« Le ‘wokisme’ est un ethnocentrisme blanc », déplore Jean-Loup Bonnamy

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Depuis des décennies, notre Occident est en recul, empli de doutes, supplanté par des pays plus puissants, plus affirmés. « La désoccidentalisation du monde suscite une angoisse qui, dans le cas français, investit prioritairement la thématique identitaire », observe Jean-Loup Bonnamy. Le normalien, agrégé et docteur en philosophie, montre dans un essai facile à lire et précis comment notre perte de sens combinée à la montée du “wokisme” entretient paradoxalement un colonialisme que l’on dénonce. Fragilisés par une crise de la représentation et une décivilisation galopantes, nous finissons par devenir notre principal ennemi. Le jeune intellectuel nous enjoint d’œuvrer pour préserver toutes les identités, y compris la nôtre.


Valeurs actuelles. Vous faites le constat que l’Occident est déboussolé. Qu’est-ce qui lui a fait perdre le cap ?
Jean-Loup Bonnamy. Un ensemble de facteurs en est responsable. Le premier est le recul des croyances religieuses chrétiennes, catholiques ou protestantes, qui avaient véritablement été la matrice de l’Occident. Et, plus largement, la crise de toute forme de sacré, qu’il soit religieux ou profane. Un autre facteur provient d’un élément en soi très positif : l’extraordinaire niveau de développement matériel et de confort économique que nous avons atteint. Malheureusement, aussi appréciable soit-il, il nous a fait perdre de vue le tragique de l’histoire, alors que c’est un tragique qui n’a pas disparu du reste du monde, d’une part, et qui, d’autre part, peut toujours nous rattraper à n’importe quel moment. Or, nous n’y sommes plus préparés matériellement, intellectuellement et spirituellement. L’un des enjeux de notre temps serait de savoir conserver ce niveau de confort sans pour autant perdre nos défenses. Un troisième facteur est la “désoccidentalisation” de la planète : l’Occident est de moins en moins le centre du monde, ce qu’il supporte très mal. Sa domination est en plein recul et cela le déboussole complètement.

Qu’est-ce que ce recul des croyances religieuses et du sacré a engendré ? En quoi est-ce un facteur important ?
Le sacré est quelque chose qui donnait du sens à la vie humaine et qui poussait l’individu à se dépasser. Privé de celui-ci, l’individu occidental se retrouve nu, angoissé et dépossédé de toute raison de vivre et de se dépasser. Il lui manque un surmoi qui le pousserait à l’action. Notre perte du sacré donne l’impression aux autres civilisations, y compris aux immigrés sur notre sol qui sont issus de ces autres civilisations, que nous sommes décadents et que nous avons perdu tous nos repères. D’ailleurs, cela empêche l’assimilation : personne ne veut s’assimiler à une culture qui renie ses propres valeurs.

Cette perte des croyances religieuses, vous le montrez dans votre livre, est remplacée pour certains par le “wokisme”…
Le “wokisme” américain reprend tous les thèmes du protestantisme puritain américain. Il a les mêmes obsessions, à savoir la race et le sexe. Il a aussi le même idéal de ségrégation et de séparation. C’est ce qu’on voit dans les réunions non-mixtes, par exemple. Il s’agit juste, en réalité, du modèle ségrégationniste classique américain. Sauf que, cette fois, au lieu de s’affirmer explicitement comme raciste, il se présente sous les oripeaux de l’antiracisme. Enfin, le “wokisme” hérite des éléments qui furent au cœur du protestantisme : la culpabilité, la faute, le péché. Sauf que chez les protestants, on pouvait se libérer du péché par le Christ. Or, aujourd’hui, on garde la matrice mentale du protestantisme dans le “wokisme” et son obsession pour le péché, mais sans Dieu pour nous sauver. Sans rédemption, il ne reste plus que l’idée de la faute et la culpabilité : le racisme systémique et la culpabilité blanche.

Vous faites un parallèle entre américanisation et “wokisation”. Pourquoi ?
Le “wokisme” est un phénomène typiquement américain, lié à la psychologie et à l’imaginaire de ce pays. Tout comme les fast-foods sont liés au mode de vie américain. Mais on constate que tout ce qui se développe aux États-Unis se répercute ailleurs en Occident, justement par le biais de la mondialisation et de l’américanisation. Tout le monde copie les États-Unis. Les rappeurs français imitent les rappeurs américains. Les féministes reprennent toutes les thématiques du féminisme américain, comme l’image de la sorcière… Plus notre culture régresse, plus nous nous américanisons. Avec cette américanisation s’exporte le “wokisme”.

Il faut se préoccuper de toutes les vies noires et non pas d’une minorité qui correspond au prisme que l’on s’est choisi.

En quoi le mouvement Black Lives Matter est-il l’expression d’un ethnocentrisme ?
Je reconnais tout à fait la réalité des discriminations dont les Noirs sont l’objet aux États-Unis. Le ghetto noir y est infiniment plus difficile que la plus délabrée des banlieues françaises. Il y a un vrai racisme anti-Noirs aux États-Unis, ce qui n’est pas du tout le cas en France. Or, on tend à interpréter ce qui se passe dans l’Hexagone sur le modèle de ce qui se passe là-bas, alors que ce sont des situations qui ne sont pas comparables. C’est une grave erreur. Mais en se focalisant sur le policier qui a tué George Floyd, le mouvement Black Lives Matter (BLM) occulte le fait que 93 % des Noirs sont tués par d’autres Noirs dans le pays de l’Oncle Sam ! (Et une bonne part des 7 % restant le sont par des Latinos dans le cadre de trafics de drogue. ) Cette réalité n’est pas du tout prise en compte, au contraire. Ce mouvement a amené certaines villes américaines à baisser les financements alloués aux forces de police. Cela a abouti à une augmentation du nombre de Noirs victimes d’homicides. Si les vies noires importent, alors il faut se préoccuper de toutes les vies noires et non pas d’une minorité qui correspond au prisme que l’on s’est choisi.
Le mouvement BLM fait de l’homme blanc le coupable de tout. Des violences policières à l’esclavage, alors que si l’esclavage occidental est révolu depuis un siècle et demi, il reste, par exemple, actuellement 300 000 esclaves noirs au Mali… C’est un ethno centrisme blanc : les wokistes attribuent à l’homme blanc tous les maux, mais cela reste une façon de le laisser au centre du jeu. Ils ne s’intéressent pas aux Noirs dans leur globalité, ils ne s’intéressent qu’à leurs propres remords.

Ce constat fait écho à votre observation : « Sous couvert d’antiracisme, on renoue avec les pires clichés du colonialisme et du racisme. » Pouvez-vous l’expliquer ?
Dans cette vision ethnocentrique qui fait du Blanc l’acteur central et même unique de l’histoire, on enferme les autres peuples dans un statut d’éternel mineur, d’éternelle victime. On les prive ainsi de toute autonomie. Aux États-Unis, par exemple, on a accusé les mathématiques d’être racistes car les Noirs y réussissaient moins bien. On a donc voulu faire un manuel de mathématiques réservé aux Noirs, dans lequel on a renoncé à toute exigence de précision, de rigueur et de raisonnement. Sous couvert d’antiracisme, on renoue avec l’idée totalement raciste que les Noirs seraient déficients int ellectuellement par nature. C’est un nivellement par le bas général, où à la fois on détruit notre propre culture occidentale et où on enferme les autres, en l’occurrence ici les Noirs, dans l’image la plus caricaturale et la plus raciste qui soit.

Dans cette même optique, vous affirmez que l’immigration n’est pas le fruit de la repentance mais est « le stade ultime du colonialisme »
La France a bâti un empire colonial qu’elle a ensuite perdu. Finalement, elle a reconstitué le colonialisme sur son propre sol via l’immigration. Il faut se rappeler que le projet colonial a toujours été celui des élites, mais n’a jamais celui des masses françaises. C’est la même chose aujourd’hui avec l’immigration : 75 % des Français sont hostiles à l’immigration et pourtant, la classe politique, le patronat, les médias et certains intellectuels la soutiennent en majorité. Il est également frappant de noter comment certains pans du patronat, comme le bâtiment, la restauration ou encore la livraison de plats à domicile, réclament à cor et à cri plus d’immigrés. Cela fait penser aux colons qui exploitaient les colonisés et “faisaient suer le burnous”. Les livreurs à vélo sont, à mes yeux, de véritables esclaves des temps modernes.

De quelle façon estimez-vous qu’Éric Zemmour se fourvoie sur cet épineux sujet ?
Il faut d’abord saluer la lucidité et le courage d’Éric Zemmour, qui pointe du doigt les problèmes réels liés à l’immigration, à l’insécurité et à l’islamisme en France. Quand on entre dans le détail de ses propositions, je pense, toutefois, qu’il sous-estime le rôle de certaines fractions du patronat français. Il oublie que le patronat favorise l’immigration non seulement pour avoir des travailleurs à bas coût à exploiter, mais aussi pour avoir des consommateurs. C’est bien cela que la France recherche aujourd’hui dans l’immigration. Notre pays est une économie désindustrialisée qui repose essentiellement sur la consommation. En l’absence de croissance démographique, le seul moyen d’augmenter la masse de consommateurs repose sur l’immigration.
Se rajoute à cela une erreur de lecture au sujet de l’assimilation. L’intellectuel dit, à juste titre, qu’on a abandonné les politiques d’assimilation, mais il ne voit pas que les immigrés ne peuvent pas s’assimiler à un pays qu’ils considèrent comme décadent. Il nous faut d’abord agir sur notre propre décadence avant de chercher à assimiler les autres. Il faut que le modèle civilisationnel que l’on propose soit attractif.
Sa troisième erreur est de se lancer dans une croisade contre l’islam de manière générale, qu’il confond avec l’islamisme. Il fait ainsi de tout musulman un islamiste par définition et même le condamne à être islamiste. Or, si on pose l’équation “islam égale islamisme”, on se prive de toute possibilité d’assimilation des musulmans ou de coopération avec des pays musulmans.

Les problèmes de l’immigration, du multiculturalisme, du terrorisme ne sont que des maladies opportunistes qui viennent se greffer sur notre propre déclin.

Notre monde est plein d’affrontements. Pourtant, vous critiquez l’idée de choc des civilisations. Pourquoi ? En quoi est-ce une « hérésie stratégique » ?
Je ne nie pas du tout l’idée qu’il y ait localement des chocs entre civilisations différentes. Quand il y a un attentat islamiste en Europe, c’est bien une manifestation locale d’un choc entre deux civilisations. Mais cela ne peut consister en une explication globale. Je pense, en effet, que l’Occident est victime avant tout d’une maladie interne et endogène. Les problèmes de l’immigration, du multiculturalisme, du terrorisme ne sont que des maladies opportunistes qui viennent se greffer sur notre propre déclin. Comme le disait Patrick Buisson, ce n’est pas à cause des musulmans que les églises sont vides aujourd’hui en Occident.
Il faut donc, avant tout, régler notre crise civilisationnelle. Elle est manifeste quand notre président déclare qu’il n’y a pas de culture française, quand, en juin 2023, trente-neuf menhirs vieux de plus de sept mille ans étaient détruits dans l’indifférence générale en Bretagne pour construire un magasin de bricolage ou encore quand la ville de Nantes déclare que Noël est une fête multiculturelle sans caractère chrétien. La grille de lecture du choc des civilisations impute un peu trop la responsabilité aux autres à mon goût, alors que beaucoup de nos difficultés proviennent de notre propre crise interne.
Ensuite, s’il peut, bien sûr, y avoir des chocs entre civilisations différentes, le concept de choc des civilisations pousse à considérer les autres civilisations comme des espaces homogènes, unis, alors qu’elles sont profondément divisées en elles-mêmes. Il y a ainsi surtout des chocs intracivilisationnels, entre voisins. La Chine et le Viêtnam appartiennent à un même espace civilisationnel, pourtant, ils se détestent, et le Viêtnam, malgré le traumatisme de la guerre, est prêt à faire une alliance avec les États-Unis contre la Chine. Nombre d’Africains noirs appartenant au même espace civilisationnel se massacrent entre eux. Mais avec l’idée de choc, on considère les autres civilisations comme des blocs, notamment la civilisation musulmane, là où l’on devrait percevoir des divisions internes et en profiter pour les exploiter à notre avantage, en nouant des alliances avec certains contre d’autres. En ce sens, le choc des civilisations est une hérésie stratégique.

Comment reprendre pied ?
Il faut d’abord contrôler les flux migratoires et arrêter ou réduire très fortement l’immigration. On ne peut pas mener de politique tant que l’on a un flux permanent d’immigrés. Il nous faut aussi valoriser notre propre identité, notre propre culture et notre propre histoire. On ne peut pas demander à des enfants d’immigrés de s’assimiler et de connaître l’histoire de France si les jeunes Français de souche blancs ne la connaissent pas eux-mêmes. Il nous faut, enfin, accepter l’idée que nous ne sommes ni meilleurs ni pires que les autres et accepter certaines politiques que d’autres utilisent. Par exemple, beaucoup de pays non occidentaux, comme la Turquie ou la Tunisie, pratiquent la préférence nationale. Rappeler cela permet de désamorcer l’idée qu’une telle politique serait raciste. De même, de nombreux pays musulmans interdisent le port de la burqa. L’interdire n’est donc pas “islamophobe” : les islamistes jouent sur notre ignorance du monde extérieur pour nous culpabiliser et nous désarmer.


L’Occident déboussolé, de Jean-Loup Bonnamy, Éditions de l’Observatoire, 240 pages, 21 €.

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