Ben oui, il faut bien l’admettre mais pas seulement en Suisse, aussi en Belgique. J’habite en Suisse depuis 1980. Aussi longtemps que mes parents vivaient, je suis retournée régulièrement en Belgique et à chaque fois j’ai pu constater l’évolution des mentalités.

Dans les années 70 j’ai soigné, sans aucun problème,  de nombreux immigrés dans le Borinage,  la région des mines et plus tard dans un hôpital bruxellois.  Que s’est-il passé pendant les 30 ans qui ont suivi?

Quelques exemples déconcertants qui m’ont particulièrement choquée :

- Un monsieur âgé qui a été un enseignant dévoué au Congo arrive en urgence à l’hôpital et à la vue d’un médecin noir il se met à crier qu’il « préfère crever que de se laisser toucher par un nègre… »

- Une voisine âgée, très BCBG, louait des appartements et, malgré les récriminations de ses enfants, elle proclamait haut et fort « des Marocains, ça plus jamais… » alors qu’elle s’entendait parfaitement avec ses locataires polonais…

- Un voisin s’était lié d’amitié avec un couple marocain au point d’aider régulièrement leurs enfants à faire leurs devoirs. Un jour la dame a mis le voile et après une altercation avec le monsieur, notre voisin s’est vu interdit d’accès dans la maison en l’absence du mari…

- J’attends mon tour dans un magasin, une femme qui porte le foulard noué à l’islamique passe devant la vitrine, à côté de moi une dame d’une septantaines d’années, que je ne connais pas me dit : « On a bien foutu les Allemands à la porte, on finira bien par foutre aussi ceux-là à la porte. »

- Je patiente dans la longue fille devant la caisse de la superette d’un village vers 11h30. Ca  n’avance pas vite, derrière moi il y a un bonhomme genre ouvrier en tenue de travail qui s’adresse à son voisin à voix assez haute pour se faire entendre de tout le monde…

-« Tu vois le clocher de l’église là-devant ? eh bien tu sais quoi, hier il y a un Marocain qui monte au sommet de ce clocher et il sort sur la corniche et puis il saute en bas et tu sais ce qui lui arrive ? »

A ce moment tout le monde le regarde d’un air interrogateur.

-« Eh bien il s’écrase par terre… »

Enorme éclat de rire dans tout le magasin… !!! Hallucinant...

Quand Charlie Hebdo publie des caricatures, il critique sciemment, et tout le monde sait quelle est son intention et où sont les limites. Par contre quand « une personne normale/banale » exprime de tels sentiments aussi violents sans même se rendre compte de leur gravité, là, c’est très différent car il s’agit d’un ressentiment profond et pire, inconscient.

Un des problèmes réside sans doute dans le fait que les lois contre le racisme et le politiquement correct empêchent d’exprimer les mécontentements, qu’il faut les refouler et qu’on continue donc à les ruminer en les amplifiant ce qui porte à la « haine silencieuse ». Mais, actuellement cette haine silencieuse est de moins en moins silencieuse, sans parler des blagues et des cartoons qui circulent, plus virulents les uns que les autres et malgré les lois.

Ce ne sont pas ces manifestations elles-mêmes qu’il faut examiner mais les causes de cette évolution non pas vers une convivialité sereine mais au contraire vers une hostilité croissante. Que s’est-il passé pendant ces 30 dernières années pour en arriver là ?

Cependant quand monsieur Hisham Maizar demande que le gouvernement adresse un signe aux musulmans, il inverse les rôles. Ce n’est pas au gouvernement d’aller à l’encontre des nouveaux venus, mais aux nouveaux venus à démontrer leur loyauté envers l’Etat qui les accueille.

Le rôle de l’Etat c’est d’exiger de toutes les personnes qui résident sur son territoire le respect de ses lois, en l’occurrence la séparation Etat-Eglise et la laïcité, les lois sur la protection des animaux,  l’hygiène,  respect de l’espace public, éducation nationale, droits de l’homme, famille, parité hommes-femmes, etc.

D’autant plus que les Suisses ont une longue expérience des guerres de religion et qu’ils ne sont certainement pas assez fous pour remettre ça.

En tant qu’immigrée j’ai fait l’expérience qu’il faut vraiment  apprendre à connaître le pays qui  accueille et y faire allégeance justement par la connaissance des lois et leur respect. Pour moi qui viens des Flandres catholiques cela a été une découverte, mais quelles sont les difficultés rencontrées par des gens qui proviennent de pays et religions fondamentalement différents…

Si les allochtones démontraient cette allégeance, les autochtones auraient moins de raisons pour les xénophobies et racismes.

Paraphrasant JFK : «  Il ne faut pas vous demander quel signe la Suisse pourrait vous donner, il faut vous demander quel signe vous donnez à la Suisse. »

Anne Lauwaert, 30 janvier 2015