Espagne : Pedro Sanchez liquide l’État de droit

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« L’amnistie serait inconstitutionnelle, et ce faisant illégale », Pedro Sanchez, président du gouvernement espagnol, 21 juillet 2023 (deux jours avant les élections législatives).

« Contrairement à l’amnistie, qui est clairement inconstitutionnelle, la grâce n’efface pas l’existence du crime commis », Juan Carlos Campo, ministre de la Justice, juin 2021.

« L’amnistie n’est pas reconnue par notre ordre juridique. Toutes les revendications formalisées doivent être compatibles avec la Constitution et la loi », Fernando Grande Marlaska, ministre de l’Intérieur, novembre 2019.

 

Le 16 novembre 2023, le Congrès des députés a investi Pedro Sanchez pour un mandat de quatre années supplémentaires, malgré la défaite socialiste aux élections du 23 juillet. Afin d’attirer les 7 voix des nationalistes catalans de Junts per Catalunya qui lui manquaient pour atteindre la majorité absolue, le socialiste a dû consentir à amnistier les participants aux tentatives de sédition en Catalogne.

 

Un accord qui liquide l’État de droit

Le 9 novembre, l’émissaire socialiste chargé des négociations à Bruxelles avec Carles Puigdemont annonçait que les socialistes et Junts per Catalunya étaient parvenus à un accord scellant l’investiture de Pedro Sanchez.

Cet accord s’est révélé pire que pressenti. Tout d’abord, les condamnés pour des crimes et délits commis au nom de l’indépendantisme catalan entre 2012 et 2023 seront amnistiés. Cela affecterait ainsi près de 400 personnes coupables de crimes et délits variés : sédition, détournement de fonds publics, usurpation de fonctions, etc. Auparavant reconnue comme illégale et inconstitutionnelle par les socialistes, l’amnistie balaie d’un revers de main l’État de droit, brise l’égalité des citoyens face à la justice, met fin au caractère impératif de la loi et désavoue l’action de la justice espagnole.

Les socialistes ont également consenti aux régionalistes catalans l’effacement de 20 % de la dette de la Communauté autonome de Catalogne : 15 000 millions d’euros seront payés par le reste des Communautés autonomes pour financer la désastreuse gestion fiscale des nationalistes.

L’accord prévoit également la supervision du dialogue avec la formation de Carles Puigdemont par un « vérificateur international », qui surveillera la bonne tenue des engagements socialistes. Ainsi, les négociations politiques centrales pour le futur de l’Espagne se dérouleront en dehors du Parlement espagnol, siège de la souveraineté nationale, au profit de réunions informelles en Suisse. Il y a une semaine, on a appris que ce « vérificateur international » serait Francisco Galindo Vélez. Ce responsable politique de la gauche salvadorienne est actuellement en fuite après avoir été condamné à 14 ans de prison par la justice de son pays pour avoir mené des négociations politiques avec les maras, gangs armés coupables de plus de 5000 assassinats en Amérique centrale.

C’est la Fondation Henry Dunant, grassement financée par l’Open Society de Georges Soros, qui a désigné ce médiateur. Cette association était déjà intervenue dans le cadre des négociations entre le Gouvernement socialiste et l’ETA durant les années 2000, qui avaient abouti à la réhabilitation politique de l’organisation terroriste marxiste.

 

L’indépendance de la justice dans le viseur

Désavouée par l’amnistie, la justice espagnole est également attaquée frontalement par l’accord.

En effet, le texte prévoit la création de commissions parlementaires qui permettront d’enquêter sur un prétendu lawfare des juges espagnols. Répandue par la gauche latino-américaine afin de décrédibiliser les juges ayant mis en examen ou jugé des responsables politiques corrompus (Cristina Kirchner, Rafael Correa, Lula da Silva ou encore Dilma Roussef), l’invocation du lawfare permet d’accuser les juges d’exercer leurs fonctions selon des intérêts politiques. En permettant aux nationalistes d’enquêter sur un lawfare en Espagne, les socialistes acceptent la criminalisation de juges indépendants et confirment leur mépris à l’égard de la séparation des pouvoirs.

De telles commissions d’enquête existent déjà au sein du Parlement autonomique catalan, permettant aux élus régionaux d’intimider les magistrats espagnols. Dans le cadre de l’une d’entre elles, la présidence du Parlement catalan a enjoint à deux reprises Pablo Lucas, magistrat du Tribunal suprême espagnol en charge de l’instruction de l’affaire d’espionnage Pegasus, à s’y présenter pour révéler des informations secrètes. Après avoir logiquement refusé l’invitation, le magistrat a été menacé de poursuites pénales pour désobéissance par la vice-présidente du Parlement catalan.

Ces méthodes communisantes de criminalisation de la justice ont été également adoptées par les socialistes.

Le 5 décembre, lors d’une conférence de presse, la porte-parole du gouvernement a ouvertement critiqué l’annulation par le Tribunal suprême de la nomination à la présidence du Conseil d’État d’une apparatchik socialiste, Madgalena Valerio, car celle-ci ne possédait pas l’expérience juridique requise pour occuper ce poste.

Un autre symbole du mépris des socialistes pour l’indépendance de la justice transparait dans le portefeuille ministériel du bras droit de Pedro Sanchez au gouvernement, Félix Bolaños, qui verrait Montesquieu se retourner dans sa tombe : ministre de la Présidence (exécutif), de la Justice (judiciaire) et des Relations avec le Parlement (législatif).

 

La guerre civile comme objectif ? 

En plus d’être manifestement illégal, l’accord parachève la stratégie guerre-civiliste adoptée par la gauche espagnole depuis l’arrivée à la présidence du gouvernement du socialiste José-Luis Rodriguez Zapatero (2004-2011).

En 2003, une coalition de gauche, rassemblant le Parti socialiste catalan (PSC), Esquerra Republicana de Catalunya (ERC, gauche ethno-régionaliste) et un parti écologiste, s’est formée afin de rompre l’hégémonie de la droite nationaliste catalane sur le gouvernement régional catalan. Cet accord, appelé le Pacte du Tinell, prévoyait le transfert des compétences sur la justice et œuvrait pour l’élimination politique du Parti populaire puisque les trois formations s’engageaient formellement à ne plus former de coalition avec le Parti populaire , en Catalogne comme à l’échelle nationale.

Dans la continuité de cet accord, un long travail de diabolisation de la droite espagnole a été engagé par le Parti socialiste espagnol. En vingt ans, deux lois mémorielles ont été approuvées afin de censurer les travaux d’historiens contraires au récit gauchiste entourant la guerre civile espagnole. Bien évidemment, les débats autour de ces deux projets de loi furent l’occasion de réduire le Parti populaire, qui s’y était légitimement opposé, à une formation héritière du franquisme.

José-Luis Rodriguez Zapatero ouvrit également des négociations entre l’ETA et le gouvernement, alors même que l’efficacité de la répression policière et judiciaire des précédents gouvernements du Parti populaire augurait une reddition de l’organisation terroriste. Le rejet de cette méthode par le Parti populaire fut encore l’occasion de dépeindre la droite comme une formation belliqueuse, préférant le conflit entre Espagnols à la prétendue recherche du consensus et du dialogue incarné par le PSOE.

Enfin, un coup majeur fut porté à partir de 2010, date à laquelle le Tribunal constitutionnel espagnol déclara inconstitutionnel le statut d’autonomie catalan. Promis par les socialistes aux nationalistes catalans dans le cadre du Pacte du Tinell, le texte fut censuré à la suite d’un recours du Parti populaire . Bien que manifestement inconstitutionnel, il fut l’occasion de présenter le Parti populaire en initiateur du conflit en Catalogne.

Le contenu de l’accord et l’exposé des motifs de la loi d’amnistie reprennent dans leur intégralité ce récit fictif, savamment construit par les socialistes, et répété à l’unisson par les nationalistes afin d’isoler politiquement la droite espagnole. Durant son débat d’investiture, Pedro Sanchez s’est engagé à « lever un mur » afin d’isoler le Parti populaire et Vox, deux formations représentant pourtant plus de 11 millions de voix, soit près de la moitié des électeurs.

En scellant une alliance manifestement illégale avec les séparatistes, les socialistes placent une fois de plus leurs intérêts personnels par-dessus la Constitution, affichant au grand jour la rentabilité politique du ressentiment guerre-civiliste. Les électeurs socialistes devront trancher : ratifieront-ils l’échiquier fratricide aménagé par le PSOE ? La loi d’amnistie sera-t-elle la couleuvre de trop à avaler ? Les résultats des élections européennes de juin prochain seront scrutés avec attention.

 

La complicité de la Commission européenne

La loi d’amnistie a été mise à l’honneur lors d’un débat en séance plénière du Parlement européen sur l’état de droit en Espagne, convoqué fin novembre par le Parti Populaire européen (PPE). L’intervention de Didier Reynders, commissaire de Justice, était très attendue par les constitutionnalistes espagnols.

En effet, l’article 2 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose que l’Union européenne est fondée sur les valeurs de l’État de droit. Dans une interview donnée au journal Le Monde le 30 septembre 2020, Didier Reynders avait insisté sur l’importance du respect de l’État de droit dans l’Union européenne :

« Il faut bien comprendre que, si on abaisse l’État de droit en Europe, on met en danger la construction européenne, dont le ciment est la confiance entre les États membres, les citoyens ou encore les acteurs économiques ».

Depuis quelques années, la Pologne et la Hongrie sont régulièrement rappelées à l’ordre pour leurs réformes de la justice. En effet, la Commission européenne a lancé à leur encontre, sur le fondement de l’article 7 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, une procédure visant à sanctionner les États-membres coupables d’entorses aux valeurs de l’Union européenne (article 2 du Traité). À titre de sanction pour leurs réformes contraires à l’état de droit, la Commission a ainsi suspendu la délivrance des fonds européens NextGenerationEu aux deux États du groupe de Visegrad.

Mais lors du débat en plénière, Didier Reynders s’est montré moins féroce qu’à l’égard de la Hongrie et de la Pologne : la Commission étudiera la question, notamment dans le cadre des rapports annuels établis par la Commission sur l’état de droit dans l’Union européenne. Aucune menace de sanction n’a été évoquée par le Commissaire européen, bien plus timide qu’à son habitude. Dans un précédent article, j’avais déjà évoqué cette suspicieuse différence de traitement par les institutions européennes des cas polonais, hongrois et espagnol.

Ce que je suspectais semble désormais établi : violer l’État de droit est un privilège réservé à la gauche !

 

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