Démission de la présidente de Harvard : « C’est tout le wokisme qui s’écroule »

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Valeurs actuelles. Pourquoi Claudine Gay, présidente de l’université de Harvard, a-t-elle démissioné ce 2 janvier ?
Sylvie Pérez. Pour comprendre cette démission, il faut reprendre la chronologie des événements qui ont commencé avec les pogroms en Israël le 7 octobre. A partir de ce moment, on a vu sur les campus des universités les plus prestigieuses des Etats-Unis des étudiants qui présentaient ces atrocités comme des « actes de résistance » et qui tenaient Israël pour responsable des malheurs qui lui arrivaient. A Harvard, une trentaine d’associations étudiantes a publié un communiqué qui visait à « contextualiser » les pogroms et qui se rangeaient du côté des terroristes. S’en sont suivies des manifestations incessantes sur les campus de ces universités. Certains manifestants ont intimidé ou poursuivi des étudiants juifs. Certains ont été obligés de se retrancher dans des bibliothèques, de s’enfuir. Et tout ça sans grande réaction de la présidente de Harvard.

Cela a énormément choqué le public, au point qu’une audition a été organisée au Congrès, qui a eu lieu le 5 décembre et s’intitulait : « Tenir les dirigeants des campus responsables et lutter contre l’antisémitisme. » Ils ont interrogé les présidents d’université de Harvard, de l’Université de Pensylvanie et du MIT sur l’antisémitisme au sein de leurs établissements. On leur a demandé si appeler au génocide des juifs représentait une violation du réglement de leurs universités. Les trois présidentes d’université ont toutes, très calmement, répondu la même phrase, désormais célèbre : « Ça dépend du contexte. »

Comment ces présidentes ont-elles justifié leur refus de condamner systématiquement l’antisémitisme ?
Elles se sont retranchées derrière la liberté d’expression. Or l’éducation supérieure américaine est aujourd’hui très ambigüe sur les règles de la liberté d’expression. Les départements académiques dits “DEI” (Diversité, Égalité, Inclusion) ont instauré tout un tas de chartes qui définissent ce qu’on ne peut pas dire, ce qui représente des « propos offensants », donc une forme de censure. Il y avait une forme d’hypocrisie à faire valoir la liberté d’expression alors que tous ces responsables ont plutôt l’habitude de faire taire les opinions divergentes. La réponse des présidentes d’université est apparue comme insuffisante face aux événements (viols, massacres, etc) mais aussi hypocrite. Il faut savoir que Harvard est placé au dernier rang des 248 universités américaines en ce qui concerne la liberté d’expression. 

Comment peut-on faire croire que l’appel au génocide des juifs relève de la liberté d’expression ?
Evidemment, l’appel au meurtre et à la violence est interdit aux Etats-Unis. Seulement, il y a un flou en ce qui concerne les attitudes d’intimidation. Par exemple avec le slogan : « From the river to the sea, Palestine will be free » (De la rivière à la mer, la Palestine sera libre), qu’on a entendu à plusieurs reprises.

Y a-t-il eu d’autres facteurs qui ont joué dans la démission de Claudine Gay ?
Claudine Gay était là depuis 6 mois seulement, c’est la 30e présidente de l’université de Harvard. Elle a d’abord été accusée de plagiat. On a trouvé 50 occurrences de plagiat dans sa thèse. Ce qui n’est pas génial pour la présidente d’une des meilleures universités au monde. Ensuite on l’a accusée d’avoir mené une politique de censure à l’encontre des opinions politiques qui ne lui convenaient pas. C’est sous sa présidence que Harvard est arrivée dernière dans le classement sur la liberté d’expression. On lui reproche aussi son faible nombre de publications. Elle n’a publié que 11 articles dans des revues savantes, et aucun livre. Tout ça fait que les gens se demandent si elle n’est pas juste là par soumission à l’impératif diversitaire. C’est la première présidente noire de Harvard. Enfin, on lui reproche également d’avoir écarté des collègues noirs qui ne pensaient pas comme elle au sujet de la diversité, c’est-à-dire, ceux qui rejettent le discours selon lequel les difficultés des noirs sont toujours liées au racisme. Ce fut le cas de Roland Fryer, qui était un homme brillant, un économiste, professeur à Harvard et qu’elle a suspendu pendant deux ans parce qu’elle n’était pas d’accord avec les résultats de ses recherches. 

Parmi les personnes qui ont appelé de leurs voeux le départ de Claudine Gay figure le milliardaire Bill Ackman, également donateur de Harvard. Celui-ci a accusé l’idéologie woke d’être à l’origine de l’antisémitisme présent sur les campus. N’est-ce pas paradoxal pour une idéologie qui prône la tolérance ?
Le wokisme est une idéologie complètement manichéenne, fondée sur un récit figé et déconnecté de la réalité. C’est les oppresseurs contre les opprimés. En réalité, le wokisme est une idéologie anticapitaliste et anti-occidentale. Or comme Israël est la figure de l’Occident au Moyen-Orient, Israël est coupable. Avec ces événements, on s’est aperçu du double langage tenu par ces départements DEI. La diversité, ce n’est pas du tout la diversité d’opinion, c’est classer les gens selon leur identité, leur couleur de peau, leur sexe, leur orientation sexuelle. La seule diversité dont l’université a besoin c’est le pluralisme d’opinion. L’égalité comme ils l’entendent, ce n’est pas une égalité des chances, ni une égalité devant la loi, mais égalité de résultat, qui est en réalité utopique et on sait où ça a mené dans les pays communistes. Enfin l’inclusion, ce n’est pas accueillir tout le monde quel qu’il soit comme ils le prétendent. Au contraire, cela mène à un système où chacun est scruté. L’inclusion woke mène en réalité à l’exclusion. 

Cet antisémitisme est-il uniquement motivé par l’idéologie woke, ou est-il aussi nourri par une méconnaissance historique et géopolitique ?
Il y a à la fois un côté idéologue, ces étudiants font de l’activisme, ce sont devenus des militants, avec un cerveau donc moins souple. Mais également, oui, une méconnaissance de l’histoire. La preuve en est : ces gens qui scandaient « from the river to the sea » étaient parfois incapable de dire de quel fleuve il s’agissait… C’est là tout le problème avec cette idéologie. Lorsque la diversité est devenu le mot d’ordre dans les années 1980, les universités se sont progressivement transformées en bureaucraties. Les gens de l’administration sont parfois même plus nombreux que les profs et ils surveillent tout : ce qui se dit, les embauches, les évolutions de carrière et les fonds de recherche. Ils sont ultra puissants et jugent tout à l’aune des principes diversitaires, donc au détriment du savoir.

Vivek Ramaswamy, le candidat aux primaires républicaines américaines, déplore également le remplacement des intellectuels par les bureaucrates dans toutes les institutions américaines et y voit autant une cause, qu’une conséquence, du wokisme. Etes-vous du même avis ?
Je suis absolument d’accord. La bureaucratie n’a fait que croître, jusqu’à devenir obèse et omnipotente. Or ces bureaucrates s’intéressent peu au savoir et beaucoup à l’idéologie. On a même commencé à demander aux professeurs de signer des sortes de chartes diversitaires, donc de s’engager sur un credo politique. On est quand même dans une forme de soft totalitarisme. Et puis il y a des ateliers diversitaires et des diplômes diversitaires, qui sont des plus pour être engagés dans ces universités. 

Quelle est la portée de ce scandale pour le système diversitaire ?
Ce qui est en train de se passer en ce moment aux Etats-Unis est spectaculaire. Cette affaire fait beaucoup de bruit, la présidente de Harvard a mis du temps à démissionner. Mais ces gens-là sont démasqués. La supercherie diversitaire est démasquée. C’est comme des termites qui dévorent un bâtiment de l’intérieur : aujourd’hui tout s’écroule. Le décolonialisme et la diversité sont au cœur du wokisme, donc avec cette affaire c’est toute cette idéologie qui s’écroule. Les universités les plus riches et les plus prestigieuses sont mises en cause. On assiste à une révolte des mécènes. Harvard a déjà perdu un milliard de dollars de dons. On peut donc espérer que l’on va désormais vers le mieux. Des personnalités de tous bords politiques commencent à dire qu’il faut surveiller de plus près ce qui se passe dans ces universités, garantir la liberté d’expression, la liberté académique et de recherche. Peter Boghossian, un prof de philo américain de l’université de Portland, avait démissionné en 2021 en expliquant qu’il ne pouvait plus faire ce pourquoi il avait été embauché. Il expliquait déjà que le département de DEI est incompatible avec la liberté d’expression et de recherche. Maintenant, nous verrons le temps que cela prendra à changer. Il y a en jeu des postes administratifs peu qualifiés mais aux salaires très juteux. 

En finir avec le wokismede Sylvie Pérez, Editions du cerf, 368 pages, 24.50€.

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