Baisse de niveau à Sciences Po, l’école recrute sur d’autres critères que ceux de l’excellence scolaire, dont l’engagement associatif

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À l’Institut d’études politiques, comme ailleurs, la connaissance de la langue perd du terrain. Mais les correcteurs s’inquiètent aussi de la faiblesse des références culturelles des futurs diplômés.

L’école qui s’est donné pour mission de former l’élite politique française est secouée par une succession de crises depuis la mort (trouble) de Richard Descoings. Trois ans après le scandale de l’affaire Duhamel, Mathias Vicherat a été à son tour contraint à la démission. Et l’activisme militant de certains étudiants pro-palestiniens a terni l’image de l’institution au point d’éloigner d’importants mécènes. Enquête sur Sciences Po, un symbole en proie à une grave crise d’identité, entre inquiétudes sur les finances de l’établissement, errances idéologiques et baisse des exigences académiques.

« Ah, mais je croyais qu’à Sciences Po on n’était plus obligé d’apprendre ses leçons. » Cet enseignant a beau officier depuis une quinzaine d’années dans l’école de la rue Saint-Guillaume, et avoir vu défiler des centaines d’étudiants plus ou moins solides sur le plan intellectuel, il ne s’attendait pas à entendre un jour cette phrase de la bouche d’une future diplômée. Pour lui, ces quelques mots ne sont pas seulement une anecdote que l’on se raconte, entre collègues, à la machine à café. Ils illustrent une tendance de fond : la chute de niveau des élèves, régulièrement pointée dans les classements internationaux, s’observe aussi chez ceux de la célèbre institution parisienne.

Bien sûr, les étudiants ont « progressé dans le travail collectif et en anglais » et restent « nettement meilleurs qu’à l’université » [les bons élèves en France vont surtout dans les Grandes écoles], où le processus de sélection est moindre, confesse un membre du jury d’admission qui donne aussi des cours à la fac. Mais, à écouter les témoignages d’anciens diplômés et d’enseignants, la plupart d’entre eux s’accordent à dire que les lacunes en orthographe, les erreurs de syntaxe et les fautes de grammaire sont devenues monnaie courante dans les copies. « Je reçois une immense majorité de dossiers avec des moyennes au lycée avoisinant les 18-19, mais il n’y en a pas un seul dans lequel les écrits à fournir ne présentent pas de fautes d’orthographe », déplore un doctorant chargé d’examiner des dossiers d’admission. Et une fois lesdits élèves admis, les professeurs sont obligés de faire avec. « En ce qui concerne la maîtrise de la langue française, on ne peut plus être aussi exigeant qu’il y a vingt ans », confesse un enseignant de longue date. Un chargé d’enseignement vacataire a noté des « fragilités » dans la qualité de l’expression écrite.

Lacan disait que le réel, c’est quand on se « cogne ». Et en mettant les pieds sur le campus de Reims, lui s’est pris un sacré coup. Il évalue à « un sur dix la proportion d’étudiants peu à l’aise avec des règles syntaxiques et orthographiques basiques », et cite les cas d’une copie de première année dans laquelle il était écrit « omnubiler » à la place d’« obnubiler », et d’une autre dans lequel aucun verbe au passé simple n’était correctement conjugué. Depuis son bureau du troisième étage avec une vue imprenable sur l’établissement, Pascal Perrineau, ex-directeur du Cevipof, un des principaux laboratoires de recherche de l’école, nuance : « 10 % d’une classe n’a pas le niveau. Ce qui était inimaginable il y a encore une décennie. Mais il y a toujours d’excellents étudiants ».

À Sciences Po, comme ailleurs, la connaissance de la langue perd du terrain. Mais les correcteurs s’inquiètent aussi de la faiblesse des références culturelles des futurs diplômés. «  J’ai été frappé par le fait que quelques étudiants appuyaient leur réflexion sur des exemples tirés de youtubeurs ou de Netflix au détriment de sources littéraires classiques. » Et puis l’appétence pour l’actualité a pris du plomb dans l’aile. « Le matin à 8 heures, on trouvait des journaux dans des kiosques. J’étais le seul de ma classe d’une vingtaine d’élèves à lire Le Monde le matin. J’ai souvent été surpris de l’absence totale d’intérêt de mes camarades pour l’actualité politique, de leur manque de culture politique », ajoute le rédacteur en chef d’un magazine hebdomadaire passé par le Collège universitaire de Sciences Po. 

Ces dernières années, plusieurs conférences organisées dans l’enceinte même de l’institution ont pu laisser perplexes les habitués des lieux. En novembre 2018, le rappeur Fianso, qui a pris le micro début juillet pour combattre le RN avec le titre controversé No Pasaran, et connu pour avoir chanté Tahia Hamas (« vive le Hamas ») a attiré un large public dans l’amphithéâtre Jacques-Chapsal de la rue Saint-Guillaume. En avril dernier, l’artiste marseillais Soso Maness a lui été l’invité exceptionnel de la prestigieuse école de la capitale pour une conférence intitulée : « De l’idée à l’image. Dynamiques créatives de l’univers musical ».

Mentalité de client

Cause ou conséquence de cette dégringolade, l’école se transforme peu à peu en une forme de cocon, à l’abri des réalités du monde. « Je constate un refus grandissant de la critique ces trois ou quatre dernières années. (…) Et puis les étudiants sont “très bébés”, biberonnés, ils envoient des mails aux enseignants pour tout et n’importe quoi », raconte une enseignante. Un autre parle de « fragilisation ». Selon lui, une mauvaise note adressée à une copie médiocre peut vite se transformer en un problème insoluble. Un 8/20 peut se traduire par « une plainte auprès de la direction ou du professeur directement ». 

Et la direction semble aller dans le sens des élèves concernés : « Parfois, on reçoit des appels de la direction pour nous expliquer que “les étudiants ont du mal” et nous inciter à être compréhensifs. » Un maître de conférences, spécialiste de l’histoire de la Ve République confirme. « Il m’a été explicitement conseillé d’éviter d’envoyer des mails à mes élèves en soirée ou le week-end… Mais eux ne se privent pas de nous écrire à toute heure. » L’explosion des frais de scolarité (14 210 € pour une année de licence aujourd’hui, contre 9800 il y a dix ans pour les étudiants atteignant le plafond) et l’évaluation des enseignants « ont déclenché une mentalité de client. Et certains professeurs peuvent être tentés d’acheter la paix sociale en surnotant », regrette un fin connaisseur de la maison.

Quand ce déclin a-t-il été amorcé ? Par déclin, comprendre : au point où une pointure de l’école confie vouloir « arrêter d’enseigner au Collège universitaire parce que seuls deux de ses élèves, sur 20, arrivent à suivre correctement le cours ». Si elles notent une accélération « rapide et brutale » depuis trois ou quatre ans, plusieurs personnes interrogées pointent du doigt l’internationalisation des campus. Dans les couloirs de Sciences Po, l’anglais est devenu la norme. Aujourd’hui, 50 % des 15 000 étudiants de l’école ont une nationalité étrangère. Ces derniers débarquent dans la capitale avec leurs propres références culturelles, leur français parfois balbutiant et leurs connaissances plus ou moins solides de l’histoire de notre pays. « Sur quels critères évaluer les étudiants si on ne sait pas ce qu’ils ont étudié durant leur scolarité ? », s’interroge un professeur de science politique.

Pour expliquer cet affaiblissement, la mise en place des conventions éducation prioritaire (CEP) par l’ancien directeur Richard Descoings a souvent été dénoncée. Ce processus, qui vise à « renforcer la démocratisation » de l’institution et la diversité sociale a permis à nombre d’élèves issus de lycées défavorisés, essentiellement de banlieue, d’entrer à Sciences Po. Ces candidats sont sélectionnés, mais bénéficient d’une voie d’admission spécifique. Pascal Perrineau tempère ce constat. «  Beaucoup d’étudiants issus des conventions éducation prioritaire n’ont pas grand-chose à envier à leurs camarades de lycées du centre parisien, mais ils sont mal accompagnés. Ils n’ont pas les codes. » D’autant plus que ce dispositif a progressivement été dévoyé. Les parents les mieux renseignés, en premier lieu les profs, ont scolarisé leur progéniture — de bon niveau — dans les lycées conventionnés, afin de bénéficier de cette voie détournée et permettre à leurs enfants de mettre plus facilement les pieds à Sciences Po.

Mais le vrai virage date de 2021. Cette année-là, le concours change de visage et les épreuves écrites sont enterrées. Désormais, les futurs bacheliers doivent déposer leur dossier scolaire sur Parcoursup, où sont évalués les résultats du bac, la performance scolaire et trois exercices rédactionnels (le « parcours personnel du candidat, ses activités et ses centres d’intérêt », la « motivation du candidat et son projet intellectuel pour Sciences Po » et un « essai personnel sur l’une des cinq thématiques proposées »). Objectif affiché : « Donner leur chance à tous les meilleurs talents », pour reprendre l’expression utilisée par l’institution elle-même sur son site internet. Dans les faits, ce nouveau processus d’admission ne semble ni plus démocratique ni plus méritocratique. Il déplace le curseur vers d’autres critères que ceux de l’excellence académique. Au sein de la direction, on reconnaît une « obsession de l’engagement » associatif dans le dispositif, notamment une prime accordée aux activités extrascolaires. À ce jeu-là, les parents bien informés, qui connaissent les rouages et ceux qui ont les moyens d’offrir à leur enfant un séjour linguistique à l’étranger, partent avec un avantage significatif.

Recrutement opaque, exclusion des lycées cathos privés

La logique de recrutement est opaque et « des candidats sont refusés ou admis sans que l’on sache très bien pourquoi », comme l’expliquait le sociologue Pierre Merle au Figaro en 2021. Mais ces dernières années, une tendance, souterraine, semble, elle, se dessiner : l’exclusion progressive de lycéens issus des établissements catholiques privés. Enfin, souterraine, pas vraiment. Dans la préface d’un livre publié à l’occasion des 150 ans de l’école (Sciences Po. Le roman vrai, Les Presses de Sciences Po, 2022), l’ancien directeur Mathias Vicherat se réjouissait : « Moins de 20 % des admis en première année ont grandi dans la capitale. » Dans plusieurs établissements parisiens, on le constate d’année en année. « Il y a dix ans, entre 12 et 15  lycéens de Stanislas intégraient Sciences Po chaque année », observe le directeur François Jubert. 

En 2024, aucun élève du lycée privé catholique du 6e arrondissement, sous le feu des projecteurs depuis la polémique autour de la scolarisation des enfants de la ministre Amélie Oudéa-Castéra, n’est entré rue Saint-Guillaume ; contre deux l’année dernière, un seul en 2022 et aucun en 2021. Est-ce une question de niveau ? Le « catho-privé » parisien serait-il devenu une fabrique à crétins ? « Non, car ces mêmes élèves sont systématiquement retenus quand ils sont évalués par un jury de classe préparatoire, réplique le chef d’établissement. On a toujours autant d’élèves qui aspirent à se mettre au service du bien commun, mais les portes leur sont fermées ». Pour lui, les choses sont claires : « Les élèves de Stanislas ne sont pas les bienvenus à Sciences Po. » La discrimination positive déboucherait-elle, in fine, sur une forme de discrimination idéologique ?

Source : Le Figaro
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2 commentaires

  1. Posté par Poulbot le

    Science Po , l’école a fabriqué les gauchistes de demains.
    Que cette école fasse le ménage dans ses prof qui propage l’idéologie gauchiste dans leurs cours.

  2. Posté par antoine le

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