Venezuela : Un socialisme tout petit petit

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Par Fabio Rafael Fiallo

 

Parmi les films qui ont marqué le dernier quart du XXe siècle se trouve Un bourgeois tout petit petit de l’Italien Mario Monicelli, dans lequel l’acteur Alberto Sordi interprète le personnage principal : un bureaucrate sans éclat arrivé à l’âge de la retraite.

L’une des premières scènes du film dépeint le cocktail de départ organisé en honneur du fonctionnaire, au cours duquel il prend la parole. Or, voilà qu’après une ou deux phrases, les collègues commencent à partir, indifférents à sa péroraison.

bourgeoisSa vie privée n’a rien d’enthousiasmante. Le fils est tué dans la rue par une balle perdue, mais le spectateur (en tout cas cet auteur) est amené à se demander si des fois il ne s’agit pas d’une hallucination du père, réticent à admettre la réalité : le fiston a tout simplement fui le foyer afin de s’émanciper. Quoi qu’il en soit, le père se met à la recherche du coupable du supposé meurtre. Quant à l’épouse, elle est devenue muette du fait de n’avoir jamais été prise en compte dans les décisions concernant la vie du foyer.

À la fin du film on voit le retraité assis sur le banc d’un parc, balbutiant des vétilles dans le but de faire conversation à des jeunes mères qui promènent leurs enfants sans lui prêter attention.

Histoire triste et drôle à la fois qui, comme on le verra ci-dessous, présente une prémonitoire similarité avec celle du « socialisme du XXIe siècle » instauré au Venezuela voici 15 ans par le commandant Hugo Chávez.

Commençons par un événement qui rappelle le cocktail de départ du film, à savoir : la cérémonie autour du premier anniversaire de la mort de Chávez.

Dans celle-ci brillèrent par leur absence plusieurs chefs d’État politiquement proches de Chávez. Ce fut le cas de Dilma Rousseff (Brésil), Cristina Fernández de Kirchner (Argentine) et Rafael Correa (Équateur). Pour sa part, le président du Nicaragua, Daniel Ortega, bien qu’ayant fait le voyage au Venezuela, s’abstint de prendre part au défilé organisé à cette occasion.

Pourquoi un tel désintérêt semblable à celui des collègues du bureaucrate du film ? Eh bien, tout simplement parce que le chavisme n’inspire plus personne – d’autant que, d’après les estimations pour 2014 de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes, organe régional des Nations Unies, le Venezuela sera le seul pays du continent en récession.

Ainsi, voyant comment le contrôle des changes a conduit le Venezuela à une pénurie de devises et à une inflation annuelle de 57%, Rafael Correa a maintenu la dollarisation de l’économie équatorienne en dépit d’avoir précédemment promis de l’abolir. Voyant comment le gouvernement vénézuélien doit payer des intérêts exorbitants pour les obligations d’État, le président de la Bolivie, Evo Morales, a choisi de financer la dépense publique par le biais des impôts. Voyant comment les expropriations ont entraîné la paralysie du secteur productif du Venezuela, Daniel Ortega a ouvert l’économie du Nicaragua aux investissements étrangers.

Certes, ces dirigeants continuent à être des alliés, voire des complices, du gouvernement vénézuélien. Non seulement parce qu’ils reçoivent des pétrodollars du Venezuela à des termes avantageux, mais aussi parce qu’ils partagent avec Caracas la même rhétorique anti-USA, la même tendance à harceler l’opposition et la presse indépendante et le même désir de se perpétuer au pouvoir par des moyens inavouables. Mais pour ce qui est du domaine économique, ils regardent le Venezuela comme une sorte de contre-modèle à ne pas copier.

En Amérique latine, vanter le « socialisme du XXIe siècle » n’aide plus à gagner des élections. Cela a été compris par l’actuel président du Pérou, Ollanta Humala, qui pour sortir vainqueur de la campagne électorale de 2011 se démarqua de Chávez. À l’inverse, lors des élections présidentielles au Costa Rica cette année, le candidat perçu comme partisan du modèle vénézuélien, José María Villalta, arriva en 3ème position avec seulement 17% des voix.

D’autre part, à l’instar du fils du bureaucrate du film qui disparut par mort ou émancipation, la jeunesse du Venezuela s’émancipe du chavisme et manifeste massivement dans les rues, payant pour cela un tribut qui se compte en centaines de détenus et de blessés et en dizaines de morts et de torturés.

Et à l’instar du bureaucrate du film qui partit à la recherche du coupable de la mort supposée de son fils, le régime vénézuélien cherche un coupable pour expliquer le désamour de la jeunesse, le trouvant dans des conspirations orchestrées par l’« empire » américain – sans jamais apporter la moindre preuve de ces accusations.

Pour leur part, les forces militaires et paramilitaires du Venezuela ne peuvent pas exprimer des objections aux méthodes musclées que le gouvernent leur impose d’employer contre les manifestants. Comme l’épouse du fonctionnaire du film, ils n’ont qu’à la boucler. Pour contredire la norme, 30 officiers ont été accusés de « conspiration », et plus de 15 de « désobéissance », rien que dans les deux derniers mois.

Finalement, de même que le fonctionnaire du film passe ses vieux jours tenant des propos saugrenus dans un parc, ainsi le « socialisme du XXIe siècle » entame sa phase de déclin dirigé par quelqu’un, le président Nicolás Maduro, qui cultive les annonces décousues.

On le voit créer un biscornu Ministère du Bonheur Suprême. Lancer un comminatoire « Accouchez ! » à l’adresse des femmes vénézuéliennes. Expulser des fonctionnaires de l’ambassade de l’« empire » et aussitôt proposer à ce même « empire » de restaurer les relations bilatérales au niveau d’ambassadeurs. Plaider pour un dialogue avec l’opposition et ensuite exiger à cette opposition de ne pas réclamer que ledit dialogue « produise des résultats ».

Toutefois, en dépit de toutes ces similarités entre le bureaucrate du film et le socialisme vénézuélien, il existe entre eux une différence fondamentale : le premier n’aura eu aucun impact sur ce monde, tandis que le socialisme vénézuélien laissera une trace lamentable en termes de déroutes économiques et de révoltes réprimées.


Une version espagnole de cet article a été publiée dans www.diariodecuba.com.

 

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