La langue des thèses universitaires devient de plus en plus impénétrable (surtout dans les sciences humaines et sociales)

 

Les universitaires sont depuis longtemps accusés d’écrire dans un jargon incompréhensible. L’histoire récente d’Amelia Mary Louks, une chercheuse qui a déclenché une tempête sur les médias sociaux avec un message anodin sur 𝕏 célébrant la fin de sa thèse de doctorat, constitue un exemple édifiant. Si le sujet de recherche de Mlle Louks (« l’éthique olfactive » — la politique de l’odorat) a attiré l’attention des critiques en ligne, c’est le résumé verbeux de sa thèse qui a suscité leur courroux. En deux semaines, le message a été relayé par plus de 21 000 personnes et a été consulté plus de 100 millions de fois.

Les réactions étaient suscitées par le langage abscons utilisé dans ce résumé. Le manque de clarté explique la critique. Les travaux de recherche sont devenus de plus en plus difficiles à lire, en particulier dans le domaine des sciences humaines et sociales. Bien que les auteurs puissent affirmer que leurs travaux sont destinés à un public d’experts, une grande partie du grand public soupçonne certains universitaires d’utiliser un charabia pour camoufler le fait qu’ils n’ont rien d’utile à dire. La tendance à une prose plus opaque n’apaise guère ce soupçon.

Pour suivre l’évolution de la rédaction universitaire dans le temps, The Economist a analysé 347 000 résumés de thèse publiés entre 1812 et 2023. L’ensemble des données a été produit par la British Library et représente la majorité des thèses de doctorat en langue anglaise soutenues dans les universités britanniques. L’hebdomadaire a examiné chaque résumé à l’aide du test de facilité de lecture de Flesch, qui mesure la longueur des phrases et des mots pour évaluer la lisibilité. Un résultat de 100 indique en gros que les passages peuvent être compris par une personne ayant terminé la 4e année du primaire aux États-Unis (CM1 en France) généralement âgée de 9 ou 10 ans, tandis qu’un score inférieur à 30 est considéré comme très difficile à lire. Un article moyen du New York Times obtient un score d’environ 50 alors que le « Reader’s Digest » a un indice de lisibilité d’environ 65. La « Harvard Law Review » a un score général de lisibilité dans la trentaine. Le score de lisibilité le plus élevé (le plus facile) possible est de 121,22, mais seulement si chaque phrase se compose d’un seul mot d’une syllabe. Alors qu’Amazon place le texte anglais de « Moby Dick » à 57,98. Une phrase particulièrement longue sur les requins au chapitre 64 a une cote de lisibilité de -146,77.

De l’« allylation asymétrique des aldéhydes » aux « fondements pneumatologiques et apocalyptiques de l’eschatologie », les résumés des thèses de doctorat exhalent un parfum d’érudition indéniable. Nous avons constaté que, dans toutes les disciplines, les résumés sont devenus plus difficiles à lire au cours des 80 dernières années. C’est dans les sciences humaines et sociales que le changement est le plus marqué (voir le graphique), les scores moyens de Flesch passant d’environ 37 dans les années 1940 à 18 dans les années 2020. À partir des années 1990, ces domaines sont passés d’une lisibilité nettement supérieure à celle des sciences naturelles — comme on pouvait s’y attendre — à une complexité accrue. Le résumé de Mme Louks a obtenu une note de 15 pour la facilité de lecture, ce qui reste plus lisible qu’un tiers des résumés de thèses analysés.

D’autres études sur la rédaction universitaire aboutissent à des conclusions similaires : le jargon scientifique et les acronymes sont de plus en plus fréquents. Les auteurs ne sont pas les seuls responsables. La spécialisation et les progrès technologiques exigent une terminologie plus précise et une thèse de doctorat couvre souvent certains des sujets de recherche des plus obscurs. Avec des millions de vues, Mme Louks pourrait revendiquer l’un des résumés de thèse de doctorat les plus lus de tous les temps. Elle a depuis posté : « Je suis ravie d’avoir en quelque sorte doté tout le monde d’une nouvelle terminologie et de nouveaux cadres de travail ! » Mais au-delà de l’intérêt croissant pour l’éthique olfactive, la tendance à l’illisibilité des écrits académiques est déplorable. Une prose claire serait une bouffée d’air frais.

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