Il faut parfois trahir, de Kamel Daoud

Francis Richard
Resp. Ressources humaines

Kamel Daoud est-il un traître? Telle est la question. À laquelle l'écrivain franco-algérien répond par l'affirmative. Mais ce n'est pas ce que l'on croit.

 

Certes il est l'objet d'un mandat international pour avoir enfreint la loi de réconciliation nationale algérienne1 avec son roman Houris, Prix Goncourt 2024.

 

Comme l'indique le titre de cet essai, Il faut parfois trahir. Dans quel cas? Quand il s'agit de trahir l'immobilité. C'est à cela qu'on reconnaît les héros.

 

Au départ il y a une parole attribuée à un soldat au torse médaillé face à son supérieur, au début du siècle dernier, et qui explique ce qui lui est reproché:

Un Arabe reste un Arabe, même s'il s'appelle le colonel Bendaoud!

 

Naturalisé Français, Bendaoud (1837-1912), élevé au grade de grand officier de la Légion d'honneur, avait été le premier Algérien à être devenu Saint-Cyrien.

 

Il était pour l'éternité le "judas" du nationalisme algérien qui se confond avec l'arabité, i.e. l'image d'une langue imaginaire servant à définir une identité:

L'identité arabe, imaginaire et fondée sur la langue, [...] imposa sa loi de pétrification à l'Algérie (et ceux qui en France s'en réclament) et qualifia de trahison toute forme de créativité.

 

Malek Haddad (1927-1978), se sentant coupable de trahison, aurait cessé d'écrire. Car un écrivain algérien trahit s'il écrit dans une autre langue que l'arabe...

 

Kamel Daoud n'est pas séparé de [sa] patrie par la Méditerranée ni par la langue française. Il reste fidèle à sa volonté, dès l'enfance, d'être un homme libre:

Ce qui empêche l'Algérie de naître à elle-même, ce n'est pas la langue arabe ou française. C'est la pratique que l'on fait de l'amalgame entre Dieu, l'arabe et le pouvoir, et le refus de pluralité, le français et la trahison.

 

Kamel Douad veut bien être traître si cela veut dire penser la pluralité face à l'unanimité, imaginer un futur, mener la guerre contre la misère réelle et le pays idéalisé.

 

Il espère que tous les Algériens seront des traîtres un jour:

  • Ils pourraient s'emparer de l'inconnu et de l'étranger, libérés des castes des interprètes d'un seul livre.
  • Ils seraient libres de lire tout, et d'écrire tout, dans toutes les langues.

En effet:

  • La trahison représente un élan vers l'universalité.
  • Le contraire de l'universalité, c'est la rancune, c'est le repli et c'est l'anxiété.

 

Kamel Daoud est franco-algérien et est à la fois les deux:

Je me sens français malgré certaines personnes. Je suis algérien malgré d'autres. C'est ainsi que je m'invente mes vies.

 

Il est infidèle:

  • à tout ce qui réduit ces deux pays à de l'absurdité et de l'antagonisme,
  • à la rigidité et à la fixité,
  • au livre unique et à la langue unique.

 

En conclusion:

Il n'y a pas d'avenir sans trahison du passé. Et il n'y a pas d'avenir sans fidélité ni sacrifice des semblables, des uns et des autres. Mes semblables m'ont voulu héroïque et libérateur depuis mes manuels scolaires du pays si jeune qu'il en a commis des erreurs. J'ai réussi à me libérer, et je rêve encore d'être un héros.

 

Francis Richard

 

1 - Adoptée par référendum le 29 septembre 2005.

 

Il faut parfois trahir, Kamel Dadoud, 64 pages, Gallimard

 

Livre précédent:

 

Houris(2024)

 

Publication commune LesObservateurs.ch et Le blog de Francis Richard.

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