Créer un Label des médias : vers un ministère de la vérité ? Valeurs Actuelles, 02.12.2025
Pour lutter contre les "fake news", Emmanuel Macron a lancé l’idée de hiérarchiser les médias en leur conférant un label selon qu’ils seraient « fiables » ou non. Au risque de tomber dans un système où l’Etat détiendrait le monopole de la vérité.
Par Olivier Maulin
Publié le 2 décembre 2025
Emmanuel Macron à Arras le 19 novembre 2025. Contrôler les médias : la tentation d'une fin de mandat crépusculaire .
Pour distinguer les bons et les mauvais médias : telle est la dernière idée lancée par le président de la République le 19 novembre dernier à l’occasion d’un débat avec des lecteurs de La Voix du Nord à Arras. Une idée lancée en l’air dont on ne voit pas trop comment elle pourrait se concrétiser vu l’état des forces politique en cette fin de mandat crépusculaire. Mais une idée qui mérite que l’on s’y arrête un instant tant elle traduit l’état d’esprit d’un pouvoir aux abois qui semble avoir acté son impuissance à peser sur le réel, et entend ainsi désormais contrôler le récit qui est fait de ce réel.
L’idée du président est simple : il s’agirait de créer un label qui certifierait au lecteur que tel média est « fiable » et que tel autre ne l’est pas, et de confier ce label à l’Arcom, une autorité sous tutelle de l’Etat, qui peut donc être tenté de défendre ses intérêts, mais aussi à Reporters sans frontières (RSF), une association ouvertement politisée dont le directeur général, Thibaut Bruttin, milite contre le groupe Bolloré et contre le RN qu’il a appelé à battre coûte que coûte lors des dernières législatives.
Dans l’esprit d’Emmanuel Macron, ce label serait d’autre part couplé à la création d’un référé « anti-fake news » permettant une décision de justice en quarante-huit heures, c’est à dire la possibilité de saisir un juge pour faire disparaître au plus vite un contenu jugé « faux ». Le droit de la presse dispose déjà de toute une batterie permettant d’attaquer un article jugé faux, diffamant, injurieux ou portant atteinte à la vie privée. Le référé permettrait certes d’aller plus vite, mais il donnerait aussi plus de pouvoir aux juges pour décider si un article est « vrai » ou « faux », en se fondant bien sûr sur le « label » du média auteur de l’article.
Quand Minute révélait que François Mitterrand avait été décoré de la francisque
Le problème en matière journalistique, c’est que le « vrai » et le « faux » ne sont pas toujours des catégories gravées dans le marbre. Il y a à l’évidence des articles vrais et des articles faux, mais il y a aussi des articles que l’on a cru faux et qui se sont révélés vrais, et même des articles que l’on a cru vrais et qui se sont révélés faux. Lorsqu’en 1984 Minute révélait au grand public que François Mitterrand avait été décoré de la francisque par le maréchal Pétain en avril 1943, la plupart des commentateurs avaient jugé la révélation fausse et diffamatoire (d’autres bien sûr savaient mais ont préféré mentir). On apprendra dix ans plus tard dans le livre de Pierre Péan, Une jeunesse française, qu’elle était vraie.
A l’inverse, lors de la grande migration de 2015, des personnalités ayant alerté sur le risque que des terroristes s’infiltrent dans les cohortes de migrants pour pénétrer en Europe, la journaliste Géraldine Hallot avait publié, en septembre, sur le site de France Inter, un article intitulé « le fantasme de l’infiltration terroriste » dans lequel elle évoquait « un chiffon rouge agité par l’extrême droite ». Cette « vérité » énoncée en septembre se disloqua pourtant le 13 novembre avec les attentats du Bataclan, lorsqu’il fut établi que les terroristes s’étaient en effet fondus dans le flot de réfugiés, profitant de l’ouverture des frontières européennes sous l’impulsion de l’Allemagne (détail croustillant : au lendemain de l’attentat, la journaliste changea discrètement le titre de son article qui devint : « Des terroristes parmi les migrants ? »).
« En démocratie, on garantit le pluralisme et la liberté, on ne les certifie pas »
Si le système voulu par Macron avait existé dans ces deux cas, on peut être certain que Minute, hebdomadaire nationaliste, n’aurait pas eu le label « fiable » et que son article aurait été retiré en 48 heures, tandis que France Inter, radio de gauche, aurait bénéficié de ce label, si bien que son article n’aurait pas été inquiété. Pourtant le premier disait vrai et le second disait faux. Mitterrand a été décoré de la francisque en 1943. Il n’y a eu aucun fantasme d’une infiltration terroriste en 2015.
En matière de presse, l’intention de lutter contre les fake-news est certes louable. Mais donner à une instance agréée par l’Etat le pouvoir de décréter ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas nous rapprocherait du modèle soviétique de la Pravda. Comme le dit David Lisnard : « en démocratie, on garantit le pluralisme et la liberté, on ne les certifie pas ».

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