Le militant associatif Francis Journot le rappelle : "les difficultés" de la Grèce "ont commencé lorsque ses créanciers ont douté de ses capacités de remboursement". Et d'expliquer que "l’importance de la dette de la France pourrait finir par faire douter de notre solvabilité.". Il en déduit donc qu'il faut prendre les devants, ne pas attendre d'être la proie du FMI et choisir, dit-il, de "sortir de l’euro et de l’UE".
La dette publique de l’État français atteint 6 000 milliards d’euros, équivaut à plus de vingt années de recettes fiscales et près de 300% du PIB. Le processus de cavalerie financière de la dette publique auquel les gouvernements ont recours depuis la loi bancaire du 3 janvier 1973, expose plus que jamais la France à la volatilité des marchés financiers et au défaut de paiement. Des engagements plus confidentiels, hors-bilan et portés par l’État, pour le paiement des pensions de retraites des fonctionnaires ou assimilés, pourraient également s’avérer, à terme, impossibles à honorer. Une sortie de l’UE pourrait s’imposer comme l’unique voie de sortie d’un système de cavalerie qui menace d’exploser.
Un service de la dette de 150 milliards par an
La dette publique de l’État, au sens de Maastricht, est, depuis quarante ans, constamment nourrie de nouveaux emprunts pour assurer le remboursement des anciens et de leurs intérêts mais aussi des nouveaux déficits. Elle atteint maintenant 2 037,8 milliards d’euros et équivaut à 95,4 % du produit intérieur brut (PIB) d’un montant de 2134 milliards en 2014. Le paiement des intérêts de la dette (charge de la dette) qui avoisine 45 ou 50 milliards d’euros depuis quelques années, constitue souvent le premier ou deuxième poste de dépenses de l’État.
Mais lorsque l’on ajoute un remboursement annuel moyen de capital de 100 milliards, les annuités (service de la dette) atteignent 150 milliards d’euros soit l’équivalent de plus de la moitié des ressources fiscales françaises de 278,9 milliards en 2014 ou de la totalité de la dotation annuelle de l’éducation, la défense, la santé, l'emploi, la justice, etc. Soit trois-quart du budget alloué aux ministères.
Pour financer le remboursement d’un service de la dette de 150 milliards et d’un déficit annuel autour de 85 milliards, l’Agence France Trésor qui gère les dettes de l’État, émet chaque année, de nouveaux emprunts notamment sous forme d’obligations à terme (OAT). Le montant annuel des emprunts se situait au cours des huit dernières années entre 190 et 285 milliards, soit en moyenne 230 milliards d’euros chaque an.
4 000 milliards d'engagements hors-bilan
Les engagements hors-bilan de l’État, qui, bien que portant principalement sur des sommes à payer dans le futur, n’en demeurent pas moins des dettes à comptabiliser. Selon une communication de la Cour des comptes au Sénat, les engagements s’élevaient déjà à 3 090 milliards fin 2012. Un montant de 1 679 milliards concernait les pensions de retraite des fonctionnaires, personnels des armées et agents de la poste, mais la destination de 1 412 milliards semblait plus floue. Près de 1 000 milliards relevaient de garanties financières à destination d’acteurs économiques dont une protection du risque des épargnants qui s’élevait à prés de 400 milliards.
Si l’on considère l’importance des sommes dont les montants ont été multipliés par plus de trois en dix ans, et si l’on tient compte de l’afflux de la génération des baby-boomers, on peut douter de la capacité future de l’État à honorer le paiement des pensions de retraite des fonctionnaires en totalité. Selon le quotidien économique les Echos, le total des engagements hors)bilan de l’État atteint près de 4 000 milliards d’euros. Lorsqu’il évoque la dette par habitant, l’économiste Jean-Yves Archer s’interroge sur l’éventualité d’un scenario proche de celui de Chypre. La dette publique de l’État, tous débiteurs confondus, d’un montant qui dépasse 6 000 milliards d’euros, représente vingt-deux années de recettes fiscales et près de 300% du PIB.
La loi Pompidou-Giscard de 1973
La dette au sens de Maastricht ne représentait, à la fin des années 1970, que 20% d’un PIB annuel de 400 milliards d’euros. Elle a certes été creusée de 670 milliards, de 2007 à 2011, par les plans de sauvetage des banques, d’États en difficulté et de relance de l’économie. Mais, surtout, aucun budget de l’État n’ayant été depuis 1974 à l’équilibre, les déficits sont, chaque année, comblés par endettement. La fin du financement à taux zéro de la dette publique par la banque centrale (Banque de France) a provoqué une accumulation des intérêts. En effet, la loi du 3 janvier 1973 dite loi Pompidou-Giscard, présentée pour limiter la création monétaire et l’inflation, a modifié le fonctionnement de la Banque de France et mis fin a son pouvoir de battre monnaie. Depuis, l’État français est obligé d’emprunter sur les marchés financiers au lieu de se financer à taux nul auprès de sa banque centrale.
Puis cette obligation prenait la forme de l’article 104 du Traité de Maastricht en 1992 et ensuite de l’article 123 du Traité de Lisbonne et interdisait dorénavant aux États membres de l’Union européenne de se financer auprès de leurs banques centrales respectives ou de la Banque centrale européenne (BCE). Par ailleurs, le Traité de Lisbonne n’aurait jamais dû être adopté. En effet, son texte a été ratifié en 2008 par le Parlement français conformément au souhait de la Commission européenne, mais contre la volonté exprimée par près de 55% des Français lors du référendum de 2005.
La loi n’a évidemment pas systématiquement empêché l’inflation mais a surtout soumis notre pays à ses créanciers et transformé, au fil des années une dette raisonnée en rente ruineuse. Il est à craindre que notre pays soit, aussi longtemps qu’il fera partie de l’UE, toujours contraint de se financer auprès de banques privées et ne puisse avoir recours à la Banque de France ou à la BCE. Certes, cette dernière rachète temporairement depuis mars 2015, de la dette publique d’État. Mais en acquérant sur le marché secondaire des dettes déjà émises, celle-ci ne déroge pas au Traité de Lisbonne. Il est par ailleurs, assez peu probable que la Commission européenne, si toutefois le gouvernement français acceptait de lui en faire la demande, consente à abroger l’article 123 du Traité de Lisbonne. Néanmoins, compte tenu de l’importance de la dette, nous devons admettre qu’aujourd’hui les fonds de la Banque de France ne suffiraient plus à financer les emprunts de l’État français.
Bas niveau des taux d'intérêts, jusqu'à quand ?
Le marché français de la dette publique a aujourd’hui les faveurs d’investisseurs qui disposent d’une surabondance de capitaux et privilégient des placements à faible taux dans des pays qui, pensent-ils, pourraient toujours lever de nouveaux impôts en cas de difficultés. Selon France Trésor, le taux moyen d’emprunt ne dépassait pas 1,54 % à fin 2013. L’injection de 60 milliards d’euros par mois depuis mars 2015 et jusqu’en septembre 2016, dans le cadre du plan de relance monétaire dit « Quantitative easing » ou « QE », conduit par la Banque centrale européenne, a fait baisser les taux d’emprunt en Espagne, en Italie ou au Portugal. Néanmoins, le taux français des OAT à 10 ans étaient déjà à 0,6 % avant l’annonce de la BCE. Aussi, la baisse et ses effets sur notre dette pourraient s’avérer moindres.
Cependant, bien que la BCE ait invoqué les objectifs de rachat de la dette publique des Etats pour alléger leur fardeau et de lutte contre un risque de déflation générateur de récession, l’inquiétude, quant au risque de faillite de la France et d’éclatement de l’Europe, pourrait également avoir motivé le plan monétaire de 1 140 milliards. Malgré tout, celui-ci ne nous préservera guère de voir les taux d’intérêts particulièrement bas dont nous bénéficions actuellement, s’envoler en cas de doute des investisseurs à propos de notre capacité à rembourser. La Grèce emprunte en ce moment à 10 % et nous avons nous-mêmes subi en France des taux qui ont parfois culminé à 17 % en 1983, 11 % en 1990, plus de 8 % en 1995, près de 6 % en 2000 ou 4,15 % en moyenne entre 2001 et 2007.
Un risque élevé de défaut de paiement
Tout processus de cavalerie financière ayant généralement vocation à s’écrouler, il nous faut être clairvoyant. L’importance de notre dette, elle-même entretenue par ses intérêts et de nouveaux emprunts pour combler des déficits permanents, pourrait finir par faire douter de notre solvabilité. Croissance atone, augmentation continue de la dette qui s’est accrue de 112,5 milliards d’euros en 2014, de 84,4 milliards en 2013 et de 116,1 milliards en 2012. Aussi, en présence d’un risque qui augmente au rythme de l’endettement, on peut craindre deux scénarios susceptibles de mettre à bas le fragile stratagème de financement.
Les taux d’emprunt remontent à des niveaux comparables à ceux que nous avons précédemment connus au cours des années 1980 ou 1990. Les nouveaux taux doublent ou triplent le coût des intérêts puis, à terme, compte tenu de la structure de la dette, celui des annuités. Nous parvenons un temps, à assumer la charge de la dette mais ne pouvons payer le service de la dette. Ou les investisseurs cessent d’acheter les nouvelles émissions d’emprunts. Nous ne pouvons plus faire face au remboursement des anciens emprunts ni à la totalité de nos dépenses courantes. Dans les deux cas les difficultés s’enchaînent et l’effondrement et la cessation de paiements menacent. En trois semaines, entre le 16 avril et le 7 mai, les taux d’émission des obligations françaises à dix ans ont plus que triplé en passant de 0,3 % à 1,1 %. Prémices d’une crise ?
La Grèce, dont les difficultés ont commencé lorsque ses créanciers ont douté de ses capacités de remboursement, avait reçu de l’UE et du FMI en 2010 et 2013, 250 milliards d’euros de prêts. Mais à l’échelle de la France, si l’on considère que notre dette, tous débiteurs compris, est vingt fois plus élevée, les besoins, en cas d’incidents de paiement en cascade, pourraient dépasser l’inimaginable. L’UE et le FMI jetteraient-ils l’éponge, même si par ailleurs cela devait conduire à l’éclatement de la zone euro et de l’Europe ou entreprendraient-ils de réunir les fonds colossaux nécessaires au secours de la France ?
Si l’on retient la deuxième hypothèse, le FMI apporterait plusieurs centaines de milliards. Le Mécanisme européen de stabilité (MES) qui prévoit, en cas de crise, une levée de fonds sur les marchés pouvant atteindre 700 milliards d’euros interviendrait. La BCE réorienterait vers notre pays, une plus grande part des 1 140 milliards du plan de relance monétaire. Un abandon d’une part de la dette par les créanciers achèverait de placer la France sous la tutelle de la Troïka et des marchés financiers. Cette opération désespérée de sauvetage ne ferait que repousser à plus tard une issue que chacun soupçonne et le remède s’avérerait certainement pire que le mal. En effet, les plans d’austérité plongeraient encore davantage notre pays dans la récession avant l’inévitable cessation de paiements.
Celle-ci pourrait avoir des conséquences extrêmement graves sur nos vies : banques en difficulté après des retraits massifs, comptes d’épargne bloqués par l’État, épargnants ruinés, effondrement du système financier et de l’économie, fermetures d’entreprises en cascade, millions de licenciements dans le public et dans le privé, baisse des traitements de fonctionnaires, des pensions de retraite, suppression d’allocations chômage et minimas sociaux. Explosion de la misère et de l’insécurité. La France serait décrédibilisée pour longtemps et nous aurions désormais les plus grandes difficultés à financer nos besoins. Alors peut-être ne devrions-nous pas attendre pour sortir de l’euro et de l’UE.
Sortir de l'euro et de l'Europe sans dommage
Une dette relibellée en francs pourrait occasionner un surcoût mais un effet de 5 à 10 % serait compensé. Le financement à taux nul d’une part des besoins financiers ferait diminuer les intérêts. Le pouvoir souverain de créer à nouveau monnaie et une nouvelle politique industrielle pourraient, pour la première fois depuis quarante ans, permettre d’espérer enfin une diminution de l’endettement. D’autre part, il est certain que l’Europe ne pourrait survivre à la sortie de la France de l’UE. Aussi, dès lors, la France ne connaîtrait pas de fort phénomène d’inflation ou de dévaluation. D’autant que la valeur de l’euro a considérablement baissé et se trouve maintenant quasiment à parité avec le dollar.
La relance de l’industrie manufacturière des biens de consommation que nous appelons de nos vœux depuis plusieurs années, désormais possible, contribuerait à la diminution des importations et donc de l’inflation importée. Il serait également envisageable de pourvoir à l’instauration de mécanismes de rééquilibrages des échanges commerciaux, dont le déficit atteint, certaines années jusqu'à 60 milliards d’euros. En effet, quelques années après l’abolition des quotas d’importation, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a ensuite aménagé le 7 décembre 2013 à Bali une exemption accrue des droits de douane signée par 157 pays. Les groupes industriels et de distribution se sont révélés être les principaux bénéficiaires de cette convention qui ne semble guère avoir d’impact sur les salaires ouvriers des pays concernés ni sur nos prix à la consommation.
Les nouvelles perspectives économiques d’une France désormais débridée pourraient davantage rassurer qu’inquiéter des marchés financiers qui continueraient à préférer placer leur masse monétaire dans les dettes souveraines d’un pays qui n’a pas, en tout cas pas depuis deux siècles, fait défaut et dont la crédibilité était meilleure avant le passage à l’euro.
Un nouvel élan économique
La fin des quotas d’importation, imposée par l’OMC, la politique de libre-échange non régulé de l’UE et l’accompagnement à la délocalisation parfois dispensé par les gouvernements ont provoqué la disparition de pans entiers de notre industrie. Ainsi, notre pays a sombré dans la torpeur et des régions entières sont exsangues. Mais en nous libérant des contraintes de l’UE, un nouvel élan pourrait naître.
L’extraordinaire capital humain dont la France dispose pourrait permettre la reconstruction d’un outil industriel moderne, capable de recréer en quelques années plusieurs centaines de milliers d’emplois et deux à trois fois plus d’emplois indirects et induits. Il serait tout à fait possible de fabriquer à nouveau en France une part importante de nos biens de consommation. Certes, nous devrions, face au dumping social, générer des synergies entre les entreprises, mutualiser des moyens de production et de commercialisation, faire des économies d’échelle pour pondérer les coûts tout en usant de modèles de gestion plus adaptés.
Le différentiel annuel entre notre contribution européenne et les subventions reversées à notre pays approche 8,5 milliards d’euros. Pour exemple, un montant semblable, affecté à la relance de l’industrie manufacturière, permettrait le financement de 100 000 postes de travail avec un coût de création situé entre 30 000 et 1 million d’euros pour les plus automatisés ou hautement technologiques. Les nouvelles usines ainsi créées pourraient produire, entre autres, une part de nos biens de consommation courants ou de produits parfois subventionnés par l’argent public, mais dont l’importation participe aujourd’hui à notre déficit commercial.
Cinq-cent-mille emplois industriels et 1 à 1,5 million d’emplois indirects et induits créés en cinq ans pourraient ensuite rapporter chaque année jusqu'à 30 ou 40 milliards d’euros de nouvelles recettes fiscales et cotisations. De plus, l’Etat économiserait probablement 15 à 20 milliards en allocations, aides diverses et dépenses d’accompagnement ou d’insertion. Un choc sur l’emploi manufacturier nous acheminerait vers un cercle vertueux économique susceptible de faire baisser mécaniquement la dépense publique. En effet, au rythme de la baisse du nombre de chômeurs et de l’augmentation du nombre de cotisants, les déficits diminueraient. Subséquemment, une baisse proportionnelle du montant des charges sociales des PME pourrait encore favoriser l’emploi et, à terme, diminuer d’autant les déficits et l’endettement. Les entreprises et l’État pourraient investir davantage, le chômage continuerait à décroître et les salaires seraient en hausse pour plus de pouvoir d’achat et une consommation de produits de meilleure qualité et respectueux de l’environnement, plus souvent fabriqués en France, etc.
Raisonnement de repli sur soi et d’isolement ou, au contraire, de reconquête de l’économie et de rayonnement de la France ? Citons l’excellent et regretté Bernard Maris : « L’économie, c’est pas compliqué. Il faut que les gens qui travaillent, bouffent et consomment ce qu’ils produisent. » Certes, la reconstruction d’une nouvelle industrie manufacturière, compte tenu de la disparition de filières entières et de leurs savoir-faire sera difficile et pourrait prendre le temps d’une génération. Bien qu’elle remette en question la pertinence de dogmes admis et puisse inquiéter nombre d’entre-nous, l’hypothèse d’une sortie de la France de l’euro et de l’UE, devrait, compte tenu du risque élevé de défaut de paiement, être envisagée.
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