Contrairement au Québec, en France les réformes ne passent pas dans l’apathie générale

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De Christian Rioux, correspondant à Paris du Devoir :

Qui s’en souvient ? Au tournant du siècle, c’est à l’initiative de Pauline Marois que le Québec s’engageait dans l’aventure malheureuse du Renouveau pédagogique. Pédagogies « ludiques » et « centrées sur l’enfant », « école de la réussite », « compétences transversales », tels furent quelques-uns des slogans de la plus vaste entreprise de déconstruction de l’école jamais entreprise au Québec. Il aura fallu plus de 10 ans pour tenter de colmater quelques-uns des trous béants de cette opération de table rase. Et ceux-ci sont encore loin d’avoir été rebouchés, comme en témoignait une étude récente de Simon Larose et Stéphane Duchène selon qui, 15 ans plus tard, le niveau des élèves ne s’est guère amélioré [pour le moins, voir ci-dessous !]. Une réalité que les professeurs sont en mesure de constater empiriquement, pour peu qu’ils aient le courage de « voir ce que l’on voit », comme disait si bien Péguy.

Christian Rioux parle de peu d’améliorations. Citons l’étude...

Sur le plan des résultats, « les élèves du Renouveau ont obtenu un résultat global à l’épreuve de mathématique légèrement inférieur à celui obtenu par les élèves non exposés au Renouveau », annoncent les auteurs. « L’écart entre les cohortes exposées au Renouveau et la cohorte contrôle s’est accentué pour les élèves jugés à risque par leurs parents et pour ceux fréquentant des écoles de milieux défavorisés ». Autrement dit, l’objectif de lutte contre les inégalités n’est pas atteint lui non plus. En français, le niveau reste élevé [hmmm] mais moins bon pour les élèves du Renouveau. « Le critère “orthographe” est celui pour lequel les taux de réussite ont été les plus bas, et ce, particulièrement pour les élèves de la troisième cohorte ; cette différence est d’autant plus vraie pour les garçons de cette cohorte », écrit le rapport. Ne parlons même pas du manque de culture classique et littéraire des jeunes Québécois quand on évalue leur français.

À l’époque, cette vaste entreprise idéologique, parée des atours de la « démocratisation », ne provoqua guère d’affrontements malgré la grogne de nombreux professeurs. Pas de manifestations dans les rues, pas de grèves. C’est tout juste si les débats entre spécialistes firent frissonner les tribunes de nos journaux. Le Québec n’allait-il pas dans la direction où soufflait le vent ? Celui de la modernité évidemment ! [...]

C’est souvent ainsi au Québec. On se perd en conjectures : le bon peuple fait-il confiance aux bureaucrates qui pensent pour lui ? L’éducation n’est-elle en général pas une priorité ? [Ceci dit notre billet sur le Classement des écoles secondaires du Québec est un de nos plus lus : plus de 9440 vues en 6 mois.] Les parents sont-ils résignés ? Croient-ils vraiment les communiqués victorieux du Monopole de l’Éducation du Québec, relayés par les médias ? Un manque d'organisation, de figure de proue charismatique pour incarner le mécontentement ?

Le débat sur la réforme des collèges qui se déroule en France ces jours-ci devrait nous intéresser. Un peu comme on fait un retour accéléré pour revoir le début d’un vieux film. Comme souvent en France, la chose ne passe pas comme une lettre à la poste. [Se rappeler l’hystérique Anne Dorval qui ne comprenait même pas qu’on débatte.] Les professeurs et les intellectuels français, de gauche comme de droite, nous offrent l’exemple d’une belle résistance et d’un débat qui a au moins le mérite d’exister. Grâce à la force des traditions républicaines, l’école française avait résisté jusque-là plus que les autres aux sirènes de cette « école de la réussite ». Peut-être à cause de leur bonne formation, les professeurs savaient bien qu’une école où personne n’échoue ne pouvait être qu’une supercherie. Comme si dorénavant toutes les équipes de la Ligue nationale pouvaient décrocher la coupe Stanley la même année.

Le pays de Jules Ferry a longtemps boudé ce modèle unique et mondialisé si loin de ses principes. Ce modèle, c’est celui d’une école qui supprime l’échec et le redoublement — une importante mesure d’économie en temps de crise — en faisant disparaître l’évaluation des savoirs et l’effort. Ce modèle, c’est celui d’une école clientéliste où les humanités et la littérature ont été remplacées par des programmes allégés énumérant de vagues « compétences » difficiles à mesurer et proposant des projets pluridisciplinaires qui grugent un temps fou et transforment le professeur en animateur de colonie de vacances. Si ce modèle suffit à former de bons employés flexibles et polyvalents, pourquoi faudrait-il en demander plus ?

Pour Montaigne, Molière et les langues anciennes, il faudra donc aller voir ailleurs. En pratique, partout où cette école bas de gamme [celle que le Québec a déjà, on est les plus meilleurs !] s’est implantée, c’est l’école privée qui se charge de la formation des élites. Le Québec, où le privé prend de plus en plus de place depuis 10 ans, en est l’exemple parfait. 

Bien que le privé au Québec ait nettement moins de libertés pédagogiques que les écoles hors contrat françaises !


Cela faisait des années que l’OCDE reprochait à la France de continuer à caresser l’idéal des Lumières qui consistait à offrir à tous un fort contenu humaniste et littéraire proposant notamment des cours de latin et d’allemand jusque dans les banlieues les plus reculées. Or, voilà ces filières condamnées pour cause d’« élitisme ». Contrairement à la tendance générale, les meilleurs lycées français donnant accès aux grandes écoles sont encore publics, gratuits et accessibles à tous. Mais pour combien de temps ?

Il serait surprenant que la réforme du collège qui vient d’être imposée de manière autoritaire par le gouvernement socialiste produise des résultats différents de ce qui se passe ailleurs. Comme l’écrivait la directrice de la Revue des deux mondes, Valérie Toranian : « Les bons élèves vont encore plus déserter le système public pour aller former des élites dans le privé. Qu’auront gagné les élèves en difficulté ? Rien. Qu’auront perdu les bons élèves ? La possibilité d’être encore meilleurs dans l’école publique et de devenir les élites dont ce pays aura besoin demain. Les parcours d’excellence seront donc plutôt réservés aux privilégiés. Paradoxe du projet socialiste. »

Au Québec, c’est et cela a été le projet de tous les grand partis : PQ, PLQ et CAQ.


Paradoxe non moins étonnant, à gauche, nombre de défenseurs de ces réformes sont eux-mêmes issus de la méritocratie française. Comme si, après avoir eu droit à ce qu’il y avait de mieux, ils s’empressaient d’en interdire l’accès aux candidats des milieux populaires. Milieux avec qui la gauche a de toute façon depuis longtemps rompu. Que ne sacrifierait-on pas au nom du dieu Modernité…


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