En trois générations, les musulmans de France sont devenus de plus en plus religieux, et les jeunes encore plus ultras. Forts d’une démographie jouant en leur faveur, ils imposent sans mal leurs règles et leurs mœurs face à un État incapable de défendre les lois de la laïcité. Le combat voltairien contre les Églises est perdu.
Le sondage réalisé par l’IFOP pour la chaîne franco-arabe elmaniya.tv auprès d’un millier de musulmans de France[1] a le mérite de quantifier une impression générale partagée par tous ceux qui travaillent au contact de cette catégorie de la population, en particulier dans les quartiers d’habitat social. Les musulmans, s’ils sont de plus en plus nombreux, et pas uniquement à cause des migrations, sont aussi de plus en plus religieux. C’est une réalité que devraient méditer tous ceux qui pensaient que le drapeau de la laïcité suffirait à empêcher l’intrusion des religions dans l’espace public et la sphère des comportements.
L’islam en France s’inscrit dans l’extension plus générale du Dar al-Islam
Les enseignants en zone urbaine, eux, n’ont pas été surpris : une majorité de leurs élèves est musulmane. Et cette religion, quand elle est majoritaire, s’impose aux autres, au moins en matière d’attitudes. Il n’est d’ailleurs pas rare qu’à la question posée de sa nationalité, l’élève réponde « je suis de nationalité musulmane ». Les élus de ces mêmes villes ne devraient pas être surpris non plus, dès lors qu’ils ont, pour de nobles raisons, laissé s’édifier, à proximité des « quartiers », des mosquées pouvant accueillir le vendredi des milliers de fidèles.
Ce que révèle l’étude, en revanche, c’est la communauté des opinions qui s’expriment pour évoquer les relations entretenues par l’islam avec les règles, explicites ou implicites, de la loi commune. À presque toutes les questions posées, les trois quarts des personnes sondées répondent de la même manière. Ainsi, malgré le caractère très fragmenté de la religion musulmane en France, une pensée commune émerge au nom de l’oumma, la communauté des musulmans. Cette pensée commune est d’autant plus forte qu’elle est cohérente. Elle considère que la religion prévaut sur le reste, quel qu’il soit, et que tout ce qui s’oppose à ses préceptes doit être prohibé. Elle admet même, dans les cas les plus extrêmes, qu’un acte violent puisse être justifié par une atteinte aux principes considérés comme sacrés.
En cela, l’islam en France s’inscrit dans un mouvement plus général, et d’une certaine façon planétaire, qui prône l’extension du Dar al-Islam à tous les pays où les musulmans sont présents. Cette guerre de conquête – ou de conviction – prend des formes très variées. En France, elle est à deux doigts d’être gagnée parce qu’elle ne trouve plus, face à elle, d’autre dogme religieux capable de la contredire. On lui oppose, à la place, un principe mal défini en droit et d’une application à géométrie variable : la laïcité. L’islam bénéficie par ailleurs d’une conjoncture particulièrement favorable, encouragée par les pouvoirs publics : celle de la démographie, en partie liée à nos modes de redistribution sociale, et celle de l’immigration, qui privilégie les ressortissants de pays musulmans (Maghreb, Turquie, Afghanistan).
Le deuxième enseignement de cette étude bat en brèche une idée répandue qui voudrait que l’élévation du niveau de culture et de richesse atténue la pratique religieuse. C’est le contraire que l’on constate. Les élites musulmanes sont plus pratiquantes et plus engagées que leurs grands-pères ouvriers de l’industrie automobile. Je ne suis pas loin de penser que le même constat pourrait être dressé chez les catholiques.
Nouvelle génération plus éduquée
L’islam est présent en France depuis trois générations. La première était ouvrière. Elle pratiquait un islam « domestique », dans une discrétion qui a pu faire croire aux observateurs peu avisés qu’un islam prétendument modéré pouvait être érigé en modèle. La seconde génération, devenue française, mais de mères souvent nées en terre d’islam, a fait sortir la religion des « caves » et des salles de prière pour l’introduire dans l’espace public. La troisième, qui s’exprime ici, est devenue militante. Elle ne vit pas l’islam comme un acquis mais comme une conquête. Elle conteste sans retenue des règles fixées par la loi.
Cette troisième génération a bénéficié de l’ascenseur social. Elle est française de parents français, mais alimente l’essentiel de l’immigration familiale en épousant des conjoints nés au Maghreb ou en Turquie. En son sein, c’est la part la plus éduquée qui revendique avec le plus de conviction son adhésion aux principes de l’islam. L’islam ne s’est pas sécularisé avec le temps. Il s’est conforté. Ses porte-parole du quotidien sont ingénieurs ou professeurs de lycée. Nous en connaissons tous.
Ces porte-parole font de la loi de 1905 une lecture différente de celle qui prévaut chez les non-croyants. Ils réclament tout à la fois l’égalité de traitement entre les religions, dans la négation d’une religion « historique », et des droits particuliers tirés des prescriptions religieuses. Toute tentative d’encadrement de la pratique est dès lors vécue comme une discrimination, en particulier chez les plus jeunes. Le monde musulman a adopté, de ce point de vue, les codes de la démocratie occidentale : il s’insurge contre ce qui lui déplaît et s’organise en groupe de pression.
Ce faisant, l’islam investit la sphère publique mais, surtout, il se heurte à d’autres pratiques, à d’autres traditions, à d’autres héritages. Il inquiète la part de la population non musulmane qui craint de subir à terme l’opprobre de la mécréance. Déjà, ses enfants mangent hallal contre leur gré, doutent des bien-fondés de la science, s’accommodent de la séparation des garçons et des filles, s’insurgent contre les œuvres représentant des femmes nues et fustigent l’homosexualité. L’islam, au quotidien, impose son droit, c’est-à-dire la distinction entre le licite et l’illicite, le hallal et le haram. L’État, face à lui, peine à dire ce qui peut être toléré et ce qui doit être proscrit.
Le combat voltairien contre les Églises est perdu. La religion n’est pas une opinion. Elle n’est pas une adhésion. Elle est d’abord une communion avec un principe supérieur qui transcende le quotidien de chacun des fidèles. La religion est, avec la Patrie, la seule cause pour laquelle on accepte de mourir. Les dirigeants de ce pays ne peuvent plus ignorer les combats qui s’engagent.
[1] « Abayas, burqa, attentat d’Arras… enquête auprès des musulmans sur la laïcité et la place des religions à l’école et dans la société », 8 décembre 2023, ifop.fr.
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