« Lorsqu’une classe dirigeante se sent menacée, elle se permet tout », remarquait le sociologue et chroniqueur Mathieu Bock-Côté le 3 juillet sur CNews. Il se référait bien entendu à la situation française, avec l’alliance électorale de fait entre Macron et Mélenchon pour faire barrage à la droite identitaire et souverainiste, et aussi avec les rumeurs d’un “putsch administratif” en cours par le président français pour empêcher une éventuelle majorité Rassemblement national de pouvoir réellement gouverner le pays.
Mais cette remarque ne s’applique pas qu’à la France. Le vent de panique qui souffle sur les élites gaucho-libérales, avec la montée des “populismes” de droite partout en Occident, suscite très visiblement une dérive autoritaire qui vient s’ajouter à la dérive totalitaire déjà observable depuis quelque temps, avec le développement des idéologies néomarxistes de type woke.
Sans surprise, la dérive de Tusk est clairement soutenue par Bruxelles, et en premier lieu par la Commission européenne présidée par Ursula von der Leyen.
Un exemple particulièrement criant de cette dérive aujourd’hui, c’est celui de la Pologne depuis la constitution d’un gouvernement de coalition anti-PiS par l’ancien président du Conseil européen Donald Tusk après la défaite électorale qui a coûté sa majorité absolue au PiS, le 15 octobre, malgré sa position de tête. Une situation qui n’est pas sans rappeler celle de la France après les élections législatives anticipées voulues par Emmanuel Macron, sauf qu’en Pologne le centre libéral et la gauche LGBT ont su s’entendre pour gouverner. Mais il faut dire que l’élément islamo-gauchiste et antisémite est pour le moment absent de l’extrême gauche polonaise, ce qui rend une telle coalition moins gênante pour les libéraux pro-UE. Et sans surprise, la dérive de Tusk est clairement soutenue par Bruxelles, et en premier lieu par la Commission européenne présidée par Ursula von der Leyen.
Le même Mathieu Bock-Côté remarquait judicieusement dans une autre de ses chroniques sur CNews qu’« un État qui décide d’appliquer une politique conforme à son intérêt national peut voir les institutions de l’Union européenne le sanctionner à hauteur de plusieurs millions d’euros et s’entendre dire que ça va être une sanction qui va être reconduite chaque jour si vous ne vous conformez pas aux exigences de l’Union européenne », et que les efforts du PiS polonais pour « restaurer globalement le primat du politique sur le gouvernement des juges » avaient suscité une « très sévère sanction ». En revanche, faisait remarquer le chroniqueur, les « purges politiques » et la « politique assez autoritaire » qui ont cours aujourd’hui en Pologne ne font pas « l’actualité de l’Union européenne ou des grands journaux qui s’inquiètent pourtant des persécutions politiques dans nos pays ».
Prise de contrôle du parquet
Les médias français ont effectivement parlé de la prise de contrôle spectaculaire, en recourant à des agences de sécurité privée, des médias publics juste avant Noël par ce troisième gouvernement Tusk, qui a pris ses fonctions le 13 décembre. Ils ont été peu nombreux en revanche à parler de la manière dont le ministre de la Justice, Adam Bodnar, ex-défenseur des droits mais surtout ex-activiste de gauche, a pris le contrôle du parquet en piétinant la loi en vigueur : après avoir remplacé le procureur national sans demander son avis au président Andrzej Duda, ce qu’il aurait dû faire, il remplace progressivement les procureurs des niveaux inférieurs. Même chose dans les tribunaux où il remplace les présidents et vice-présidents sans l’aval requis du Conseil national de la magistrature et en passant outre aux verdicts du Tribunal constitutionnel.
Dernière action spectaculaire en date : le 3 juillet, les procureurs de Bodnar, accompagnés de la police, ont fait une descente dans les locaux du Conseil national de la magistrature polonais, le KRS, et en ont extirpé par la force des dossiers concernant des procédures disciplinaires conduites contre des juges proches du pouvoir actuel. De même, le président de la cour d’appel de Varsovie, destitué en février par le ministre de la Justice, sans le feu vert requis par la loi du collège des juges de son tribunal, vient-il de faire l’objet d’une perquisition, en violation de son immunité de juge.
Une justice engagée à gauche
L’actuelle coalition, depuis les réformes de la justice votées par la majorité PiS en 2017, conteste la légitimité de ce KRS qu’ils appellent “néo-KRS”, de même qu’ils qualifient de “néojuges” tous les juges nommés ou promus pendant les huit ans de gouvernement de la droite conservatrice (environ 2 500 juges, soit environ un tiers des juges en place). Ils sont soutenus en cela par une partie des anciens juges, et notamment ceux appartenant à l’association Iustitia, qui, par son engagement politique à gauche (un engagement pourtant clairement prohibé par la Constitution polonaise), ressemble beaucoup au Syndicat de la magistrature français. Certains de ces juges vont même jusqu’à invalider en appel les jugements délivrés par des “néojuges” pour la simple raison que ceux-ci ont été nommés par le président Duda après les réformes du PiS, comme dans le cas récent d’un homme qui avait été condamné à vingt-cinq ans de prison pour l’assassinat de sa mère.
Des méthodes brutales utilisées par l’ancien régime communiste
Autre actualité choquante, la situation du père Olszewski, président de l’organisation Profeto, maintenu en prison depuis plusieurs mois pour avoir bénéficié, sous les gouvernements du PiS, d’une subvention publique pour la construction d’un centre d’accueil pour les victimes de violences. Le bâtiment a bien été construit, mais le nouveau pouvoir accuse ce prêtre d’avoir mal rédigé les statuts de son association, ce qui ne lui donnerait pas le droit de demander des aides publiques. La description des conditions humiliantes de son arrestation et des premiers jours de détention faite par lui-même et par son avocat, qui a été longtemps privé d’accès à son client, ressemble aux méthodes brutales utilisées par l’ancien régime communiste pour “briser” les prêtres catholiques. Des avocats de notre Institut Ordo Iuris ont également reçu des témoignages informels de dirigeants d’ONG qui ont eu à subir des fouilles de leur domicile par les forces de l’ordre à 6 heures du matin, en présence de leurs enfants terrorisés dont les téléphones portables et les ordinateurs ont eux aussi été confisqués. Ces personnes se disent pour le moment trop effrayées des conséquences pour témoigner publiquement et demander notre aide juridique, mais nous nous tenons prêts. Leur tort ? Les organisations qu’elles dirigent avaient elles aussi demandé et obtenu des aides publiques de l’ancien gouvernement du PiS.
En janvier, le gouvernement de Tusk avait publié une liste d’organisations ayant bénéficié de subventions qu’il fallait contrôler. Le point commun de ces entités mises sur cette liste noire était d’avoir toutes un profil conservateur et/ou catholique.
À partir du moment où le gouvernement contrôle étroitement le parquet et aussi de plus en plus les tribunaux, ainsi que les médias, il peut tout se permettre. Pour les médias, Donald Tusk et ses amis n’avaient sans doute pas prévu l’explosion de la popularité d’une chaîne d’information d’opposition, TV Republika, à la faveur du retournement complet des chaînes publiques. Qu’à cela ne tienne : les journalistes de TV Republika ne sont plus admis aux conférences de presse du Premier ministre, ce qui, ainsi que l’a fait remarquer cette semaine le président de l’autorité des médias, est également une violation de la loi en vigueur en Pologne.
La Commission avait débloqué les premiers milliards quelques jours seulement après la prise de fonctions du nouveau gouvernement de Donald Tusk.
Début mai, la présidente de la Commission européenne annonçait la fin de la procédure de sanction de l’article 7, en assurant qu’un nouveau chapitre s’ouvrait pour la Pologne. La Commission expliquait que cette décision avait été prise sur la base du plan d’action présenté en février par le gouvernement Tusk au Conseil de l’Union européenne et à la Commission. Nous avons, dans le cadre de l’accès aux informations publiques, obtenu en juin que nous soit remis ce plan d’action. Il s’agit de deux pages de déclarations d’intention, sans quasiment aucune mesure concrète prise à ce jour. Et pour cause : le président polonais dispose d’un droit de veto, et la coalition gaucho-libérale de Donald Tusk (qui ressemble un peu, sans la composante antisémite et islamo-gauchiste, à l’alliance du Nouveau Front populaire et du camp présidentiel à l’approche du second tour des élections législatives en France) n’a pas la majorité des deux cinquièmes requise à la Diète pour renverser ce veto. Tusk a donc visiblement décidé de ne pas s’embarrasser de procédures législatives pour mener ses « réformes ».
Tant que la droite conservatrice et (modérément) souverainiste était au pouvoir en Pologne, il n’était pas question pour la Commission de se contenter de déclarations d’intention. De même que, dans le cas de la Hongrie, qui est désormais le seul pays sous le coup d’une procédure de sanction sous le régime de l’article 7 du Traité sur l’Union européenne, elle continue de maintenir des milliards d’euros bloqués pour raisons idéologiques, et notamment du fait de son opposition à la loi hongroise sur la protection des mineurs, qui interdit toute propagande du lobby LGBT dans les écoles et dans les émissions de télévision destinées aux mineurs. Pour la Pologne, la Commission avait débloqué les premiers milliards quelques jours seulement après la prise de fonctions du nouveau gouvernement de Donald Tusk.
Un ancien premier ministre de gauche devenu eurodéputé, Leszek Miller, avait alors ouvertement reconnu à la télévision que les fonctionnaires de la Commission reconnaissaient ouvertement que le blocage des fonds pour la Pologne avait eu pour but d’entraîner un changement de gouvernement à Varsovie.
Le concept de “justice de la période transitoire”
En Pologne, Věra Jourová, la vice-présidente de la Commission européenne en charge des Valeurs et de la Transparence, voit aujourd’hui « une volonté claire de corriger les choses et de réparer le système judiciaire et le parquet ». En réalité, ce que fait le gouvernement de Donald Tusk avec le soutien de la Commission européenne, en le revendiquant même ouvertement, c’est d’appliquer à un pays démocratique la “justice de la période transitoire”. Ce concept était jusqu’ici mis en œuvre après l’élection d’un gouvernement démocratique dans des pays auparavant sous la coupe d’un régime dictatorial. Il part du principe qu’on ne peut pas (ré)introduire la démocratie et l’État de droit dans un tel pays en respectant les lois instaurées par le régime précédent, et qu’il faut donc, pendant une période transitoire, faire fi de l’État de droit. Après avoir accusé pendant huit ans le PiS de ne pas respecter l’État de droit, la gauche et les libéraux en Pologne et à Bruxelles s’estiment aujourd’hui habilités à violer l’État de droit en faisant des choses que le PiS ne s’était jamais permis de faire et qui rappellent en réalité l’époque communiste par bien des égards.
Un avertissement pour tous les conservateurs européens
C’est une situation à observer attentivement, car il semble bien, en matière de recours au concept de “justice de la période transitoire” pour exclure définitivement la “droite populiste” du pouvoir, que la Pologne soit aujourd’hui traitée comme un champ d’expérimentation par la classe dirigeante en place dans d’autres capitales européennes. À la conférence CPAC (Conservative Political Action Conference) qui s’est tenue à Budapest cette année, l’avocat Jerzy Kwaśniewski, président de l’Institut Ordo Iuris, répondait au « ce jour marque un nouveau chapitre pour la Pologne » d’Ursula von der Leyen par les mots : « Ce jour marque un avertissement final pour tous les conservateurs au sein de l’Union européenne. » La violence de la campagne du second tour des législatives en France et les alliances contre nature qui s’y sont formées entre le centre libéral et une extrême gauche étatiste, antisémite et antidémocratique viennent confirmer le bien-fondé de cet avertissement.
Olivier Bault appartient à l’Institut Ordo Iuris, une ONG polonaise d’avocats et juristes.
L’article La grave dérive autoritaire de la gauche libérale pro-Union européenne en Pologne… avec l’aval de Bruxelles est apparu en premier sur Valeurs actuelles.
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