J'avais vingt ans et j'avais écrit le plus beau roman du monde. C'est Clara qui le disait. Je croyais tout ce que disait Clara.
Trente après, Jean Foscolani se souvient. Pour son premier roman, il s'était adressé à Charles Follet, éditeur à l'ancienne, qui présidait aux destinées des Éditions du Losange et lui avait fait remettre plusieurs fois son ouvrage sur le métier.
Pour les relations presse, il vit avec Clara, que Charles Follet lui présenta au printemps 1994. Elle n'était pas seule. Saïd, l'écrivain algérien que tout le Maghreb adulait, était là. Dès lors, avec eux deux, il allait former un trio un an durant.
Follet avait proposé le titre Des gens sensibles à son livre: Mon esprit chancela. Bientôt mon nom s'étalerait en lettres rouges sur la couverture plein sable à losange bleu. Une consécration pour ce fils de Berbère inconnu, selon sa mère...
Clara était d'une quinzaine d'années son aînée. Elle n'allait avoir de cesse de le lancer, en organisant des dîners chez elle, en lui donnant rendez-vous dans des lieux huppés où il rencontrerait des critiques littéraires et des attachés de presse.
L'écriture de Saïd faisait trop de bruit en Algérie aux yeux des islamistes, des militaires et des dirigeants du FLN. Après la mort de son fils Djamal, il était sans illusion, bien que protégé en France, où il vivait auprès de Clara et de... Fosco:
Je ne l'ai jamais entendue prononcer mon prénom. Juste le diminutif de mon nom qu'elle avait d'emblée adopté.
Saïd ferait un jour partie de la liste tragique des écrivains algériens qui mettaient toute leur vie dans leurs mots. Quand il était loin, auprès des siens, à Tanger, Fosco restait avec Clara. Et quand Clara n'était pas là, Saïd l'était. Qui lui avait dit:
Tu dois connaître l'amazigh. Ses mots sont les globules de ton sang. Les Berbères étaient installés en Afrique du Nord bien avant les Arabes, bien avant les Français. Quand je te regarde, avec tes cheveux qui frisottent et ton petit sourire en coin, je sais que je connais bien des visages comme le tien en Kabylie.
Trente ans après, Jean Foscolani se souvient. Peu lui importe qu'il soit Berbère du Maroc ou d'Algérie, lié à Jo Attia ou à Mouloud Ferraoun, il a choisi sa naissance, il sera l'enfant de ses livres. Il ne racontera pas sa vie. Il l'inventera en l'écrivant.
Francis Richard
Des gens sensibles, Éric Fottorino, 160 pages, Gallimard
Livre précédemment chroniqué:
Dix-sept ans (2018)
Publication commune avec Le blog de Francis Richard.

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