NDLR : Sur la proposition d'Anne Lauwaert, nous vous ferons partager dès aujourd'hui son livre. Chaque jour, nous allons vous proposer un bout de chapitre "Des raisins trop verts". Bonne Lecture
Le renard et les raisins
Certain Renard gascon, d’autres disent normand,
mourant presque de faim, vit au haut d’une treille
des raisons mûrs apparemment
et couverts d’une peau vermeille.
Le Galand en eut fait volontiers un repas
Mais comme il n’y pouvait point atteindre
“Ils sont trop verts- dit-il – et bons pour les goujats...”Fit-il pas mieux que de se plaindre...
Jean de la Fontaine
à la mémoire de Jasmine
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Dans ce récit, divers faits réels s’entremêlent à d’autres expériences vécues par d’autres personnes. Toute référence à des personnes précises est incongrue et toute ressemblance fortuite.
Pour rendre compréhensible, il faut bien expliquer et donc partir de loin... même de très loin: 1989... et encore bien avant...
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I (1). PREMIER SEJOUR AU PAKISTAN - LE K2
J’ai vécu mon enfance à Strijtem, un petit village flamand. Mes grands-parents y étaient paysans et j’ai fait mes premiers pas avec deux grands chiens bergers malinois : Kikki et Tony. Le jour ils étaient enfermés dans le chenil mais de nuit ils circulaient en liberté pour dissuader les maraudeurs. J’ai couru derrière les poules de ma grand-mère Céline. J’ai moulu les betteraves pour nourrir les cochons et les vaches. J’ai hérité l’amour des arbres, des animaux et de la terre de mon grand-père Guillaume.
J’ai appris à lire et à écrire à l’école communale des garçons où mon père était instituteur. Les autres petites filles allaient à l’école des sœurs dans le couvent du village voisin. J’ai peu joué à la poupée. J’ai passé le plus clair de mon temps dans le ruisseau à pêcher des épinoches à la main. Des salamandres vivaient dans les marrais qui subsistaient des douves du château. Puis, un jour, quelqu’un s’est rempli les poches en remplissant les marais et il n’y a plus de salamandres, ni d’épinoches d’ailleurs...
Dans les années 60 nous avons découvert la macrobiotique, les céréales, le végétarien, le bio, la méditation et aussi un bout de New Age...
J’ai toujours mon jardin, avec fleurs, fruits et potager.
Je continue à me sentir à l’aise dans mes gros sabots et avec mon chien.
Quand, en 1976, j’ai rencontré l’alpiniste belge Claudio Barbier, son sens aigu du respect pour la montagne est tombé chez moi dans un sol fertile. Je raconte son histoire dans mon livre “Le Grimpeur Maudit”.
Après sa mort je n’ai plus grimpé. D’une part j’avais pris peur, d’autre part au Tessin je ne me suis pas familiarisée avec le granit, ni habituée aux nouvelles techniques et matériels d’escalade. J’ai rencontré des chasseurs qui m’ont enseigné une autre montagne: celle des forêts, des plantes et des animaux.
Nous habitions une petite maison dans le bois et recevions la visite de chamois, chevreuils et renards dans notre jardin. Le grenier retentissait des farandoles de loirs et autres petits colocataires facétieux. Nous partions vers minuit et arrivions avant l’aube assez haut pour pouvoir observer la danse des tétras lyre... Mon bonheur était complet quand nous allions à la chasse aux perdrix blanches, les lagopèdes, mais que le vent trop fort les faisait voleter au sommet des parois, hors d’atteinte des fusils...
J’ai donc appris à regarder la montagne autrement.
Un jour j’apprends la création du mouvement Mountain Wilderness...
Cela m’avait l’air intéressant... donc je m’y suis intéressée . Le 16.VIII.89, j’avais participé à l’action “pour le parc” dans la Vallée Blanche à Chamonix. Ensuite une réunion avait lieu à Biella ... Je suis donc allée à Biella...
Mais là, surprise, l’activité principale c’est la révision des statuts de l’association... Olala, quelle barbe, mais je fais “buon viso a cattiva sorte” (bon visage à mauvais sort) et donc j’accompagne tout le monde dans une salle où il y a une longue table et une vingtaine de personnes... Problème : il y a des italophones qui ne parlent pas le Français et des francophones qui ne parlent pas l’Italien... Mais puisque chez moi nous parlons simultanément, en permanence, et l’un et l’autre je propose timidement d’aider à traduire...
Essayons... Monsieur Pinelli s’assoit en bout de table et moi à sa gauche...Il lit le texte en Italien je fais la traduction simultanée... Ce n’est pas simple, je ne connais pas les termes juridiques... Quand j’accroche tout le monde vient à mon secours... plusieurs heures... On finit le boulot, je suis crevée, tout le monde est crevé... on va prendre l’air... il fait nuit dans le superbe parc de la demeure de la famille Sella... les banquiers de Biella... qui sont nos hôtes...
Par la même occasion j’apprends que Mountain Wilderness organise une expédition symbolique au Pakistan pour aller nettoyer le K2 de tous les détritus abandonnés tout au long de 100 ans d’expéditions... des cordes, des campements, des boîtes de conserves, des cadavres...
Ils préparent l’expédition Free K2...
Ah bon, la Montagne, ça n’est donc pas tout à fait clean partout?...
Le Trio sublime :
L’Everest, avec ses 8848m est la montagne le plus haute de notre planète.
Le K2 avec ses 8611m est la deuxième plus haute montagne de notre planète.
Les premiers alpinistes à avoir atteint son sommet sont Achille Compagnoni et Lino Lacedelli le 31 juillet 1954 avec l’expédition menée par Ardito Desio
Le Kanchenjunga avec ses 8586m est la troisième plus haute montagne de notre planète.
Le lecteur aura plus de plaisir à consulter les sites concernés et l’abondante iconographie sur Internet plutôt que de lire de longues descriptions...
Le K2 me touche particulièrement car Lacedelli, le célèbre guide de Cortina d’Ampezzo a été l’initiateur et l’ami de Claudio. Chaque fois que nous nous voyons il me parle en Français, me serre dans ses bras et... me pince le nez...
J’avais des amis qui étaient allés au K2. Almo Giambisi m’avait montré des photos de cet endroit magnifique... « Magnifique » ça ne donne même pas une pâle idée de combien cet endroit est magnifique... il n’y a pas de mots pour le dire... on peut tout juste tomber à genoux... en extase... et en silence...
Seulement voilà, Free K2 doit être une expérience sérieuse: « rien que des mecs solides car les nanas, ça ne sert qu’à foutre le bordel... » (sic)
Mais, il y aura des trekkings de soutien pour médiatiser l’action: ils monteront au camp de base et redescendront le jour suivant.
Alors, pendant que nous prenons l’air dans ce parc splendide, je me hasarde... aux innocents les mains pleines... et je dis à Pinelli:
-“ Mais au K2... y a pas une p’tite place pour moi?...”
Majestueux, impérial, très grand seigneur, il est d’ailleurs très grand et très maigre... il proclame comme à la Comédie Française:
-“Per te ci sarà sempre un piatto di minestra...”
Pour toi il y aura toujours une assiette de soupe...
Cette soupe-là c’était mon sésame...
Donc je saisis la balle au bond et tout de suite... que puis-je faire de concret?
Comme alpiniste, on n’en parle même pas : il fallait vraiment des alpinistes chevronnés capables de fournir de gros efforts physiques à très haute altitude, ce qui était loin d’être mon cas, mais comme ... disons-le franchement... parasite... Je pourrais monter avec un trekking, séjourner au camp de base quelques jours et redescendre avec un autre trekking... Condition sine qua non: être invisible... ne pas déranger, ne pas courir dans les pieds des autres...
@Anne Lauwaert Les 1ères pages de votre oeuvre me donnent bien entendu envie de lire la suite. Cela dit, pas très simple d’opérer de la sorte (connexion obligatoire à Internet alors que je voyage énormément). Est-il possible de le télécharger ? Si oui, comment procéder ? Merci d’avance et encore bravo.
nota : vous devriez imaginer un système qui, pour chaque téléchargement, vous permette d’être quand même rémunérée pour votre récit. Ce serait un minimum.
J’ai lu et commenté (sur “Enquête et Débat”) ce livre: il est PARFAIT de simplicité, de clarté et particulièrement convaincant quant aux difficultés d’intégration de ceux pour qui “les raisins sont trop verts”.
A lire absolument!