Mais Monsieur, le nucléaire, il n’y a pas de solution ! Qui ne l’a pas entendu ou lu? Récemment encore, M. Fernand Cuche, ancien Conseiller d’Etat NE, s’indignait sur la RTS que l’Angleterre relance le gaz de schiste et le nucléaire en déclarant « les déchets nucléaires…on n’a pas de solution, on n’a pas de solution durable, et on continue à construire des centrales nucléaires, c’est irresponsable, c’est criminel vis-à-vis de l’humanité … » (RTS, l’invité de la rédaction du 5-02-2015). En réalité : non seulement il y a une solution, la séparation méticuleuse de la biosphère, mais en plus elle est très efficace. Contrairement aux déchets spéciaux qui sont à l’origine de près de 38’000 sites contaminés en Suisse, il n’y a pas de sites contaminés par des déchets nucléaires. Il n’y a pas de Bonfol nucléaire. J’envoie des informations, vérifiables, à l’émission Factuel de la RTS, spécialisée dans la vérification d’affirmations « frappantes » prononcée à la radio. Réponse de la RTS : Factuel ne traitera pas cette question. Eclairage sur une affaire qui ressemble un peu à l’affaire Dreyfuss, mais sans Zola.
La solution
La solution « absolue » consisterait à détruire les déchets radioactifs ou à les faire disparaître (p. ex. les envoyer sur le soleil). Il est vrai que cette solution absolue n’existe pas. La destruction est possible pour une partie, mais pas pour tous et l’envoi sur le soleil est considéré comme trop risqué dans la phase de lancement de la fusée porteuse. La solution pratique consiste à isoler les déchets soigneusement de la biosphère. Ils n’ont alors plus possibilité d’agir négativement sur l’homme et son environnement. En pratique c’est fait en trois étapes : 1) le tri et la séquestration à la source, 2) l’emballage étanche dans du béton, de l’acier et du verre et 3) le dépôt et la surveillance dans un coffre-fort.
Déchets nucléaires et déchets spéciaux
La question des déchets nucléaires ne peut pas être bien comprise sans la mettre en perspective avec celle des déchets spéciaux. On fait croire que les déchets nucléaires posent un problème nouveau, spécifique au nucléaire, à savoir celui de la gestion de déchets dont on ne peut se débarrasser et qui vont être toxiques très longtemps, sur plusieurs générations. Non, ce problème n’est pas nouveau, il est déjà posé depuis les début de l’industrialisation par les déchets spéciaux. Ce sont en gros « les déchets des déchets », la partie non recyclable, non diluable et non incinérable. Les déchets spéciaux sont même plus problématiques en principe que les déchets nucléaires parce que 1) il y en a beaucoup plus, environ 50 kg par an et par habitant, contre 0.5 kg pour les radioactifs, soit 100 fois moins et 2) que leur durée de vie est plus que longue, elle est illimitée, il n’y a pas pour eux la décroissance que connaît la radioactivité.
Le problème surtout avec les déchets spéciaux est qu’on les produits depuis très longtemps, bien avant la loi actuelle – et efficace – sur la protection de l’environnement. Ils ont donc été pas ou mal gérés longtemps (mis en décharges sans précaution). Résultat : la Confédération a établi un inventaire de près de 38'000 sites contaminés en Suisse, dont environ 4'000 voient leur contamination se propager en dehors des décharges par les eaux souterraines. Exemples : la décharge de Bonfol JU de la chimie bâloise ou la contamination au mercure de Lonza à Viège.
Il n’y a par contre pas de sites contaminés par la radioactivité des centrales nucléaires : c’est l’indice tangible d’une gestion efficace des déchets radioactifs
Message à et réaction de Factuel
J’ai envoyé un message en ce sens, plus détaillé (voir annexe), à Factuel, sur son site Internet, en les priant de vérifier. Je reçois un mail signé anonymement « Le courrier des auditeurs » m’informant que « L'équipe de Factuel aura certainement l'occasion de revenir, prochainement, sur ces question énergétiques ». En clair, factuel ne traitera pas cette question.
Quelques réflexions sur l’attitude de la RTS
Si la RTS en investiguant avait trouvé de quoi réfuter les explications fournies, je pense qu’elle aurait volontiers confirmé les déclarations de M. Cuche et ne se serait pas privée de réaffirmer qu’il n’y a pas de solution.
Donc cette réaction de la RTS laisse penser, en creux, que les arguments en faveur d’une solution tiennent la route. Merci la RTS.
À la décharge de la RTS, reconnaissons qu’il appartiendrait prioritairement aux producteurs de déchets nucléaires (les électriciens) et aux autorités politiques, responsables de la sécurité, de démentir et de rétablir les faits. Ils ne le font pas. Sans entrer dans les détails, ils ne le font pas pour des raisons politiques : les électriciens se cantonnent dans du marketing vert en matière de communication, avec le consentement de certains d’élus politiques influents très présents dans leurs conseils d’administration. Et la Confédération, qui a la haute responsabilité sur ce dossier, préfère laisser courir une fausse rumeur, et la peur que cela déclenche: c’est tellement utile pour faire passer la pilule (qui s’annonce chaque jour plus amère) de la transition énergétique.
On peut penser aussi que le sentiment de justice qui anime les journalistes, sur une question aussi sensible, devrait les inciter à redresser ce qui est un tort manifeste, si on est informé. Ils devraient jouer les Zolas de cette affaire Dreyfuss. Oui mais, dans cette optique, il faut bien voir le courage qui serait nécessaire pour remonter une croyance si répandue et propagée par tant de leaders d’opinions. Et il faudrait enfin affronter aussi les commentaires et les sous-entendus « le lobby vous a payé combien ? » des collègues à la cafétéria. Cela paraît insurmontable.
Le lobby, voilà un autre mythe du nucléaire. Ce fameux lobby nucléaire qui n’existe pas : les actionnaires des producteurs d’électricité sont des Communes et des Cantons. Avec ce mot de lobby on masque une autre réalité : celle des femmes et des hommes qui travaillent au quotidien à sécuriser les déchets radioactifs. Ces spécialistes dont on nie de fait l’existence et le travail et qui n’ont pratiquement jamais droit aux micros et aux caméras.
La RTS dénonce volontiers toutes les stigmatisations, mais pratique volontiers celle-ci, à savoir nier les résultats et le sérieux des professionnels du nucléaire.Ce n’est pas qu’une « question d’énergie » comme le sous-entend la RTS. Il y a aussi une dimension humaine derrière les déchets.
Ce qu’il faut retenir: paradoxalement et malgré les apparences, la gestion des déchets est un point fort du nucléaire.
Jean-François Dupont, 13 février 2015
Pour en savoir plus :
1) l’interview de Fernand Cuche: http://www.rts.ch/la-1ere/programmes/l-invite-du-journal/6498447-fernand-cuche-ancien-conseiller-d-etat-vert-neuchatelois-05-02-2015.html
2) message envoyé à Factuel (PDF annexé)
3) Note d’information plus détaillée sur les déchets radioactifs (PDF annexé)
4) La page « sites contaminés » de l’OFEFP :
http://www.bafu.admin.ch/altlasten/index.html?lang=fr
Article publié également sur www.clubenergie2051.ch
Une petite vidéo que nous avons publiée en 2012 pour compléter votre billet : “Déchets radioactifs : évitez les idées reçues !”
> http://www.dailymotion.com/video/xpuesk_dechets-radioactifs-evitez-les-idees-recues_tech
Monsieur Davel : merci de vous être donné la peine de détailler votre question. Je crois que je la comprends mieux et que je devrais pouvoir dissiper le malentendu et la confusion qu’il génère.
Dans les mots « gérer les déchets » il y a deux questions distinctes qui sont :
1) comment trier et valoriser, et même transmuter, au mieux ce qui peut l’être : c’est la question du retraitement du combustible irradié et du choix du cycle de combustible, ce dernier étant lié aussi au choix de différents types de réacteurs
2) comment se protéger, aujourd’hui et demain, de la partie non utilisable de ces déchets, qui sont et resteront des déchets après les opérations du point1). C’est la question de la mise en sécurité des déchets ultimes.
Ce qu’évoque M. de Mestral c’est le point 1). Et nous sommes d’accord qu’il y a des techniques très prometteuses et en bonne partie validées qui permettraient d’en améliorer la gestion, mais qu’une certaine politique est en train d’interdire, au détriment de l’intérêt général.
Ce que j’évoquais en disant « oui, il y a une solution » pour mettre en sécurité les déchets, c’est le point 2). La solution est décrite plus en détail dans les annexes 2 et 3. Dans l’article je résume la description de la solution par trois opérations concrètes qui sont la séquestration, le conditionnement (emballage) étanche et la surveillance dans des coffres-forts. Ce que j’appelle des coffres-forts ce sont des dépôts sécurisés disposé pour l’instant dans les sites des centrales nucléaires, et le dépôt intermédiaire centralisé de Zwilag à Würenlingen. À terme ils seront transférés dans des couches géologiques profondes. Toutes ces étapes peuvent être visitées. La capacité à empêcher toute contamination de l’environnement et démontrée.
Et la contamination par du Radium radioactif découverte récemment à Bienne, direz-vous ? Ne prouve-t-elle pas la défaillance de cet isolement de la biosphère ? Non. Je m’attendais à ce que Factuel / RTS en parle. Ce n’est pas le signe d’une mauvaise gestion des déchets nucléaires telle que pratiquée dès les années 70 depuis la mise en service des 1ers réacteurs. Pour la bonne raison que le radium est un déchet de l’industrie horlogère, dont l’utilisation a été interdite dans les années 60, et qui n’a donc pas pu été traité comme un déchet nucléaire. C’était trop tôt, la gestion des déchets nucléaires des centrales n’était pas encore née. Le radium a été traité comme un déchet spécial et mis en décharge, avec le résultat connu.
La question est: “Déchets nucléaires : est-il vrai qu’il n’y a pas de solution ?”
Votre réponses est non. Je me réjouis, très bien.
Louis Leprince-Ringuet me fascinait par sa façon de dires des choses très complexes avec des mots simples. On avait l’impression d’avoir tout compris! Un vulgarisateur exceptionnel, un sacré bonhomme.
Malheureusement votre démonstration n’arrive pas à me convaincre. Pourquoi ces technologies ne sont elles pas appliquées? Qu’attendons nous? Je me soutiens d’un bon camarade de l’école de recrue qui faisait ces études à l’EPUL, un physicien. Son truc était le moteur linéaire. J’étais tout autant fasciné que lui. Cela fait plus de 40 ans. Résultat des courses. Les domaines d’applications me semble bien maigre après 40 ans. Je me trompe certainement.
Monsieur de Mestral soulève avec raison que les progrès de la recherche sur les réacteurs pourraient permettre une amélioration considérable de la gestion du combustible nucléaire. La surgénération et l’utilisation du thorium, en plus de l’uranium, donnent au nucléaire de fission un potentiel de plusieurs milliers d’années. Largement de quoi se donner le temps de mettre la fusion au point ou d’atteindre, si cela est possible un jour, une civilisation solaire. Cela ouvre la possibilité d’extraire beaucoup plus d’énergie du minerai et aussi de désactiver par transmutations les isotopes de très longue durée de vie. C’est déjà un premier résultat de l’opposition aveugle au nucléaire d’avoir obtenu, politiquement, un retard de plus de 20 ans sur le calendrier de la R&D. Les projets auxquels participaient le PSI dans les années 70 et 80 ont été bloqués dès 1990 par le moratoire.
Un élément particulièrement aberrant de la Stratégie Energétique 2050 est de prévoir, non seulement l’interdiction de construire de nouvelles centrales, même de 3 ou 4 e génération, mais pire : elle interdit le retraitement du combustible irradié. Or ce retraitement est indispensable pour récupérer l’uranium appauvri (env. 94 %) et le plutonium (env 1 %) du combustible irradié, qui contiennent encore beaucoup d’énergie, comme le souligne M. de Mestral et dont les perspectives qu’il décrit ne peuvent être réalisées sans retraitement.
C’est déjà aberrant sur le plan de la simple logique : retraiter signifie trier et recycler ce qui peut l’être, soit 95 %. C’est la base d’une saine gestion de tous déchets. Eh bien non, la fureur anti-nucléaire de l’administration fédérale et de sa ministre de l’énergie a dit : Verbot pour le retraitement.
C’est aussi aberrant si on pense au Plutonium. Ce n’est pas l’épouvantail que prétendent certain. Enfin il est vrai, comme toujours avec la science et la technique, cela dépend de l’usage qu’on en fait. Or quel usage pour le Plutonium? Il y a trois usages possibles : faire des bombes, faire du déchet ou faire de l’énergie. Mais voilà, ce dernier usage qui est à l’évidence le plus raisonnable, nécessite le retraitement. Donc la Confédération, en interdisant le retraitement, condamne le Plutonium à être un déchet. Et on entendra des responsables de l’administration souligner avec contrition, que les déchets sont d’autant plus dangereux qu’ils contiennent du Plutonium. Il faut bien faire un peu peur pour faire accepter les brimades et l’austérité de la SE 2050.
Ce petit éclairage, merci M. de Mestral, conduit à un constat et un regret. C’est dommage que tant de médias soient si sélectifs dans leurs thèmes d’investigation : ils pourraient nous raconter tant de choses passionnantes qui restent ignorées du public, et que probablement ils sauraient mieux expliquer que nous. Ils évoquent pourtant régulièrement la notion de « l’intérêt public de savoir », mais semblent pratiquer sur certains sujets « l’intérêt public d’ignorer ».
Merci à MM Dupont et de Mestral pour leurs contributions. Et permettez au biologiste d’ajouter qu’à l’échelle de la biosphère les dégâts dus à l’explosion démographique humaine sont incommensurablement plus importants.
J’oubliais: la transmutation des déchets nucléaires dans un réacteur à neutrons rapides génère de l’énergie (200 MeV/fission). Le processus se paie donc tout seul.
La solution technique pour les déchets nucléaires existe (et elle n’est pas nouvelle !) : il s’agit de transmuter les actinides mineurs (la partie “chaude”, active et de longue demi-vie comme l’americium ou le plutonium) dans un réacteur sous-critique à neutrons rapides, de préférence alimenté par du thorium pour réduire la formation de nouveaux actinides mineurs au minimum. Carlo Rubbia y a travaillé, les russes et les américains y ont travaillé ensemble à l’institut Kourtchatov pour réduire le stock de plutonium militaire russe. La physique est connue, l’application ne pose aucun problème insurmontable, y compris sur la plan sécuritaire. Divers projets avec un réacteur sous-critique sont actuellement à l’étude dans plusieurs pays. Mais la Suisse (politique) n’est apparemment pas intéressée à régler ce problème, puisqu’elle ne participe à aucun de ces programmes.
Geo, la Religion est l’opium du peuple disent certains!
Mais la solution pour les déchets n’est pas trouvée. Si c’était le cas on le saurai ici et ailleurs.
Complétement d’accord avec vous. Il y a des milliers de problèmes écologiques plus difficiles à gérer que celui de la gestion des déchets nucléaires. C’est une question strictement politique, absolument pas technique. Mais l’écologie devient chaque jour davantage une religion, et les religions, toutes les religions, sont des ennemies du rationnel…