L’ostracisation du RN met notre démocratie sous cloche

 

Alors que Marine Le Pen profitait depuis deux ans d’une dynamique favorable, le RN n’est pas parvenu à obtenir une majorité à l’Assemblée nationale. Les partis dits de gouvernement ont d’abord fait alliance ou barrage contre lui, puis ils ont organisé sa non-représentation au niveau des postes clés de l’Assemblée nationale… Sonnés par cette récente déconvenue électorale, Jordan Bardella et Marine Le Pen savent que la parole du peuple a été bafouée, que la démocratie n’a pas vraiment été respectée, pour des raisons relevant de la “morale” voire des années 30, mais ils estiment que “pour gagner, il [leur] faut être irréprochables”. M. Bardella doit ainsi opérer un “travail de fond” sur le mouvement et “entamer un processus de déconcentration”1. Analyse.


La séquence politique que nous traversons n’en finit plus de surprendre et de nous enfoncer vers les ténèbres de l’inversion des valeurs, des accusations et de la morale… Celui qui agresse est sanctifié, celui qui se défend ou qui tente de faire valoir ses droits est marqué du sceau de l’infamie, comme en témoigne la récente intervention de Sandrine Rousseau (Ecologistes) à l’attention de François-Xavier Bellamy (LR), mettant en garde contre le harcèlement que subirait… Rima Hassan (LFI), alors que c’est bien cette dernière qui menace le premier qui porte logiquement plainte. Espérons que la justice aura cette logique et ne tombera pas dans le marasme actuel, où ceux qui hurlent et intimident ont raison face à ceux qui dérangent autant par leur bonne tenue que par leurs idées. Car le nœud du problème est bien là ! 

Normalisation jamais achevée

Comment pouvait-on exclure du débat public les politiques, qui par leur respect des institutions et leur constance dans leur posture démocratique, avaient prouvé depuis plusieurs années qu’ils n’étaient pas la bête immonde annonciatrice du désastre à venir si nous leur donnions les clés du pays ? Les élections législatives ont été commentées par de nombreuses personnes et je n’aurai pas la prétention d’avoir de nouvelles analyses meilleures que les précédentes. En revanche, ce qui m’interpelle et me désole pour notre avenir, tant au niveau sociétal que politique, est que les partis dits de gouvernement ont cadenassé le discours et se sont enfermés de fait dans une position qu’ils ne peuvent plus quitter sans pertes et fracas. 

Ainsi, en plaçant la morale au-dessus du fait politique et de la recherche du bien commun, ils se sont tous, des Socialistes aux Républicains, plongés dans une logique de l’inversion qui jusque-là était l’apanage de l’extrême gauche. Là, adoubée dans sa posture incroyablement provocatrice, faite de violences verbales, d’accusations en tout genre et de retournement de la charge, cette gauche jusqu’au-boutiste se voit privilégiée face à l’autre extrémité de l’échiquier politique qui n’a pourtant plus d’extrême que sa place dans l’hémicycle du Palais Bourbon. 

Le peuple a voté et une nouvelle fois, de façon claire et davantage que les précédentes, a décidé de mettre en avant la droite nationale, en tête tant aux élections européennes qu’au premier tour des législatives, cela malgré l’alliance plus qu’improbable de toute la gauche. Des outrances passées à l’Assemblée nationale aux positions scandaleuses sur le conflit entre Israël et le Hamas, rien ne sera retenu contre cette gauche extrême qui préfère l’invective au débat d’idées et sème le trouble en France en accusant le camp d’en face de se défendre et de mettre la pagaille. La bordélisation de la société dans son ensemble est à l’œuvre, et comme cela arrange la majorité sortante, toute la classe politique s’en accommode à l’exception du Rassemblement national.

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L’opposition est saine dans notre société ; cela montre une maturité à débattre et à décider ensemble pour l’avenir de notre pays et de notre rapport au monde. Mais cette opposition qui doit s’effectuer sur le terrain des idées a dérivé sur des postures morales, voire moralisatrices, interdisant tout débat s’il n’entre pas dans le champ des possibilités retenues par cette bien-pensance. Aussi, quand nous ajoutons les dérives moralisatrices aux débordements déjà mentionnés, nous ne pouvons plus discuter de notre avenir sans commencer par montrer patte blanche afin d’avoir le droit à la parole. Voilà le vrai problème et l’impasse montée de toutes pièces par notre classe politique, davantage attachée aux postures et aux postes d’élus qu’à l’avenir de notre pays et au discours sur le bien commun. 

Postures

Nous devons absolument retrouver notre capacité à discuter des sujets qui nous concernent tous, à débattre des idées et à décider ensuite des solutions à envisager, loin de toute posture morale et de tout positionnement qui empêchent le traitement des vrais problèmes.

Ceci pour deux raisons essentielles qui se réfèrent à notre État de droit et à notre exercice de la démocratie. Car quand le droit est convoqué, on nous répond très logiquement que ce qui est légal n’est pas forcément moral et que la morale dépend de chacun, alors que nous sommes très attachés à notre égalité devant la justice qui n’a pas à s’en mêler. Si nous jugeons notre exercice de la démocratie de façon morale, alors nous ne sommes plus égaux devant ce droit fondamental qui est de faire porter sa voix avec la même valeur que celle de ceux qui nous entourent. Ainsi, placer le débat politique sur les postures morales voire moralisatrices, accusant les gens qui penseraient différemment d’être de méchants citoyens incapables de comprendre l’évidence, donc idiots en plus d’être méchants, est non seulement contraire à l’esprit de nos lois, mais est (volontairement ?) un appel à les transgresser. Car si les citoyens qui s’expriment légalement dans une élection démocratique pour des partis qui sont légaux, en votant pour des personnalités politiques qui ont déjà démontré leur capacité et leur volonté de respecter les institutions et les décisions prises par la majorité, si ces citoyens sont ostracisés et sommés de se taire, il est évident que les souffrances générées par cette mise à l’écart de la société ne resteront pas silencieuses. Comment peut-on expliquer la veille qu’il faut aller voter, que c’est un droit et même un devoir… et le lendemain placer plus de dix millions de personnes dans les oubliettes des urnes ? Le peuple français est un gentil peuple, il acceptera la sentence et partira en vacances sans rien dire… 

Prenons garde tout de même au réveil douloureux et à la force que confèrent les sentiments d’injustice et d’impuissance trop longtemps intériorisés qui pourraient ressortir de façon explosive. 

La responsabilité de la situation politique bloquée du pays est à porter au crédit (devrais-je dire au discrédit) de la classe politique de gouvernement. Les Français ont mal voté… Nous avons assisté à une confiscation du débat pour cause de « mal pensance » d’un tiers des électeurs auxquels rien ne sera épargné, ni les accusations en fascisme, ni la honte d’être soi-disant contre l’Autre, ni le bannissement de nombreux endroits si ces électeurs venaient à divulguer leur vote. C’est l’exact contraire de la démocratie. 

Discutons des idées, définissons les mots, à commencer par « extrême droite » et fasciste, puis interdisons les partis qui seraient antidémocratiques afin que tous les électeurs puissent s’exprimer dans le respect de notre État de droit, c’est-à-dire avec une voix qui a autant de valeur que celle du voisin. Mais de grâce, qu’on ne nous explique plus qu’il y a des sous-électeurs, que leur parole est malsaine et qu’elle ne doit donc pas compter ! On a organisé l’invisibilité de ces voix, et ensuite, bien sûr, on voudrait que tout se passe bien dans notre beau vivre-ensemble… Attention : s’il y a des sous électeurs qui votent massivement pour des sous députés, il faudra ouvrir les yeux et s’apercevoir que nous sommes devenus une sous-démocratie !


  1. https://www.valeursactuelles.com/clubvaleurs/politique/marine-le-pen-pour-gagner-il-nous-faut-etre-irreprochables ↩

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