Grande Mosquée de Paris: l’autre ambassade d’Algérie

 

Depuis l’entrée en fonction du recteur Chems-Eddine Hafiz, la Grande Mosquée de Paris est plus que jamais le porte-voix du régime algérien. Son patron, qui a aussi la mainmise sur la certification halal, estime que tous les Français devraient prendre sa communauté pour modèle.


« Le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine. » C’est par ces quelques mots, adressés dans une lettre officielle à Mohammed VI en juillet dernier, qu’Emmanuel Macron a déclenché la plus grave crise diplomatique que la France ait jamais connue avec l’Algérie. Pouvait-il se douter que le régime du président Tebboune, en rétorsion, laisserait carrément arrêter un écrivain franco-algérien, Boualem Sansal, retenu depuis en otage (il n’y a pas d’autre mot) dans une prison à Alger au seul motif qu’il reconnaît lui aussi, la « marocanité » de l’ancienne Afrique occidentale espagnole ?

La missive présidentielle qui a mis le feu aux poudres ne fait toutefois pas cas d’un autre territoire disputé entre le Maroc et l’Algérie. Un territoire certes minuscule, mais ô combien symbolique et stratégique : la Grande Mosquée de Paris. Érigée juste après la Grande Guerre par la IIIe République pour rendre hommage aux 70 000 soldats musulmans (tirailleurs algériens et tunisiens, goumiers marocains, méharistes et spahis), qui venaient alors de tomber pour la France, elle est, avec son minaret de 33 mètres de haut, la première mosquée construite en Occident depuis la chute du royaume musulman de Grenade en 1492.

À l’origine, tout la raccorde au Maroc. Non seulement parce que ses plans, superbes, sont signés par Maurice Tranchant de Lunel, qui s’est « inspiré des mosquées de Fès », mais aussi parce qu’en 1922, c’est le grand vizir du royaume chérifien qui en pose la première pierre. Quatre ans de travaux plus tard, cerise sur le briouate, le bâtiment est inauguré par le président Gaston Doumergue, qui a convié comme invité d’honneur le sultan Moulay Youssef en personne – l’arrière-grand-père de Mohammed VI –, considéré comme le plus haut dignitaire musulman de l’Empire français.

Un alignement progressif

Logiquement, la tête de l’établissement est alors confiée à Kaddour Ben Ghabrit, un membre du Quai d’Orsay certes d’origine algérienne, mais chargé des relations entre Paris et la cour de Rabat sous le protectorat. À sa mort en 1954, il est remplacé par son neveu, Ahmed Ben Ghabrit, dont les sympathies nationalistes algériennes lui valent d’être vite remplacé, sur ordre du Premier ministre Guy Mollet, par Hamza Boubakeur, député SFIO des Oasis, une circonscription de l’Algérie française. C’est à ce moment-là que la Grande Mosquée rompt toute jonction avec le Maroc.

Depuis, l’institution du Quartier latin a été continuellement dirigée par des Algériens. En 1982, son lien avec Alger est même consolidé lorsque le ministre de l’Intérieur, Gaston Defferre, autorise l’ancienne colonie, alors présidée par Chadli Bendjedid, à la financer directement. Né à Alger en 1954, Chems-Eddine Hafiz le nouveau recteur, ne déroge pas à la règle. Avocat de profession, il a, dès son installation à la Grande Mosquée en 2020, fait savoir sur la chaîne d’État Canal Algérie qu’il avait rendu visite au président Tebboune, ce qui, dans le contexte politique d’alors, signifie une allégeance au pouvoir face au mouvement populaire du Hirak (2019-2021). Il faut dire qu’au barreau de Paris, Hafiz a notamment compté parmi ses clients l’ambassade d’Algérie en France et le front Polisario, ce groupe séparatiste, soutenu par Alger, qui mène la lutte armée au Sahara occidental.

À lire aussi, Elisabeth Lévy : Trouble allégeance

Mais dans les médias français, celui qui est aussi le producteur de l’émission « Islam » sur France 2 s’est surtout fait connaître en représentant la Grande Mosquée dans les tribunaux, à l’occasion des actions intentées en 2002 contre Michel Houellbecq (qui avait déclaré dans Lire : « La religion la plus con, c’est quand même l’islam. ») puis en 2007 contre Charlie Hebdo, pour avoir publié des caricatures de Mahomet. Deux procès perdus.

Malheureux dans les prétoires, Hafiz a davantage de succès en tant que chef communautaire, comme l’explique Didier Leschi1, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) : « Son prédécesseur, Dalil Boubakeur, n’avait pu empêcher que l’islam marocain, représenté alors par la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF), sorte vainqueur des premières élections du Conseil français du culte musulman (CFCM), créé en 2003 par le ministère de l’Intérieur pour représenter l’islam auprès des autorités. Depuis son investiture il y a cinq ans, le nouveau recteur a mené une efficace contre-offensive, en consolidant son réseau de mosquées d’obédience algérienne et en quittant le CFCM pour pouvoir apparaître comme le principal si ce n’est l’unique interlocuteur sérieux des pouvoirs publics. »

Une stratégie de reconquête bien rodée

Pour mener sa reconquista, Hafiz a su s’assurer de nouvelles sources de financements. En 2022, il a décroché le monopole de la certification halal sur les denrées européennes entrant en Algérie. Selon L’Opinion, la dîme ainsi versée obligatoirement par toutes les entreprises alimentaires et cosmétiques de l’Union souhaitant exporter vers Algérie rapporte 5 millions d’euros par an à la Grande Mosquée.

D’où vient tant d’aplomb ? Tout en prenant soin de se démarquer du djihadisme et du séparatisme – il vient notamment de demander que l’on prie pour la France à l’office du vendredi et a déclaré « si j’avais le pouvoir de sortir de prison Boualem Sansal, je le ferais » –, Hafiz occupe en réalité une place laissée vacante depuis qu’Alger a décidé, en signe de protestation suite à la lettre de Macron à Mohammed VI, de rappeler son ambassadeur à Paris. Faute de diplomate de haut rang dans notre pays, l’Algérie est désormais représentée officieusement en France par le recteur qui se décrit lui-même comme un « trait d’union » entre les deux pays.

Seulement aujourd’hui, Hafiz ne cherche plus uniquement à contrôler les âmes et l’alimentation de ses seules ouailles ou à jouer les diplomates du dimanche. Il prétend aussi diriger les consciences de l’ensemble des Français. Le 6 janvier dernier, le recteur a publié un communiqué pour condamner « certains groupuscules et idéologues extrémistes qui mènent une campagne sournoise pour tenter de déstabiliser la Grande Mosquée de Paris », avant de formuler cette hallucinante mise en demeure à l’adresse de la population de son pays d’accueil : « En ce début d’année, nous appelons tous les citoyens français à s’engager en faveur de l’apaisement, de l’unité et de la cohésion sociale pour lesquels les musulmans de France œuvrent au quotidien. » Non seulement, il s’agirait que nous lui obéissions, mais en plus que nous prenions sa communauté en modèle ! En France, aucune institution étrangère n’avait osé tenir un tel discours depuis… l’occupation allemande.

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