Interview dans l’Humanité : « Emmanuel Macron cherche à diviser pour mieux régner », analyse Guillaume Bernard

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Valeurs actuelles. Emmanuel Macron a choisi l’Humanité pour rejeter le RN et Reconquête hors de « l’arc républicain ». Comment analyser ce choix ?
Guillaume Bernard. À moins qu’il soit très ignorant en histoire ce qui n’est sans doute pas le cas, c’est à l’évidence une provocation politique délibérée. Car Emmanuel Macron sait évidemment que le Parti communiste (qui avait approuvé les pactes germano-soviétiques) a été dissout par le gouvernement radical-socialiste d’Édouard Daladier, que Maurice Thorez a été condamné pour désertion et déchu de sa nationalité française et que si L’Humanité n’est pas reparue officiellement sous l’occupation allemande, alors que des démarches avaient été engagées et étaient sur le point d’aboutir, c’est à cause de l’opération Barbarossa. Dénoncer le RN et Reconquête comme non-républicains dans un organe de propagande du communisme, l’une des idéologies totalitaires les plus criminelles de toute l’histoire de l’humanité, c’est doubler l’insulte d’une morgue méprisante et condescendante. Et puis, même si le PC ne pèse plus guère, brosser les communistes dans le sens du poil tout en dénonçant l’attitude de certains membres de LFI contribue à attiser la division de la NUPES, à affaiblir l’opposition de gauche et à tenter d’élargir, du moins pour un second tour, son espace politique.

Après Elisabeth Borne, c’est désormais Gabriel Attal qu’il désavoue sur ce sujet. Acte d’autorité ?
Le dualisme à la tête de l’exécutif, le président de la République et le Premier ministre, n’a jamais été sous la Ve République une diarchie. Le chef de l’État est le véritable chef de l’exécutif tandis que la chef du gouvernement lui est, sauf période de cohabitation, entièrement subordonné. Ce rapport de force a été renforcé avec le quinquennat. En outre, comme depuis la révision constitutionnelle de juillet 2008, un président de la République ne peut être élu de manière consécutive que deux fois, il est très possible qu’Emmanuel Macron ne souhaite pas que sa succession s’ouvre trop tôt au cours de son second mandat. Et, ce, d’autant plus qu’il n’envisage peut-être pas de se retirer, ensuite, de la politique active. Ne pas laisser émerger une personnalité le remplaçant et l’éclipsant pourrait lui permettre de faire son retour après le mandat (complet ou éventuellement partiel) de celui qui lui succédera à l’Élysée. Un psychiatre pourrait peut-être dire que l’on est en présence d’une personnalité perverse narcissique qui aime à souffler le chaud et le froid. L’analyste de la politique se contentera d’émettre l’hypothèse qu’Emmanuel Macron cherche à diviser pour mieux régner.

Y a-t-il encore du fond dans la parole présidentielle ?
Le « en même temps » ne doit pas être sous-estimé dans son efficacité et encore moins balayé d’un revers de la main comme supposément incohérent. D’abord, comme positionnement sur le spectre politique, le macronisme consiste dans la « grande coalition » à la française (comme elle a existé en Allemagne et au Parlement européen) : elle institutionnalise la cohabitation (que la Ve République a connu à trois reprises), le rassemblement des forces politiques modérées (comme ce fut le cas sou la IVe République). Ensuite, comme contenu idéologique, le macronisme a parfaitement intégré le glissement des idéologies sur le spectre politique : la disparition du collectivisme, la réunification du libéralisme (qui dans sa version culturelle est resté à gauche tandis que son versant économique avait dérivé sur la droite). Par la combinaison de ces deux aspects, le macronisme réactualise l’orléanisme. Au regard de pensées fortes, cela peut apparaître comme creux. Mais, dans le fond, c’est une véritable idéologie fondée sur le subjectivisme et l’utilitarisme.

le macronisme a parfaitement intégré le glissement des idéologies sur le spectre politique

Qu’est-ce que cela dit de l’attitude de la majorité face au parti de Marine Le Pen ?
Dans le contexte de la progression de la défiance envers le personnel politique et de l’affaiblissement de l’adhésion des Français aux « valeurs républicaines », rejeter, en bloc, le RN et Reconquête en dehors de l’arc républicain (et, par extension, du cercle de la raison) ne leur portera aucunement préjudice électoralement parlant. Cela devrait même, à l’inverse, les légitimer dans une part non négligeable de l’opinion publique en les faisant apparaître comme des partis antisystèmes, ce qu’ils ne sont pourtant pas puisqu’ils veulent s’inscrivent dans le cadre des institutions et ne préconisent aucunement un « régimicide ». Doctrinalement, ils ont même très largement édulcoré leurs positions (dédiabolisation, abandon de la défense de la peine de mort, acceptation de la constitutionnalisation de l’avortement). Être positionné à l’extrême sur le spectre politique ne signifie pas forcément être idéologiquement extrémiste. Tout cela, Emmanuel Macron et les barons de la macronie ne peuvent l’ignorer. Dans ces conditions, d’aucuns envisagent que le président de la République joue, en fait, un coup de billard à plusieurs bandes. Puisque la victoire du RN à la présidentielle est désormais possible (elle sera plus difficile, sauf à ce qu’il réussisse à former une coalition, aux législatives), il faut peut-être préparer les esprits au blocage de son exercice du pouvoir. Car, la démocratie moderne n’est pas qu’un processus de désignation des gouvernants ; elle a un contenu idéologique : l’état de droit doit, à l’occasion, pouvoir l’emporter sur la volonté générale. Or, il existe des moyens d’étouffer dans l’œuf les velléités de réformes législatives et constitutionnelles du RN s’il n’a pas de majorité à l’Assemblée nationale et au Sénat. Par exemple, que le Conseil constitutionnel revienne sur sa jurisprudence de 1962 par laquelle il a refusé de vérifier la constitutionnalité d’une loi référendaire et permis que la constitution soit révisée sans passer par un vote en termes identiques par chacune des deux assemblées parlementaires. La position sur cette question des personnes qui seront prochainement nommées au Conseil constitutionnel devra donc être scrutée avec précision. Ainsi, contrairement aux apparences, n’y a-t-il pas de contradiction dans la position de Macron : il veut bien du RN comme force supplétive lors du vote d’une loi (ses élus font partie de la représentation nationale), mais il n’a sans doute pas l’intention de le laisser gouverner puisqu’il n’est prétendument pas républicain.

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