Des débuts du Front National à la loi immigration, la consécration de la « préférence nationale » : « C’est une brèche dans le barrage de 2027 »

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Ndlr. Avec une comparaison avec la Suisse.

 

Nous sommes le 13 février 1984 ; Live or Let Die s’est tue il y a une heure pile, remplacées par les interrogatoires successifs d’Alain Duhamel, Jean-Luc Servan Schreiber et Albert Duroy. Invité de l’Heure de Vérité un an après son premier coup d’éclat électoral dans la ville de Dreux en mars 1983 et quatre mois avant la percée nationale du “Front” aux élections européennes, Jean-Marie Le Pen tient tête aux trois journalistes d’“Antenne 2”.

Devant l’audience qui lui est offerte, le président du mouvement naissant le proclame sans détour : « Voyez-vous, je suis un homme de bon sens, j’aime mieux mes filles que mes cousines, mes cousines que mes voisines, mes voisines que des inconnus et des inconnus que des ennemis. Il en va de même en politique : j’aime mieux les Français. »

La première graine avait été plantée six ans en amont, plus discrète. « Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop » : le mantra des frontistes aux élections législatives de 1978 marque encore les esprits… à tel point qu’il a éclipsé son prélude, plus concis : « Les Français d’abord. »

Il faudra attendre la première explosion électorale de la flamme pour que le slogan devienne doctrine. En 1985, un ouvrage paraît sous les plumes du Club de l’Horloge, qui résume en son titre cette « hiérarchie des dilections » si chère à Le Pen : La Préférence nationale – Réponse à l’immigration.

Le texte devient un élément structurant du programme du Front national dès l’année suivante, quand Jean-Yves Le Gallou rejoint ses rangs. Le temps a coulé, mais interrogé par Valeurs actuelles, le co-auteur de La Préférence nationale et père de la formule éponyme persiste et signe : « La distinction entre le national et l’étranger est la base même de la constitution d’une communauté, d’un pays. »

L’ancien député européen est loin d’être seul au monde. Dans nombre de pays européens et le Commonwealth, il est invoqué par intermittence, selon l’état de santé du marché du travail. Peu abusent du principe, comme l’Inde, où des emplois sont conditionnés à l’appartenance à certaines catégories socio-économiques et ethniques, et l’idée s’avère transpartisane.

La distinction entre le national et l’étranger est la base même de la constitution d’une communauté, d’un pays, maintient Jean-Yves Le Gallou, père de la doctrine.

Le 20 juin 2014, la Suisse l’embrassait officiellement face à l’immigration de masse, quitte à risquer le bras de fer avec l’Union européenne… et jusqu’à oser, le premier juillet 2018, l’évocation d’une « préférence indigène » dans les secteurs connaissant un fort taux de chômage – soit 271 métiers selon le rapport du Secrétariat d’État à l’Économie (Seco) –, au grand dam des travailleurs frontaliers. Au Danemark, les sociaux-démocrates l’ont bien compris comme Salvini en Italie : l’hospitalité a les limites du portefeuille, et la préférence nationale est la condition de l’État providence.

En France, l’universalisme chrétien a été sécularisé par la République et la question persiste depuis 40 ans : préférer les siens aux autres, n’est-ce pas là le symptôme de la xénophobie, voire du racisme ? Preuve en est, durant le match retour à l’Heure de vérité, le 27 janvier 1988 : « L’espèce humaine est une, et chaque individu qui la compose a les mêmes droits à la liberté, à l’égalité et à la fraternité, le contestez vous ? » 

« Voilà des grandes phrases creuses, des pétitions de principe, rétorque Jean-Marie Le Pen. L’on pourrait ajouter le droit au bonheur, à l’éternité ou à la résurrection sur Terre ! » Face aux antiennes révolutionnaires, bis repetita placent, avec humour s’il le faut : « Je considère tous les Français, sans distinction de race ou de religion, comme des frères dans la nation ; or je préfère ma famille à mes amis, mes amis à mes voisins, mes voisins au reste de la planète et les Terriens à ceux qui pourraient nous venir, un jour, d’au-delà des galaxies. » Sourires dans les gradins autour du plateau. Âgée d’à peine 19 ans, Marine Le Pen est là, au premier rang des spectateurs, impassible. Trois décennies passeront avant qu’elle récolte les fruits du discours de son père.

Sous Marine, la « préférence » devient « priorité »

« Faites leur manger le mot, ils avaleront la chose. » Certes, l’enseignement vient de Lénine ; ce n’est pas une raison pour que Marine s’en prive. En 2017, de la même manière que le “Front” vindicatif s’est changé en un “Rassemblement” plus conciliant, la “préférence” affective est devenue une “priorité” pragmatique, un enjeu, un engagement.

En 2022, en pleine campagne présidentielle, Marine Le Pen le promet enfin : une fois le RN au pouvoir, l’inscription de la « priorité nationale » dans la Constitution française sera soumise au référendum.

De quoi éviter les ciseaux d’Anastasie du Conseil constitutionnel. « Il y a, dans le corpus de la Constitution, tous les moyens de valider la préférence nationale… et de l’invalider, si on le veut, explique Jean-Yves Camus. Il est possible, compte tenu de la composition du Conseil constitutionnel et du fait qu’il est adossé au Conseil d’État, qu’il vide la loi de ses mesures les plus sévères – ce qu’espèrent manifestement certains. » 

A peine la loi immigration était-elle associée au programme du RN que la gauche jugea le texte « anticonstitutionnel » pour tout ou partie avec l’approbation timide d’Elisabeth Borne et de Gérald Darmanin, et qu’Emmanuel Macron menaça de saisir les Sages.

« C’est offrir à Marine le Pen la certitude de sortir de la séquence par le haut !, poursuit le directeur de l’Observatoire des radicalités politiques. Cela confortera l’idée qu’il faut changer la Constitution et retirer au Conseil constitutionnel le pouvoir d’interprétation des lois qu’il s’est lui-même arrogé. » Un discours cher à son électorat, las d’une France paralysée par le gouvernement des juges et le politiquement correct. 

Les Républicains ne sont jamais allés jusque-là, même sous la présidence de Nicolas Sarkozy, même après le “Karcher”.

Pourtant, contrairement à ce qui est dit ça et là, cette nouvelle loi ne contient pas de propositions issues du programme du RN… mais plutôt des candidats Valérie Pécresse et de François Fillon. Il faut pourtant bien le rendre à César : « Le bruit de fond qu’ont fait le Front national puis le Rassemblement national depuis maintenant un demi-siècle a rendu ce vote possible », assure Jean-Yves Camus. Pour le directeur de l’Observatoire des radicalités politiques, c’est une victoire concrète quand peu ont joint la parole à l’acte : « Les Républicains ne sont jamais allés jusque-là, même sous la présidence de Nicolas Sarkozy, même après le “Karcher”. »

Pas question de laisser passer ce cadeau des Chambres. Après avoir célébré le vote, Marine Le Pen promet d’agir : « Plus personne ne pourra nous reprocher de défendre la priorité nationale, pas même le président de la République, puisque son principe est aujourd’hui validé dans cette loi. Nous aurons l’occasion de faire beaucoup plus et bien plus efficace lorsque nous arriverons au pouvoir. »

Il le faudra bien. Face à la bombe démographique africaine mêlée au fléau de la corruption de ses élites, l’allongement de la durée d’obtention d’une allocation ne fera que peu de différence. « C’est un pied dans la porte, tempère Jean-Yves Le Gallou. Le texte présente aussi des effets pervers sur les régularisations… Mais c’est une brèche dans le barrage de 2027. » 

De quoi voler la vedette à la macronie. « Il n’y a pas de préférence nationale dans ce texte », martèle Bruno Le Maire : la majorité a beau tenter de départir sa loi du mot, l’entêtement des Le Pen a fait de la priorité nationale un sparadrap du Capitaine Haddock. Le succès du vote s’est changé en une « victoire idéologique » autoproclamée, appuyée par  la large majorité des sondés d’une étude CSA réalisée pour CNews, Europe 1 et le JDD ce mercredi 20 décembre. Ironie du sort, 12 années de lente dédiabolisation ont mené l’opinion à préférer l’original : en matière d’attribution des emplois, des logements et d’allocations sociales ou familiales, 71 % des Français se disent favorables… à la « préférence » nationale.

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