Anarchie et christianisme, de Jacques Ellul

Francis Richard
Resp. Ressources humaines

Il y a un mois, un ami, qui se reconnaîtra, m'a dit avoir lu Anarchie et christianisme de Jacques Ellul (1912-1994) et demandé si je l'avais déjà commenté. Je lui ai répondu par la négative mais que j'allais y remédier. Aujourd'hui, c'est chose faite.

 

Dans cet essai, l'auteur, converti au christianisme1, convaincu que l'anarchisme est le vrai socialisme, tente de montrer qu'il n'y a pas incompatibilité entre anarchie et christianisme, sans chercher pour autant à convertir les anarchistes ou les chrétiens.

Par anarchie, il n'entend pas désordre mais objection de conscience [...] à toutes les contraintes et obligations imposées par notre société, sans recours à la violence, en considérant que l'ennemi est l'omnipotence et l'omniprésence de l'administration.

Jacques Ellul est toutefois réaliste: il ne croit pas qu'une société anarchiste idéale soit possible: mais on peut lutter, on peut mettre en question, on peut s'organiser en marge, on peut dénoncer (non pas les abus du pouvoir, mais le pouvoir lui-même!).

 

Exemples de griefs de l'anarchie contre le christianisme:

  • Penser seul détenir la vérité, ce qui conduit aux guerres et aux conflits.
  • Dire que tout pouvoir vient de Dieu, ce qui conduit à la collusion avec l'État, quelles que soient sa forme et l'idéologie qui lui correspond.
  • Dire que Dieu est Tout-Puissant ou Providence, ce qui est contradictoire avec la liberté ou le mal.

Jacques Ellul répond notamment que le christianisme a perdu de son influence, l'Église de son pouvoir - dans un sens, c'est heureux - , que Dieu n'intervient pas sans cesse2, et que l'homme, chrétien ou pas, reste libre de faire le bien comme le mal.

 

Mais l'essentiel de son argumentaire se trouve dans sa lecture attentive de la Bible, à commencer par la Bible hébraïque - l'Ancien Testament -, où il relève un ensemble de faits qui manifeste la constance d'un sentiment anti-royal sinon anti-étatique.

Pour ce qui est du Nouveau Testament, selon l'auteur:

  • Jésus a traité le pouvoir par le mépris et lui a refusé toute autorité 3.
  • Dans l'ensemble de l'Apocalypse, il y a une mise en question du pouvoir politique.
  • Paul se situe dans cette église chrétienne du début, qui, unanimement, est hostile à l'État, au pouvoir impérial, aux autorités.

 

En conclusion, malgré tous les exemples que Jacques Ellul donne, il n'est pas sûr, comme il le suggère, que l'on puisse dire: christianisme et anarchie, même combat 4, parce que tout chrétien ne peut que garder à l'esprit ces deux citations tirées de l'évangile:

Mon royaume n'est pas de ce monde.

Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.

Elles signifient en fait qu'il y a un dualisme chrétien. Pour le chrétien, il ne faut simplement pas confondre royaume terrestre et royaume céleste. Ainsi un chrétien peut-il très bien, par exemple, s'opposer, sans violence, à la singerie d'un État-providence.

 

Un royaume terrestre, pour être légitime, doit, dans ses lois, respecter le droit naturel dont le Décalogue est l'expression et les libertés individuelles qui résultent de la disjonction du politique et du religieux, de la séparation du spirituel et du temporel 5.

 

Francis Richard

 

1 - Il se dit protestant.

2 - L'auteur rejette totalement les fameuses apparitions (de la Vierge, d'Anges etc.) qui n'ont rien à faire avec ce que la Bible nous apprend sur l'action de Dieu.

3 - L'auteur récuse toute hiérarchie, même dans l'Église, oubliant le tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église...

4 - Même s'il peut y avoir des convergences.

5 - Ces deux expressions proviennent de La cité antique de Fustel de Coulanges.

 

Anarchie et christianisme, Jacques Ellul, 160 pages, La Table Ronde (Première édition Atelier de création libertaire, 1988)

 

Publication commune LesObservateurs.ch et Le blog de Francis Richard.

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