Saint Louis, le seul roi de France qui ait su vraiment ceindre la couronne

Francis Richard
Resp. Ressources humaines

En l'an de grâce 1970, étudiant de dix-neuf ans, j'écrivais un article consacré à Louis IX, roi de France, paru dans le numéro du semestre d'été de l'année universitaire 1969-1970 des Nouvelles des étudiants français de l'École Polytechnique Fédérale de Lausanne 1:

 

CEINDRE LA COURONNE

 

Les rois ont fait la France. Ils lui ont donné un corps, une âme, et son premier visage. L'oeuvre de Saint Louis 2 fut de gagner cette âme à la royauté. Aujourd'hui encore des lieux familiers, un lycée parisien, une île sur la Seine qui se souvient, nous parlent de lui. Peut-être veut-on nous faire souvenir de l'exemple qu'il montra. Le bon exemple des autorités est la condition nécessaire à un bon équilibre social. C'est pourquoi durant le règne de Saint Louis une société heureuse et prospère a existé "malgré la rusticité de la vie et les moyens très pauvres" dont pouvait disposer le peuple.

 

LE PRUD'HOMME NE CONNAÎT PAS L'OECUMÉNISME

 

Avant d'être roi, Saint Louis est un homme. Il est bon époux, bulletin que nous ne pouvons pas décerner à tous les autres rois. Davantage, voilà un pur spécimen de prud'homme, ce qui est l'idéal à cette époque, un peu comme le sera l'honnête homme au XVIIe siècle.

 

Nous ne sommes qu'au XIIIe, qui voit une réaction contre le rationalisme du temps de Philippe Auguste. La piété se porte donc très bien. Saint Louis est très pieux, à la limite de l'ennuyeux pour son entourage. Il a reçu une profonde éducation chrétienne sous la direction de Blanche de Castille, sa mère. Seulement il ne faut pas lui enlever tout mérite. 

 

Saint Louis est loin d'être un simulateur. Ainsi il serait ridicule d'en faire un faible à l'égard de l'Église et de son temps. Au contraire sa piété fameuse rayonne sur la chrétienté entière et lui fait bénéficier d'une grande indépendance. Il "peut défendre les droits de la royauté contre les empiétements de Rome", être le premier roi à s'opposer à l'agrandissement démesuré des biens du clergé. Mais cette dévotion est exigeante et forte. Elle l'amène à édicter des mesures violentes contre les blasphémateurs, les Juifs et surtout les hérétiques pour lesquels il se montre sans pitié. Apparemment il ne connaît pas l'oecuménisme...

 

"VOTRE SEIGNEUR ET MAÎTRE JE VOUS AI LAVÉ LES PIEDS"

 

Il a pourtant une âme charitable. Il fait construire des hôtels-Dieu. Il reçoit les pauvres dans son palais, s'agenouille devant eux et leur baigne les pieds. Chaque jour que Dieu fait, il nourrit cent vingt-deux pauvres qu'il fait chercher par la ville, sans compter ceux qui se présentent tout seuls.

 

Dans le privé sa vie est d'une grande simplicité et sobriété. Les jours de grandes occasions, telle la fête de Saumur, il s'arrange pour distribuer le meilleur aux pauvres et s'accommode des restes. S'il lui arrive de déployer un luxe éclatant, nous savons qu'il n'y prend aucun goût, que sa vanité n'y est pas flattée, mais qu'il veut imposer respect à ses barons. Un vrai saint.

 

Quand les Syriens ont mis à sac Sidon et ses habitants chrétiens, il se rend sur les lieux. Il tient absolument à ce que l'on rende les derniers devoirs à ces Français. L'air est pestilentiel. Qu'à cela ne tienne, le roi ne fait montre d'aucun dégoût et participe lui-même à l'ensevelissement. Nul n'est plus humble et plus courageux que ce roi.

 

LE COURAGE AVEC LA JUSTICE

 

Il a hérité son courage de ses ancêtres carolingiens. Son comportement sur les champs de bataille en est la preuve. En Égypte, au plus fort de la mêlée, six Turcs le reconnaissent et l'assaillent et il sait se libérer tout seul.

 

Saint Louis "accotoyé" à un chêne de Vincennes et rendant la justice n'est pas une simple image d'Épinal. Il tient cette recherche de la justice de son ascendance capétienne. Aussi va-t-il rejeter le faux principe selon lequel la force est le droit. Le courage avec la justice, car il n'est jamais facile de changer une mentalité acquise.

 

Première chose, il interdit le "duel judiciaire" - l'issue du procès dépend de l'affrontement physique des parties. Ensuite il abroge les lois intolérables, dont il a connaissance. En son fief, il juge lui-même les différends. Ses sentences sont si justes que les plaideurs affluent à son tribunal. C'est bien simple, très tôt la justice qu'il rend déborde le cadre de son royaume, plus exactement du domaine royal, et naturellement il se reconnaît le droit de juger par tout le pays.

 

AVEC DES FLEURS...

 

Les maison royales ou impériales étrangères ont pour emblèmes des aigles, des lions, des léopards, en somme de splendides animaux carnassiers. Saint Louis choisit trois fleurs de lys, un précurseur du pouvoir des fleurs.

 

Il est même très pacifique. La seule guerre qu'il ait menée contre une nation chrétienne s'est vite terminée. Trop vite selon certains historiens. Ils lui reprochent - c'est un peu tard - d'avoir restitué à Henri III d'Angleterre le Limousin et le Périgord. Ils y voient, et n'ont sans doute pas tort, une des causes de la guerre de Cent ans. Une pensée émue pour de lointaines connaissances... Ils s'étonnent surtout que le vainqueur de Taillebourg ait pu être aussi désintéressé, jusqu'à l'inconscience si l'on peut dire.

 

En réalité Saint Louis ne doute pas qu'il s'agit d'un marché provisoire et, d'ailleurs, il a tout de même obtenu la reconnaissance par Henri IIIet de façon définitive, des annexions de Philippe Auguste, comme la Normandie, et de la suzeraineté du roi de France.

 

Saint Louis peut partir tranquille en croisade. Seule la guerre contre les Musulmans est un devoir. Ils profanent la Terre Sainte. Il faut donc combattre les Infidèles et se croiser. Un échec, mais il est des défaites qui sauvent.

 

LE ROI DE FRANCE

 

En France, il est fréquent que des Frondes de privilégiés mettent en cause la paix intérieure. Pendant la minorité de notre roi, la classe féodale, dont les comtes de Bretagne, de la Marche et de Toulouse, se révoltent. En quelque sorte ils réagissent contre la politique pratiquée par Philippe Auguste et Louis VIII. Ils font amende honorable.

 

"Saint Louis presque seul (de nos rois) régna sans contestation" dit Fustel de Coulanges à l'impératrice Eugénieemployant déjà un mot qui a fait fortune. Il ne tient pas compte de la révolte des pastoureaux. Il est vrai qu'à ce moment-là le roi se bat loin de France, en croisade, et qu'à juste titre nous pouvons considérer qu'elle n'est pas dirigée contre lui. C'est encore "un de ces mouvements révolutionnaires qui revenaient périodiquement". 

 

Saint Louis a toujours voulu empêcher les guerres intérieures, le moyen préconisé pour vider les querelles entre féodaux. À cet effet, il établit "l'assurement". La guerre n'a pas lieu si l'une des parties demande un jugement. D'autre part, si la guerre doit avoir lieu, la "Quarantaine le Roi", qui laisse quarante jours entre la querelle, l'offense et les hostilités, est obligatoire. Souvent cela suffit à une réconciliation.

 

"Bataille n'est pas voie de droit" répète le grand roi dont la probité renommée fait rapidement l'arbitre des conflits internationaux. Car, à l'étranger, on sait fort bien que Saint Louis n'a pas l'esprit de domination.

 

Chez lui, il ne veut pas toucher aux institutions qui peuvent borner son action, celles de l'Église, de la Féodalité et de la Bourgeoisie. Il ne prend aucune décision sans consultation préalable de ses vassaux directs. Cependant, malgré lui, et avec lui, la royauté acquiert le pouvoir judiciaire, nous l'avons vu, et le pouvoir législatif, parce que les lois qu'il promulgue sont désintéressées et satisfont au Bien Commun.

 

Le Livre des Métiers ouvert par le prévôt de Paris Étienne Boileau réorganise les Corporations qui mettent un frein aux ambitions féodales. Le roi "facilite l'émancipation des serfs, élargit l'accès à la Bourgeoisie". Enfin la monnaie royale assure la régularité des échanges. Toutes ces mesures ont pour effet de renforcer la Royauté au détriment de la Féodalité.

 

LE SIÈCLE DE SAINT LOUIS

 

Il n'est pas exagéré d'appeler le XIIIe siècle le siècle de Saint Louis. Sous son égide s'ouvre une période de bouillonnement d'idées, de recherches intellectuelles.

 

Il encourage la création de l'Université et de collèges pour étudiants dépourvus. Robert de Sorbon donne son nom à l'un d'eux, la Sorbonne, encore une respectable fondation de cet "obscurantiste" Moyen-Âge.

 

Saint Albert le Grand enseigne place Maubert, bien connue de ceux qui ont quelque peu déambulé dans le Quartier Latin. Saint Louis honore également de son amitié le théologien le plus éminent de l'Église, Saint Thomas d'Aquin.

 

L'Université de Paris est réputée pour être le plus riche foyer de science et de littérature du monde chrétien. Que faut-il dire de nos jours ?

 

Notre-Dame de Paris s'achève. La Sainte Chapelle, véritable joyau de l'art gothique, sert de reliquaire à la Couronne d'Épines achetée à l'empereur Beaudoin de Constantinople. Les cathédrales dardent le ciel de leurs flèches triomphalistes. Leurs vitraux sont dus aux meilleurs maîtres verriers de tous les temps. "D'admirables statues, d'une liberté, d'une émotion, d'une vérité qu'on ne retrouve qu'au sommet de l'art hellénique" décorent leurs portails. Nous sommes à un sommet, celui de l'art chrétien et de l'ordre chrétien.

 

"ON NE RECOMMENCE PAS SAINT LOUIS"

 

"Le plus important reste sa mort, véritable communion entre le peuple et son roi". Saint Louis meurt à Tunis à l'aube de la VIIIe croisade. C'est le 25 août 1270, il y a sept cents ans, la mort d'un chevalier du Christ. Mais, comme le dit Pierre Gaxotte, cette mort "met fin à un équilibre entre les trois principes, féodal, royal et religieux, équilibre qui ne sera jamais restauré. Les circonstances ne le permettront pas, et l'on ne recommence pas Saint Louis", le seul roi de France qui ait vraiment su ceindre la couronne. 

 

Francis Richard

 

1 - Dans ce même numéro, ronéoté, dont la couverture était de mon fait, j'étais l'auteur de cinq articles sur quinze, sous mon propre nom et sous le pseudonyme de Francisco...

2 - Louis IX a été canonisé le 4 août 1297 par le pape Boniface VIII.

 

BIBLIOGRAPHIE

  • O. AUBRY, Histoire de France
  • J. BAINVILLE, Histoire de France
  • N. D. FUSTEL DE COULANGES, Leçons à l'Impératrice
  • F. JAMMES, Saint Louis ou l'esprit de croisade 
  • JOINVILLE, Saint Louis
  • G. RAVOIN, Saint Louis
  • Divers articles de revues
Saint Louis, le seul roi de France qui ait vraiment su ceindre la couronne
Publication commune avec Le blog de Francis Richard.

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