Selon un projet de convention envoyé par l’Etat à la famille d'Adeline, l'administration reconnaît "sa responsabilité" et celle des HUG "pour les actes et omissions ayant permis la sortie accompagnée de Fabrice A. le 12 septembre 2013, au cours de laquelle feu Mme Adeline M. a trouvé la mort".
Trouvé la mort - drôle d'expression pour une rencontre qui n'avait rien de fortuit, au vu des circonstances. Un violeur récidiviste condamné, une sortie en cours de peine avec une éducatrice séduisante pour faire du cheval, l'achat d'un couteau... Et à la fin un crime sordide qui révolta toute la Suisse tant il était évitable, tant l'application du sens commun aurait suffi à l'empêcher.
La recherche des responsabilités tourna vite à la mascarade, avec pour seul résultat un blâme administratif pour la directrice du centre. La faute de personne. La mort d'Adeline est la conséquence d'un simple dysfonctionnement. Tout va bien. Fermez le ban.
Si l'Etat est une hydre, ses têtes se mangent pas entre elles. Ceux qui auraient pu croire que l'administration cachait en son sein quelques valeureux esprits en lutte contre l'irresponsabilité générale - des élus du peuple, par exemple - en seront pour leurs frais. Preuve nous en est donnée pas plus tard qu'aujourd'hui avec le marché proposé à la famille d'Adeline par le Conseil d'Etat genevois:
[L’Exécutif] – représenté par Pierre Maudet, chef de la Sécurité, et Mauro Poggia, celui de la Santé – demande notamment à la famille qu’elle renonce à toute action pénale contre un agent de l’Etat ou des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG).
Contre dédommagement, naturellement. Nous sommes entre gens civilisés. Un "acompte" de 20'000 francs est ainsi proposé aux parties. Le prix du sang? Combien vaut la vie d'une sociothérapeute sur le marché des indulgences?
Il y a quelque chose de quasi biblique dans l'offre du Conseil d'Etat. Le contrat du diable. Laisser faire le mal, trahir la mémoire des victimes en échange d'espèces sonnantes et trébuchantes. N'allez pas croire un instant qu'il s'agit d'un baume, d'un geste de bonté pour apaiser la douleur: l'Etat a clairement admis sa responsabilité. Il ne cherche rien d'autre que le prix du silence.
On ne sait pas à combien se monte la somme finale mais une chose est sûre, elle ne sera payée ni par le meurtrier, ni par la directrice de sa prétendue prison, ni par les pontes irresponsables des HUG, ni par le gouvernement genevois, mais bien par le contribuable. Magie de l'Etat où la sanction financière retombe sur le moins responsable de tous! La somme sera peut-être rondelette. L'Etat sait être généreux avec l'argent des autres.
Ce nouveau chapitre s'inscrit sans doute dans "le prix à payer pour la réinsertion", comme l'expliqua M. Hodgers, un autre Genevois célèbre, récemment élu au Conseil d'Etat. Tiens donc, l'indignation légitime des Genevois ne les empêche pas de porter aux nues les plus fervents adeptes de leur système carcéral dysfonctionnel.
Une seule inconnue subsiste: les proches d'Adeline accepteront-ils l'offre? On ne saurait les en blâmer: il faut bien vivre, et nulle procédure judiciaire ne leur rendra jamais leur fille, leur femme, leur mère. L'opprobre est à jeter sur ceux qui lui proposent ce projet de convention abject, qui proposent d'enterrer une deuxième fois la victime, cette fois-ci avec de l'argent.
Adeline est morte, maintenant on exige de l'oublier.
On ne saurait blâmer la famille d'accepter, dis-je, mais j'espère de tout cœur qu'elle n'en fera rien, car si la veulerie de l'Etat est avérée, son immobilisme est tout aussi indiscutable. Accepter de se taire, c'est garantir qu'aucun changement ne s’opérera à l'horizon, que les "dysfonctionnement" continueront à ponctuer l'actualité, que le régime d'application des peines ne sera jamais vraiment revu. La gabegie continuera, avec application d'un blâme de temps à autre.
Jusqu'à ce qu'un jour une famille refuse.
Stéphane Montabert - Sur le web
1. Je n’ai pas lu ce projet de convention. Je ne peux dès lors me prononcer sur le caractère “explicite” d’une clause dont j’ai connaissance que par l’intermédiaire de votre billet.
2. Votre passage sur mes “lumières”… Si vous renoncez à tout débat ou pensez que je suis trop “emprunt de lumière” pour vous lire et vous commenter, dites le. Là, comme cela, votre réponse me fait juste penser au sujet du BAC philo français et aux twitts des boutonneux (repris dans le Petit journal de C+).
3. Ne pensez-vous pas que les avocats de la famille sont en mesure de leur expliquer et de définir au moyen de tabelles le montant correspondant à la jurisprudence citée par cet avocat (interview de la RTS) ? Il y a des professionnels dans la vraie vie, vous savez :o).
4. Vous voulez qu’ils ouvrent action contre l’Etat ? Ok, mais vous savez sans doute que ces procédures se concluent presque toujours par un arrangement après de très longues années d’attente. La question est celle de savoir s’il faut emmener les proches de A. dans une longue procédure ou si le Conseil d’Etat propose d’ores et déjà une somme “appropriée”.
5. Vous affirmez que l’Etat “sait être généreux avec l’argent des autres”. J’imagine que vous sous-entendez par là (ai-je tort ?) que le Conseil d’Etat a offert plus d’argent qu’il n’en devrait pour ce drame horrible. A quoi bon alors entamer une longue et coûteuse procédure si Genève offre d’ores et déjà plus que la somme que déciderait un tribunal après de longues années de procédure ????
6. Sur votre dernière phrase. Vous pouvez jouer un rôle. L’Etat possède une action récursoire contre ses fonctionnaires lorsque le dommage a été causé intentionnellement ou par négligence grave (Art. 3 LREC). Si vous pensez que tel est le cas, vous pouvez inviter – politiquement, médiatiquement, que sais-je – le Conseil d’Etat à faire valoir cette action récursoire contre les fonctionnaires que vous jugez fautifs. Là, ce ne serait pas un non sens juridique :o) Peut-être une faute politique ou une action vouée à l’échec, mais le cadre juridique serait respectée. Vous voyez, la loi n’est pas si mal faite après tout :o)
Gilx Favre, expliquez-nous: pourquoi le Conseil d’Etat a-t-il pris la peine de demander explicitement à renoncer à toute action pénale contre un agent de l’Etat ou des HUG si pareille démarche est impossible? Vous devriez instruire le Conseil d’Etat genevois de vos lumières, ils manquent apparemment de juristes de talent.
Quoiqu’il en soit et ne vous en déplaise, l’affaire ne concerne pas les personnes à poursuivre mais bien les contreparties financières à retirer de l’abominable fin d’Adeline. Un reportage de la RTS interviewant des avocats expliquait que compte tenu du dommage subit (dans le cas de l’enfant notamment) les sommes qu’il était possible de réclamer à l’Etat étaient très élevées, bien davantage que ce qu’augurait le projet de convention. Autrement dit, si l’Etat souhaitait vraiment venir en aide la famille d’Adeline, le meilleur moyen serait de laisser la procédure se poursuivre jusqu’à son terme et d’assumer les conséquences de sa condamnation.
Ce qui n’empêche pas de regretter que ces sommes ne seront jamais payées par les véritables responsables, bien entendu.
Votre billet repose sur un non-sens juridique.
La loi sur la responsabilité de l’Etat exclut de s’attaquer, en tant que partie civile, aux fonctionnaires, car il serait trop simple pour l’Etat de limiter sa responsabilité sur les exécutants (ils n’ont en outre pas les moyens financiers d’un Etat). L’Etat doit ainsi assumer la pleine responsabilité des actes de ses fonctionnaires.
La proposition de convention est dès lors banale et reflète une loi instaurée pour protéger ceux – qui comme la famille d’A. – doit souffrir d’une faute d’un fonctionnaire. Merci d’avoir un peu plus de recul et de lire les textes de loi avant de créer une montagne d’un élément tout ce qu’il y a de plus banal.
En gros, faire ce que vous dénoncez chez les autres médias :o)
Aspect juridique :
http://www.geneve.ch/legislation/rsg/f/s/rsg_A2_40.html
Art. 2 Responsabilité pour actes illicites commis par des fonctionnaires ou agents
1 L’Etat de Genève et les communes du canton sont tenus de réparer le dommage résultant pour des tiers d’actes illicites commis soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence par leurs fonctionnaires ou agents dans l’accomplissement de leur travail.
2 Les lésés n’ont AUCUNE action directe envers les fonctionnaires ou agents.
La famille d’A. ne dispose ainsi d’aucune prétention civile contre les fonctionnaires ou agents de l’Etat de Genève qu’elle pourrait faire valoir dans une procédure pénale. Cela étant, elle ne peut pas être une partie plaignante.