Terrorisme : un colloque à Genève…

Richard Labévière
Journaliste, Rédacteur en chef  du magazine en ligne : prochetmoyen-orient.ch

 

Le 27 mai dernier s’est tenu à Genève un colloque bien intéressant : Le moment terroriste – anciennes menaces, nouveaux enjeux et mutations. Co-organisé par le GCSP (Geneva Center for Security Policy), le GIPRI (Institut international de recherches pour la paix) et votre magazine prochetmoyen-orient.ch, il a réuni une cinquantaine des meilleurs experts internationaux.

 

Les différentes interventions ont permis de sortir des grands récits convenus qui ressurgissent inévitablement dès qu’il est question de « terrorisme «  et de sa « scène ». Nous voulions insister sur cet aspect de la « représentation » en reprenant le concept clé de Guy Debord, articulé dans son ouvrage « La société du spectacle ». Pour cette raison, nous avons organisé notre premier atelier autour de la « communication », au sens large, des différents acteurs d’un « moment » terroriste qui s’inscrit dans la longue durée, sinon qui constitue le plus vieux métier du monde…

 

Le deuxième atelier concernait, évidemment, l’évolution de la cartographie et de la géopolitique de la menace et l’examen des stratégies de Dae’ch. Le troisième se voulait plus opérationnel en s’articulant autour de la question léniniste imparable : que faire ? Dans le périmètre de ce cadrage épistémologique, il nous apparaissait très important, non seulement de reconstituer quelques filiations historiques essentielles (anciennes menaces) mais aussi de restituer la spécificité de la lutte anti-terroriste menée en Algérie entre la fin des années 80 et celle des années 90. Dès cette période, les GIA (groupes islamistes armés) utilisaient déjà toutes les tactiques et modus operandi aujourd’hui hyper-médiatisé par Dae’ch, l’organisation « Etat islamique ».

 

Dès cette période, les GIA ambitionnaient d’instaurer en Algérie un « califat » dans une indifférence internationale généralisée alors que plusieurs rédactions parisiennes lançaient une campagne autour du slogan « Qui-tue-qui ? » cherchant à attribuer la totalité des victimes aux appareils d’Etat algériens… Hallucinant ! Ce qui l’est encore plus, est de constater l’amnésie, sinon la gêne persistante autour de cette machination !

 

Depuis le temps, historiens, anthropologues et autres experts ont, heureusement tordu le cou à cette ignominie, mais l’entreprise a laissé des traces et ressurgit régulièrement comme un inconscient « toujours déjà là ! » Il y a quinze jours encore, l’agence de presse Reuters rendait compte d’une opération menée contre un groupe terroriste - opérant dans la 1ère région militaire d’Algérie - en qualifiant les terroristes neutralisés de l’appellation « militants »… La dépêche a été reprise telle quelle par plusieurs médias parisiens et occidentaux enflammant la blogosphère…

 

Cette résurgence proprement « médiatique » nous amenait à reformuler une double interrogation, tant sur la filiation « idéologique » et opérationnelle de la menace que sur la « communication » mise en œuvre tant par les organisations terroristes elles-mêmes que par les médias et les autres acteurs du contre-terrorisme. Ici fût rappelée une salutaire différenciation entre l’anti-terrorisme - ses outils immédiatement policiers, judiciaires et militaires - et ceux du contre-terrorisme cherchant à remonter aux causes, à travers les méthodes du renseignement, mais aussi par celles de la diplomatie, sinon du développement économique et de l’influence culturelle.

 

Ces différents constats nous amenaient à mettre en perspective une deuxième série d’interrogations, revenant encore sur la dimension communicationnelle des différents protagonistes de la menace, mais surtout sur des aspects moins évidents qui nous impliquent « nous », les gens du nord… Le phénomène terroriste se déploie à l’intersection des conflits qui déchirent les Proche et Moyen-Orient, une partie de l’Afrique, de l’Asie et les tensions et les crises de nos propres sociétés : chômage, réductions structurelles des budgets publics, dysfonctionnements de l’école et des autres machines à intégrer, pour ne pas dire crise du « sens », sinon des identités…

 

Et c’est précisément là qu’on se gratte vraiment la tête… Après plusieurs décennies de reportage de terrain, nous avons passé une quinzaine d’années à enquêter sur les filières de financement du terrorisme. Ce travail a débouché sur deux constats principaux : ces financements partent et aboutissent non seulement à de grands acteurs financiers des pays du Golfe au premier rang desquels l’Arabie saoudite, mais impliquent toujours la plupart des place off-shore dont la majorité se trouvent sous pavillons américain et britannique.

 

Par ailleurs, l’évolution des budgets militaires des pays occidentaux, la croissance du volume d’affaire des complexes militaro-industriels et de leurs parts de marché aboutissent à une conclusion imparable : le terrorisme est devenu un secteur d’activité à part entière, comme si le terrorisme s’était imposé à nous comme le stade suprême de la mondialisation. Comme l’explique très bien Georges Bataille dans La Part maudite : tout processus de croissance nécessite sa part de gaspillage et de « consummation »…

Transposé sur le plan de nos institutions, de nos vies politiques et culturelles, ce constat est autrement plus inquiétant, puisqu’on voit aujourd’hui - et l’on revient ici à l’exemple algérien -, on voit aujourd’hui d’ex-responsables des GIA… plastronner à la tête d’ONGs et d’associations « humanitaires » implanté en Europe, en France, en Suisse, en Belgique et aux Pays-Bas notamment, afin de blanchir le terrorisme en transformant ses acteurs passés et présents en « militants »…

 

Se pose ici toute la question de l’instrumentalisation des faiblesses de nos systèmes démocratiques, ouverts donc fragiles… comme celle de nos lâchetés politiques et idéologiques !

 

Richard Labévière, 30 mai 2015

 

2 commentaires

  1. Posté par Anne Lauwaert le

    « le terrorisme est devenu un secteur d’activité à part entière »
    La migration est, elle aussi, un big business et pas seulement pour les négriers qu’on appelle maintenant « mafias des passeurs ».
    Combien de petits hôtels ne remplissent-ils pas leurs chambres grâce aux migrants ? et tous les employés dans les centres d’accueil, et les fournisseurs, et tous les « sous-traitants »… payés par qui ? par le contribuable alors qu’il n’y a pas d’argent pour l’enseignement, les soins, les routes, les pensions etc…
    L’islamisation est aussi une bonne affaire : les propriétaires vendent leurs terrains pour y construire des mosquées, dont les plans sont dessinés par des bureaux d’architectes et exécutés par les entreprises du bâtiment, etc…. N’oublions pas le business du halal. Et n’oublions pas l’orientation suggérée par l’actionnaire principal … par exemple dans la presse… Et n’oublions pas non plus les « synergies »… c.-à-d. les amis des amis et les cousins des cousins et une main lave l’autre etc… Non je n’ai pas dit les « corruptions », je dis les « synergies ». Ce sont de longues chaînes où de nombreuses personnes ont leurs intérêts au détriment des autres.

  2. Posté par G. Vuilliomenet le

    Quelle géopolitique et quelle stratégie pour al-qaïda et l’Etat islamique?

    Un livre est paru en 2007 déjà, en français, il s’agit de “Gestion de la barbarie” de Abu Bakr Naji:

    https://sitamnesty.wordpress.com/2009/10/13/gestion-de-la-barbarie-par-abu-bakr-naji/

    Allez visiter le site du Parlement fédéral et chercher cet ouvrage! Personnellement, je n’ai rien trouvé, ni en français, ni en anglais sous le titre original “The Management of Savagery”, ce que je pense extrêmement grave car cela montre la légèreté et la cécité, peut-être volontaire, de nos responsables politiques en ce qui concerne les stratégies d’islamisation de l’Occident.

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