GRAND ENTRETIEN – Pour l’ex-directeur général de la Direction générale de la sécurité extérieure, le projet de loi immigration présenté par Gérald Darmanin ne changera en rien la donne sur le défi migratoire, à ses yeux vital pour notre nation. Il fait ses propositions pour changer drastiquement nos politiques publiques.
LE FIGARO. – Que vous inspire le projet de loi sur l’immigration actuellement en débat au Sénat ?
Pierre BROCHAND. – (…) Les assouplissements sont spectaculaires, puisqu’ils prévoient de régulariser les « clandestins qui travaillent » et faire accéder à l’emploi certains « demandeurs d’asile » : soit, dans un cas, récompenser la fraude et, dans l’autre, rendre encore plus difficile la mise en œuvre d’éventuelles OQTF. S’y ajoute, pour faire bonne mesure – CEDH oblige -, l’interdiction du placement des mineurs en détention.
L’article 3 sur les régularisations dans les métiers en tension fait particulièrement débat…
C’est au fond la mesure la plus concrète du texte. Elle signifie que nos flux ne sont pas seulement calibrés par les juges, mais aussi par les restaurateurs et autres professions. Ce qui n’est pas davantage admissible : si la survie du pays est en jeu, les intérêts particuliers doivent céder. Cette disposition est aussi néfaste, en ce qu’elle crée un cercle vicieux, qui gratifie et encourage l’illégalité : l’emploi d’une main-d’œuvre clandestine dégrade les conditions de travail et de salaire dans certains métiers, les natifs rechignent à les exercer, d’où l’afflux de nouveaux clandestins, qui, une fois régularisés, renâcleront de même. Une pompe inépuisable est amorcée.
De plus, en engageant les rémunérations à la baisse, le processus les rapproche des minima sociaux et affaiblit encore l’incitation des natifs, légaux et régularisés, à prendre ces emplois, même si, hors métropoles, l’hésitation paraît moindre.
(…)
Cela impliquerait un retournement à 180 degrés de toutes nos politiques publiques. N’est-ce pas trop ambitieux ?
Je ne suis pas complètement insensé : ce que j’avance se situe à des années-lumière du « cercle de la raison » qui nous enferme depuis si longtemps et ne semble pas vouloir se desserrer. Du coup, mon pessimisme se hausse en alarmisme. Si vous me permettez une allégorie vulgaire, je me sens comme le passager d’un camion, assis à la « place du mort », qui, connaissant la route, crie au conducteur qu’il va droit dans un ravin et que celui-ci fait la sourde oreille, quand il ne m’insulte pas. Mais, après tout, c’est à nos compatriotes, autres voyageurs embarqués, de décider s’ils veulent continuer à rouler, c’est-à-dire vivre dans un pays, où, a minima, la vie ne vaudra pas d’être vécue, ou, a maxima, ils ne pourront plus vivre du tout.
(…)
La gauche semble toujours réticente à maîtriser les flux migratoires. Pourtant, n’y a-t-il pas une incompatibilité entre la défense des acquis sociaux de l’État-providence et l’immigration massive ?
L’État-providence est une conquête qui ne va pas sans exigences. L’une, affective, est la conscience d’une solidarité, que seule la nation a suscitée à grande échelle. L’autre, économique, soumet la redistribution au contrôle strict des bénéficiaires, en quantité et en qualité.
(…) La démonstration en est si évidente que je n’insisterai que sur un point : la saturation des services publics. Je suis interloqué par le fait que, pour expliquer leur délabrement, jamais ne soit invoqué le poids de l’immigration. Or, chaque année arrivent 400.000 à 500.000 usagers supplémentaires de ces biens congestibles, sans y avoir cotisé un centime. De là, une course sans fin entre besoins et moyens, que nous sommes condamnés à perdre.
Regardons le Danemark, où les sociaux-démocrates, chantres de l’État-providence, ont dû opter entre celui-ci et l’immigration. Leur choix a été vite fait.
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