements de veste dans le milieu des journalistes. La TSR a déjà changé de ton récemment.
La Weltwoche en français c’est mieux que l’Hebdo , ?????
A quand la Weltwoche en français en Suisse Romande ? 😉