Sabine Cessou - Quand la Chine a-t-elle commencé à s'intéresser à l'Afrique ?
William Gumede - Cet intérêt remonte à l'époque des indépendances, dans les années 1950 et 1960. La construction d'un chemin de fer en Tanzanie a été le premier grand projet réalisé au sud du Sahara par les Chinois. À l'époque, l'ancienne puissance coloniale britannique n'avait pas voulu le financer. La Chine, elle, n'avait pas d'argent. Elle était attirée par l'Afrique d'abord et avant tout pour des raisons politiques. Après la brouille entre Nikita Khrouchtchev et Mao Tsé-toung, en 1960, Pékin s'est mis en quête d'alliés sur le continent noir. Alors que Moscou était en pleine déstalinisation et contestait ce qu'il était convenu d'appeler la « voie chinoise vers le socialisme », Pékin a décidé de soutenir les mouvements de libération nationale et des leaders de gauche comme Julius Nyerere en Tanzanie ou Kwame Nkrumah au Ghana. Ce soutien s'est opéré sur des bases idéologiques. Il a bénéficié aux mouvements les plus clairement marxistes-léninistes : le Congrès panafricain (PAC) en Afrique du Sud, l'Union nationale africaine du Zimbabwe (Zanu) ou encore le Front de libération du Mozambique (Frelimo). Dans les années 1970, plusieurs cadres de ces mouvements ont reçu un entraînement militaire en Chine.
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S. C. - Y a-t-il un quelconque avantage à la présence chinoise en Afrique ?
W. G. - Un avantage hypothétique : cette présence pourrait permettre aux Africains de mieux négocier les contrats avec leurs partenaires. Ils pourraient jouer les uns contre les autres, menacer les sociétés occidentales de donner les marchés aux Chinois, et inversement. Si Pékin n'ouvre pas son marché aux produits africains, pas de contrat ! Pour l'instant, seules sont exportées en Chine les matières premières agricoles mais surtout minérales, comme le platine et le chrome, très demandés par l'industrie chinoise.
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S. C. - Au-delà du commerce, les Chinois cherchent-ils à comprendre l'Afrique ?
W. G. - Les Chinois connaissent mieux l'Afrique que les universitaires africains eux-mêmes ! Ils savent ce qui se passe au sein du MPLA ou de l'ANC mieux que les propres membres de ces partis. Grâce à leurs services de renseignement, ils sont capables de faire de la prospective politique, d'échafauder leurs scénarios. J'ai retrouvé à Londres d'anciens employés de l'ambassade de Chine à Pretoria, qui préparaient des diplômes de troisième cycle sur des sujets liés à l'Afrique. En revanche, les Africains ne savent rien du Parti communiste chinois ou des façons chinoises de penser et d'agir. En Afrique du Sud, on ne peut apprendre le chinois que dans une seule université, Stellenbosch, située à proximité du Cap. En Chine, des centaines de chercheurs, dans les universités ou les écoles de commerce, s'intéressent au moindre recoin du continent africain. Le gouvernement chinois dispose d'un énorme service Afrique. La Chine compte plus de 10 000 think tanks ; nombreux sont ceux, parmi eux, qui s'occupent exclusivement de l'argent public investi en Afrique.
S. C. - Les Chinois éprouvent-ils un complexe à l'égard de l'Afrique ?
W. G. - Aucun, et c'est ce qui fait toute la différence avec les anciennes puissances coloniales !
Lire l'intégralité de l'interview:
http://www.politiqueinternationale.com/revue/article.php?id_revue=137&id=1143&content=synopsis
Comme je vous ai posté cet extrait, hier, dans un commentaire, j’espère qu’il intéressera des lecteurs qui pourraient encore croire à la pauvreté en Afrique.
Merci, en tout cas, pour la diversité —et l’intelligence de vos articles.