Baltimore, Ferguson, New York etc. les violences policières aux Etats-Unis font quotidiennement la Une des journaux. La prise de conscience « très nette » du problème au sein de la société américaine et de la classe politique suffira-t-elle pour autant à revoir la législation sur les armes à feu ? Non, répond le professeur en criminologie Alain Bauer qui pointe toute l'ambiguité du business et de la culture des armes qui transforment aussi la police en une armée « guerrière ».
Marianne : Dispose-t-on de chiffres, de statistiques, permettant de mesurer le nombre et la fréquence des bavures dont sont victimes les jeunes noirs aux Etats-Unis?
Alain Bauer* : Pas vraiment. On connaît grâce aux syndicats les policiers blessés ou tués. Le Ministère de la Justice américaine a lancé une étude sur le sujet.
Comment se répartissent-elles sur le territoire américain ? Avec la mort cet été d'Eric Garner, vendeur de cigarettes à la sauvette, aucun état ne semble épargné, pas même New York.
Il y a effectivement des bavures un peu partout mais l'absence d'outils statistiques fiables gêne le diagnostic.
Le niveau de tension a-t-il aujourd’hui baissé au sein de la police new yorkaise ? (ndlr En décembre, les policiers de la ville avaient en effet fait grève après le meurtre de deux de leurs collègues par un homme noir déséquilibré, qui avait expliqué à son tour vouloir venger la mort de deux jeunes noirs tués par la police. Les policiers s'en étaient alors pris au nouveau maire, Bill de Blasio.)
A New York la situation est calme mais la relation avec la mairie reste très aigre.
Quelle est la représentativité des officiers noirs dans la police américaine ? Sont-ils en sous-nombre par rapport aux officiers hispanos ou d'origine hispanique ?
Les minorités gagnent du terrain dans les grandes villes mais beaucoup moins dans les zones du sud ou rurales.
Depuis un an, les vidéos amateurs se multiplient. Le 17 juillet 2014, on avait entendu quelques minutes avant sa mort, Eric Garner, asthmatique, dire qu’il n’arrivait plus à respirer après avoir été plaqué au sol. Le 8 avril dernier, un badaud filmait le tir à bout portant qui a tué Walter Scott, un noir qui prenait la fuite mais qui ne présentait pas de menace, en Caroline du Sud. Y a-t-il désormais une prise de conscience au sein de la population ?
Très nette et également chez les politiques qui réclament de plus en plus de caméra piétons. (ndlr directement placées sur l'uniforme de l'agent.)
Dans ces affaires, les policiers ont été blanchi, (Ferguson, New York) à l’exception de l’officier de Caroline du Sud, inculpé pour le meurtre de Walter Scott. Peut-on parler de laxisme voire d’impunité des forces de l’ordre ? Est-lié au système judiciaire américain et notamment aux jurys populaires ?
C'est surtout l'action des procureurs devant les jurys d'inculpation (grands jurys) qui pèse. Et le souvenir des grandes vagues de violences criminelles des années 90 qui fournit un préjugé favorable à la police.
La notion de légitime défense aux Etats-Unis, notamment celle des policiers, est-elle différente de son acceptation française ?
Oui. De même que des règles comme Castle ou Stand Your Ground qui autorisent de faire feu quand la vie n'est pas menacée.
De quelles armes disposent la police aux Etats Unis ? Candidate à la Maison blanche, Hillary Clinton réagit aux verdicts qui ont mis hors de cause les officiers de Ferguson et New York, et invite les gouvernements fédéraux à ne plus participer au financement et à l’achat, par la police, « d’armes de guerre. » De quel type d’armes parle-t-on ?
En fait les surplus militaires sont souvent fournis à prix cassés aux polices américaines ce qui explique un armement plus guerrier que policier.
A chaque bavure, Barack Obama condamne les faits mais semble impuissant à les endiguer. Pour toute réponse, le président a annoncé, en décembre dernier, un programme de 200 millions d’euros pour « équiper la police », notamment de caméras, placées sur les uniformes des patrouilles. Cela suffira-t-il ? Ces morts à répétition ne sont-elles pas l'un des échecs d’Obama ?
A la différence de la France où existe une police d'Etat le système américain comporte 17000 polices indépendantes. Le président des Etats-Unis ne contrôle que les forces fédérales.
Loretta Lynch, procureure fédérale, une femme noire, a été nommée ministre de la Justice. Au-delà du symbole, que va changer cette nomination ? Est-elle chargée de réformer le système judiciaire ?
Pas plus que son prédécesseur Éric Holder, elle ne pourra réformer sans l'accord du Congrès tenu par les Républicains.
Peut-on enfin résoudre le problème sans toucher à la législation sur les armes à feu ?
Oui en changeant les règles de sommation et en imposant les caméras piétons. Personne ne changera la Constitution des Etats-Unis sur cette question.
*Alain Bauer, professeur de criminologie au Conservatoire National des Arts et Metiers, New York et Beijing.
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