Gouverner c’est prévoir: osons le scénario catastrophe!

Didier Fleck
Didier Fleck
journalste, adjoint au maire, Avusy, GE
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Vous me demanderez sûrement ce que je préconise au terme de cette analyse calamiteuse… Je crois qu’il est tard. La Suisse entière aurait dû prendre conscience de ce qu’elle risquait de perdre en baissant son froc financier de plus en plus bas jusqu’à se retrouver à poil. Elle est où notre fierté, là?…
Il est totalement illusoire d’espérer faire vivre une génération en formation jusqu’à 25 ans et une autre à la retraite de 65 à 100, 120 ou 150 ans sur le dos d’une minorité d’actifs: il faut y réfléchir d’urgence en abandonnant tout dogme politique.

Rendons à César(ine) ce qui lui appartient. A l’origine de cette réflexion, deux articles du bimensuel patronal «Entreprise romande» signés de sa rédactrice en chef, Véronique Kämpfen. Première page de l’édition du 21 décembre: «Suisse première de classe: il faut en être fier». Dernière page: «Assurances sociales: ne nous voilons pas la face». C’est ce qu’il pourrait y avoir entre les deux et au-delà qui nous intéresse ici.

Oui, la Suisse se porte actuellement plutôt bien au milieu d’un monde et d’une Europe largement déprimés: «C’est ici que les enfants auront les meilleures chances de voir se réaliser un avenir radieux» affirme Véronique Coué… euh, pardon, Véronique Kämpfen, faisant référence à des études internationales. «Et pourtant l’ambiance est morose (…) nous avons le sentiment d’être au bord du gouffre».

Mais nous y sommes! Autour de nous tout va plutôt mal, tout suggère la crise, voire plusieurs types de crise dans différents domaines (économie, valeurs, culture…) et il faudrait être amnésique et aveugle pour ne pas en prendre conscience. Or la Suisse est très largement dépendante de la conjoncture mondiale et singulièrement de celle de ses principaux partenaires commerciaux. Et parce qu’ils vont mal ses partenaires lui cherchent querelle et potentiels bénéfices pour eux sur le plan qui leur paraît le plus directement juteux, à savoir celui de la finance où elle excelle traditionnellement.

 

Industrie, finance… et après?

Là déjà il convient de ne pas se voiler la face. Après une trentaine d’années de gloire industrielle, la Suisse a basculé dans l’ère du tertiaire et le secteur financier lui a permis, quelques bémols vite oubliés mis à part, de très bien vivre pendant les trente années suivantes. En fait, de vivre à un tout autre niveau que ce que sa taille et même ses richesses intrinsèques auraient pu lui offrir. Tout le monde en a profité peu ou prou, même ceux qui ont toujours craché dans la soupe. Ramener la place financière suisse à un niveau «ordinaire», c’est voir toute l’économie, tout le social et aussi tout le mécénat (n’ignorons pas ce que la banque et l’assurance suisses tiennent à bout de bras dans la culture et le sport par exemple) dégringoler de plusieurs étages. Autant dire voir la Suisse redevenir un petit pays ordinaire forte de ses seules ressources: y’en a plein comme nous!

 

Vivre 150 ans, travailler 40?

Avec raison la rédactrice en chef d’«Entreprise romande» avertit d’autre part des dangers cumulés qui guettent les assurances sociales: allongement de l’espérance de vie, baisse des naissances et donc un vieillissement de la population à la fois onéreux et peu productif. Mais elle est encore sûrement bien trop optimiste.

L’hygiène de vie et la science médicale ont fait d’énormes progrès, qui expliquent ce phénomène. Or il se pourrait qu’il s’amplifie encore dans des proportions que seuls quelques biologistes et chercheurs suggèrent. Une bonne partie de la recherche médicale s’appuie aujourd’hui sur le génie génétique. Les progrès qu’on peut en attendre déboucheront tôt ou tard sur la possibilité de freiner voire de bloquer le vieillissement cellulaire. Lorsqu’on nous proposera la pilule, l’injection ou la greffe qui éloignera des ans l’irréparable outrage, qui d’entre nous choisira sagement de continuer de vieillir «normalement»? Ou alors quelle autorité, pressentant la catastrophique évolution socioéconomique dont ces thérapies pourraient être porteuses, osera et saura en interdire l’usage? Nous pourrions dès lors vivre non seulement cent ans (on y est quasiment) mais cent vingt, cent cinquante ans voire plus. Continuera-t-on alors de chipoter sur une année de plus ou de moins de vie professionnelle ou repoussera-t-on de trente, cinquante ou cent ans l’âge de la retraite au détriment des jeunes générations réduites à s’expatrier… puisque, dans le même temps, la conjoncture helvétique aura plongé à la vitesse de la décomposition de la place financière?

 

Quelle paix du travail demain ?

Dans ce contexte apocalyptique mais malheureusement pas totalement irréaliste, un autre trésor qui a largement contribué à faire le succès helvétique pourrait être mis à mal sinon achevé: le régime de paix du travail né de la concertation paritaire. Aujourd’hui déjà, la représentativité des partenaires sociaux a passablement fondu par rapport à ce qu’elle fut au milieu du siècle dernier. La faute notamment à la tertiarisation ou la quaternarisation de l’économie, à l’explosion d’activités plus difficilement «structurables» que par le passé, mais aussi à un tiédissement de la fibre associative un peu partout.

Dès lors, le jour où l’économie suisse plongerait au point de ne plus nourrir ses enfants ni ses vieillards, on peut se demander ce qui resterait du consensus politique, social, culturel même qui nous a permis de «tenir ensemble» contre vents et marées.

 

Il est tard. Trop?

Vous me demanderez sûrement ce que je préconise au terme de cette analyse calamiteuse… Je crois qu’il est tard. Un: la Suisse entière aurait dû prendre conscience de ce qu’elle risquait de perdre en baissant son froc financier de plus en plus bas jusqu’à se retrouver à poil. Elle est où notre fierté, là? Deux: il est totalement illusoire d’espérer faire vivre une génération en formation jusqu’à 25 ans et une autre à la retraite de 65 à 100, 120 ou150 ans sur le dos d’une minorité d’actifs: il faut y réfléchir d’urgence en abandonnant tout dogme politique. Et, à ces fins, trois: il s’agirait que politiciens et dirigeants soient choisis et formés en continu pour garantir notre identité, notre indépendance et nos atouts. Un peu comme nos aïeux ont su le faire dans l’adversité des conflits planétaires.

Parce que nous allons être en guerre.

    

Un commentaire

  1. Posté par Pierre-Henri Reymond le

    J’en pense que j’ai envie de relire la Bible! Avec mes yeux d’aujourd’hui! Pas ceux du religieux. Car, en me remémorant ce que j’en ai reçu dans mon enfance, je vois aujourd’hui! Je revois David, débarquant dans une vallée dont j’ai oublié le nom! Il ne vient pas manifester. Il apporte des figues et des raisins au Rois et à ses frères, à la demande de son père! Et il voit un peuple humilié! Ce qui l’indigne! Ce n’est pas une petite fierté offensée qui remonte ses culottes! L’ennemi, connaissant les faiblesse de l’agressé, lui propose un combat singulier, contre le géant! Vous la connaissez, cette histoire? Alors je ne vous la raconte pas! Mais David a refusé l’armure du Roi, son épeé et ses oripeaux! Droits de l’Homme etc. David n’étais pas un frondeur!
    Certes il a dit “tu as offensé l’Eternel”! Mais Jésus n’a-t-il pas dit: “chaque fois que tu as fait du bien à l’un de ces plus petits d’entre mes frères c’est à moi que tu l’a fait”. Et, puisque ce passage s’est signalé à ma mémoire, il me faut rappeler que le gars auquel ces paroles étaient adressées tombait des nues? Quand t’ai-je fait du bien? Il ne savait pas! C’est ce qui le distingue de nous, de nous occidentaux! Car nous, on sait!
    Ceci dit j’aimerai bien que le code ci-dessous soit lisible!

Et vous, qu'en pensez vous ?

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